vendredi 3 avril 2020

MONSIEUR KLEIN de Joseph Losey (1976) par Luc B.


Joseph Losey
On pourrait croire Joseph Losey anglais, il était américain. Inscrit au Parti Communiste et victime de la chasse aux sorcières, il s’exile en Angleterre au début des années 50. C’est là qu’il tourne deux de ces films les plus connus, THE SERVANT (1963) et LE MESSAGER (1971). Il a eu aussi une période française, l’éblouissant EVA (1962, avec Jeanne Moreau), L’ASSASSINAT DE TROTSKY (1972, avec Richard Burton et Alain Delon) et donc MONSIEUR KLEIN.
Au mitan des 70’s, Alain Delon n’est pas encore la vedette populaire des innombrables et ersatz d'Eastwood de  FLICS QU’ON NE REVEILLE PAS, PAROLE DEPOUR LA PEAU DE mais a mis sa notoriété au service de metteurs en scène comme Visconti, Melville, Clément. Car le mec était cinéphile, vrai passionné de cinéma et savait reconnaitre le talent. Mais curieusement et contrairement à Belmondo, il n’a pas flirté avec la Nouvelle Vague, ne croisant les plateaux de Jean Luc Godard qu’en 1990 pour NOUVELLE VAGUE. Il produit MONSIEUR KLEIN, afin d’être certain que Losey puisse faire le film dans les meilleurs conditions financières. Deux grands noms à l’affiche et un film magistral ne font pas pour autant un succès (ça se saurait !). Le public n’a pas adhéré à ce drame parano sous l’Occupation. 30 ans après la fin de la guerre, la croix de David sur l'affiche avec la tête de Delon n'a pas franchement aidé, le sujet était sans doute encore trop sensible.
Joseph Losey y va franco dès la première scène : une femme nue, auscultée comme une jument par un médecin pour déterminer si elle est juive ou non. « Race sémite, un cas douteux » conclut-il. Losey enchaine avec Robert Klein dans son fastueux appartement qui fait affaire avec un homme. Il marchande un tableau pour la moitié de sa valeur. Au moment de remplir le bon d’achat, Klein demande : « adresse ? ». L’autre (Jean Bouise) répond, penaud : « pas d’adresse… ». Klein lui lance un regard entendu : l’homme est juif.
Robert Klein fait des affaires. Et elles sont plus simples et rapides avec les juifs, qui discutent rarement les prix et disparaissent après la transaction. Aucun problème moral pour Klein, il ne fait que son boulot, et après tout, c’est lui qu’on vient trouver. Souvenez-vous de cet homme qu’on retrouvera dans l’ultime et terrible plan du film.
Cette vie bien rangée va se fissurer lorsque Robert Klein trouve un journal sur son paillasson. Une revue juive à laquelle il n’est pas abonné. Comme on dit : ça craint. Il s’en plaint auprès du journal, cherche à comprendre le quiproquo, et apprend qu’habite à Paris un autre Robert Klein, homonyme et juif. S’en suit une double enquête : retrouver l’autre Klein, afin d’être certain de ne pas être confondu une nouvelle fois, et rechercher ses propres origines.
Ce film est glaçant. A l’image de sa superbe photographie, froide et bleuté, où Alain Delon en costume cintré sur mesure ou peignoir en soie traine son visage livide et blafard. Il impressionne, comme un spectre sorti du SAMOURAÏ de JP Melville. Robert Klein se confie à son ami et avocat, Pierre, qui l’aide dans sa quête d’identité pour lui dénicher un acte de naissance. Mais plus Klein cherche à prouver son innocence auprès des autorités, plus il devient suspect : « Quelqu’un se montre pour mieux se cacher » lui dit-on. Robert interroge son père (Louis Seigner) qui le rassure d’un tonitruant « Nous sommes français et catholiques depuis Louis XIV ! ».  
Beaucoup d’images, de plans, sont fameux dans ce film. Les longs travellings de Losey (descente du train), cette soirée dans un salon guindé où apparait Jeanne Moreau, que l’on reverra en peignoir rouge descendre un escalier teinté de lumière bleue, comme une Dracula, les feux de cheminées qui tracent des ombres menaçantes aux murs. Les décors sont d’Alexandre Trauner, nourri au réalisme poétique de Marcel Carné, scène des voitures au Grand Palais. Losey emprunte au cinéma fantastique, les pizzicati de violons oppressants en rajoutent une couche, on pense à Roman Polanski (LE LOCATAIRE, sorti la même année). D’autres plans tiennent du Film Noir, la descente du train, les contre-plongées, éclairages contrastés. 
Les femmes sont habillées de fourrures et boivent du Champagne, les tables de restaurant respirent l’opulence, la France bourgeoise et insouciante vit bien sous l’Occupation, mais Robert Klein s’amuse de moins en moins. Il sent le piège se refermer sur lui. Il recherche l’autre Klein, trouve son réseau d’amis, trouve son appartement, y pénètre, s’identifie, se substitue presque. Les deux Klein semblent se fondre en un seul. Alerté, l’autre cherche aussi à le joindre. Coup de téléphone : « - Allo, Robert Klein ? - Oui, qui est à l’appareil ? – Robert Klein… ». Énorme  !
Le film culmine avec la rafle du Vel d’Hiv à l’organisation froide et méthodique. Petit matin brumeux, silencieux, Gestapo, police française, tractions avant, et tous ces gens résignés, empaquetés dans des bus. Les deux Klein sont du voyage. Magnifique plan des bus entrant dans le stade suivis en travelling latéral. Pierre l’avocat qui depuis les tribunes montre à son ami les certificats de naissance enfin retrouvés. Les haut-parleurs appellent : « Robert Klein ! ». Pour Klein/Delon c’est enfin le moment de la rencontre avec son double, donc la fin du cauchemar. C’est sans compter un mouvement de foule. La fin du film interpelle, chacun y verra ce qu’il veut, identification, rédemption, faute à pas de chance… C’est un des épilogues les plus crispants et déroutants qui soit.
Cette mécanique mortifère et implacable est axée sur l’acteur Alain Delon, mais le reste de la distribution est juste incroyable : Jeanne Moreau, Suzanne Flon, Juliet Berto, Jean Bouise, Michael Lonsdale, Louis Seigner, Pierre Vernier, Etienne Chicot, Michel Aumont et même le jeune Gérard Jugnot. Joseph Losey nous prend à la gorge dès la première scène et ne nous lâche plus, le film est oppressant autant que passionnant, sans éclat de bravoure ni discours moralisant, froid, clinique, juste les faits, les actes, qui décrit droit dans les yeux cette période abominable de lâcheté et de petites compromissions.
Il fallait l’exigence et le talent d’un Losey, il fallait le charisme et l’engagement d’un Delon pour y arriver. C’est chose faite. César du meilleur film/réalisateur en 1977, boudé par le public, MONSIEUR KLEIN reste une des meilleures performances de l’acteur-producteur Delon. Il vous en prie…


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Le menu de la semaine prochaine ? 
(tout le monde peut jouer et proposer des titres. En cadeau un masque FFP2 porté par C3PO).
 Les indices :
- un long périple dans les sables chauds de l'Utah jusqu'aux neiges du Wyoming.
- même un borgne apprécierait la beauté crépusculaire de ce film.
- né la même année que mézigue, le dernier grand film d'un Maître.

- "On a retrouvé la 7ème compagnie" ?
- Non Sonia, essaie encore...

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couleur -  2h00  -  format 1:1.77
 
      

4 commentaires:

  1. Oui, bien! Vu au cinoche à sa sortie, avec toute ma classe de seconde au Lycée!
    Delon bien dirigé, il est grandiose! Quel gâchis toutes ces merdes qu'il a réalisé/produit...
    Sinon pour le Quizz, je sèche. C'est qui qu'a la même année que toi, le film ou le réalisateur?
    Allez, j'envoie: Thelma et Louise...Badlands...Dead Man...

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  2. Le réalisateur a cassé sa pipe depuis un moment. C'est le film et moi qui partageons la même date. Allez... c'est un western, son dernier western. Il en avait tourné beaucoup...

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  3. je tente ma chance, "les cheyennes" de John Ford? ah non tu es plus jeune que moi je crois, donc pas possible..je séche..

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  4. Tu gagnes un inédit de Junior Wells, que je t'apporterai personnellement... ah non... donc je le garde pour moi ! (je suis plus jeune de quelques mois...)

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