vendredi 10 avril 2020

LES CHEYENNES de John Ford (1964) par Luc B.


Ce n’est pas le dernier film de John Ford, il y aura d’autres tournages, des fictions comme LE JEUNE CASSIDY, FRONTIERE CHINOISE (1966) ou des documentaires sur la guerre de Vietnam. Mais c’est son dernier western, qui clôt presque 50 ans de cinéma souvent consacré à son genre de prédilection. Œuvre testamentaire aussi, une histoire du point de vue des indiens. Ford s’est expliqué : « Dans mes films j’ai tué presque plus d’indiens que Custer et Beecher réunis […] soyons juste, nous les avons mal traités, roulés, tués, massacrés, et si parfois ils tuaient un blanc, on leur envoyait l’armée ».
Ce long et superbe film suit ce qu’il reste d’une tribu cheyenne, spoliée de leurs terres en Oklahoma par des promoteurs, espérant les aides de l’administration des affaires indiennes qui ne viendront pas. Ils décident de repartir à Yellow Stone, terre natale, à 2000 km de là… Ce n’est pas du goût du major Braden, un procédurier sans âme, qui fera donner du canon sur les femmes et les enfants. Tué au combat, il est remplacé par le capitaine Thomas Archer, qui avec une poignée d’hommes et une institutrice, Deborah Wright, accompagne les cheyennes dans leur long périple.
John Ford a peu tourné en format large (le scope date de 1953), il utilise ici le procédé panavision 70, et un ratio d’image rarement utilisé le 2.2:1 (APOCALYPSE NOW, 2OO1). Ce format donne sa pleine puissance dans les plans d’ensemble tournés à Moab ou Monument Valley, paysages sublimes traversés par le convoi, des images au piqué incroyable aux cadres parfaitement construites, les axes de caméra souvent en contre-plongée. Le vieux borgne en avait encore sous la rétine... Le film décrit la vie indienne d’un point de vue presque documentaire. C’est moins un film d’action qu’une tragédie humaine, mais Ford réalise quelques superbes prises de combats, de charges à cheval.
Après la mort du chef cheyenne, le groupe se scinde en deux : Little Wolf poursuit sa route, Dull Knife préfère se rendre au fort Robinson y trouver refuge. Il y arrive en plein hiver. Le capitaine Wessels parquent les indiens, enfermés dans un bâtiment sans chauffage. Le gouvernement ordonne que les cheyennes repartent d’où ils viennent.
Ce film montre les discussions politiques à Washington. Il y a des phrases très fortes, quand le sénat refuse aux indiens de leur accorder quoique ce soit. Le ministre Carl Schurz dit à un sénateur : « Nous avons combattu tous les deux à Gettysburg, au côté des Noirs, et tu en es venu à penser que les Noirs était des êtres humains qui méritaient d’être traités comme les autres êtres humains ». Superbe plan de Carl Schurz (Edward G. Robinson) s’adressant au portrait sous verre de Lincoln, lui demandant « et toi, qu’aurais-tu fait ? » son visage se reflétant au côté de celui de l’ancien président.
Les personnages féminins sont toujours forts chez Ford. Ici l’institutrice mormone qui partage les mêmes conditions effroyables du voyage, insiste pour enseigner l’anglais aux indiens sans quoi ils ne pourraient pas s’intégrer dans une future nation. La faim est le plus grand ennemi. On voit les indiens contraint d’abattre leur chevaux. Une scène particulièrement terrible : deux cheyennes affamés croisent des cowboys qui mènent un troupeau. Par gestes ils réclament un veau, une vache, pour nourrir la tribu. Réponse d’un cowboy rigolard : « Et les gars, j’ai jamais tué d’indiens, ce serait l’occasion ». Il tire, tue et scalpe.      
John Ford montre aussi des milices citoyennes, horrifiées de savoir les cheyennes à proximité, qui s’arment et partent aux massacres. Il y a au milieu du film une longue séquence incongrue, mais historique. Avec le fameux shérif Wyatt Earp et Doc Hollyday, les héros de la fusillade d'OK CORRAL. Earp est joué par un James Stewart débonnaire qui rechigne à abandonner sa partie de poker alors que des cowboys éméchés, violents et racistes affolent la population de Dodge City. Séquence incongrue car tournée en mode comédie, ce qui tranche étrangement avec le ton général du film. Ford avait déjà filmé ce héros de l'Ouest dans LA POURSUITE INFERNALE (1946, avec Henry Fonda), il en faisait une figure américaine, et 20 ans plus tard, il en fait un clown... Les temps changent, les héros et le western aussi. La même année un certain Sergio Leone crée le Blondin...
La fin du film est bouleversante,  entre un Wessels inapte et alcoolique face à la dignité des cheyennes, prêts à mourir s’il le faut plutôt que de repartir, ou tenter un dernier assaut. Pas d'orgueil, juste l'instinct de survie. Il faudra l’intervention du ministre Schurz, prévenu par le capitaine Archer, pour régler politiquement la situation.
Pour son dernier grand film, John Ford invite un nombre impressionnant d’acteurs : Richard Widmark, Karl Malden, James Stewart, Edward G. Robinson, Carroll Baker, Dolores Del Rio, (dignement crispée dans sa posture de mama cheyenne !) Ricardo Montalban, et un tas de second rôles parmi ses fidèles, Arthur Kennedy, Harry Carrey, Ben Johnson. Ford avait souhaité donner les rôles de cheyennes à de véritables indiens : impensable commercialement. Des latinos basanés feront l'affaire.

Le film souffre sans doute parfois d’une certaine emphase, dans le ton ou les tableaux vivants (on pense à la fuite des juifs d’Egypte filmée par Cécil B. de Mille) mais qui sied à la gravité du sujet. Et comme toujours il émane des personnages, mêmes les plus secondaires, une grande humanité, même s'il manque la truculence habituelle, mais le sujet ne s'y prête guère.  
Le western américain est souvent traité de négationniste car il raconte l’histoire de l’Ouest du point de vue de ceux qui l’ont conquis, et pas de ceux qui ont subi cette conquête (il y a tout de même des exceptions). Ford rêvait d'un film comme celui-ci depuis longtemps, mais les années 50 ultra-conservatrices ne le permettaient pas. Déjà malade à cette époque, assisté de Ray Kellogg à la réalisation, John Ford doit attendre le changement de mentalités des 60's pour rectifier le tir dans son ultime western. Et le fait magnifiquement.

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La semaine prochaine, séance "classique", que dis-je, "ultra classique" !
- sur le papier c'est une bluette exotique située dans une colonie française, madame et ses deux amours
- à l'écran c'est sans doute LE classique hollywoodien par excellence
- on y entend une chanson triste, allez, joue-la encore...

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couleur  -  2h35  -  format 70 / 2.20:1

5 commentaires:

  1. Putain, Maison Blanche!! Ah ça c'est de la balle!!!

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  2. Deux ouvrages de la littérature américaine relatent cet épisode , "La dernière frontière " d'Howard Fast paru en 1941 et "Cheyenne Autumn" de Mari Sandoz paru en 1953. Ces deux livres racontent strictement la même histoire , cependant seul le livre de Mari Sandoz est crédité par John Ford . Mari Sandoz qui publia également une superbe biographie de Crazy Horse. Personnellement j'ai une petite préférence pour le livre d'Howard Fast même si les deux ouvrages sont hautement recommandables. Cette fuite des Cheyennes vers leur terre n'est pas sans rappeler l'épopée de Chef Joseph et des ses Nez Percés fuyant devant la cavaleris US pour tenter de se réfugier au Canada en 1877

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  3. Je dis : bravo. Qui d'autre a pigé ? Il faut que je corse les choses... tu trouves tout !

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    1. As time goes by...
      Pour Les Cheyennes, c'est Rockin'! mais t'avais affaire à un sacré client avec lui question western, je soupçonne que Corbucci et Valerii étaient ses témoins de mariage!...

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  4. Bravo Juan ; fastoche Luc, va vraiment falloir que tu corses les choses..(remarque pour "corser" la chose tu peux demander conseil à Bruno..) , prévoies aussi un prix attractif, un lingot d'or ou un flacon de gel hydroalcoolique..

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