vendredi 24 avril 2020

LE REPTILE de Joseph L. Mankiewicz (1970) par Luc B.


Joseph L. Maniewicz
Méa culpa. J’ai déjà évoqué ce film, à propos de Kirk Douglas notamment, et pas dans les meilleurs termes. Il m’avait décontenancé par son mélange des genres et son esthétique 70’s un brin vieillotte, à coups de recadrage en zoom optique. Comme Jacques Dutronc, je retourne ma veste. Revu récemment, c’est vachement bien ! Et très représentatif de son auteur, le grand Joseph L. Mankiewicz.
Kirk Douglas et Henry Fonda
Sur le papier on ne voyait pas Mankiewicz, un des cinéastes les plus raffinés et intellectuels d’Hollywood, à l’origine d’un tel projet. Aperçu du pedigree du gars : L’AVENTURE DE MME MUIR (1947), CHAINES CONJUGALES (1949, avec déjà Kirk Douglas), EVE, L’AFFAIRE CICERON (que je vénère plus que tout) CLEOPATRE (qui a ruiné la Fox, péplum de 3h30 avec le couple Taylor/Burton) LA COMTESSE AUX PIEDS NUS, et son dernier film en 1972, LE LIMIER. Mankiewicz était une plume et un grand cinéaste. Conscient du rôle majeur d’un scénariste/réalisateur dans le succès d’un film, les acteurs ne faisant partie que du décor, c’est à lui qu’on doit cette réplique cruelle dans EVE, à propos des comédiens stars : « il serait temps que le piano apprenne que ce n’est pas lui qui a écrit le concerto ». Et vlan.
Pour preuve ce REPTILE (titre original « Here was a Crooked Man ») au scénario particulièrement bien foutu. Une mécanique d’horlogerie. On commence par différentes scènes de types qui se font arrêter. Paris Pitman pour avoir volé 500 000 dollars. Flyod Moon pour avoir tiré sur le shérif Loperman. Un jeune gars pour avoir culbuté une femme qui n’était pas la sienne. Un couple d’escrocs, Cyrus McNutt se faisant passer pour révérend et Dudley Whinner en débile-sourd-muet touché par la grâce. Des scènes tournées avec humour, truculence, gauloiserie, notamment les séquences du bordel. Si on rate le générique, on pourrait se croire chez Mel Brooks. C’est cet aspect rabelaisien qui intrigue au départ (Kirk Douglas y montre son cul plus d’une fois), Mankiewicz fait voler les codes du genre avec une certaine malice.
Tous ces personnages vont se retrouver dans la même carriole, en route pour la prison. On remarquera le plan serré sur le visage de Pitman, la caméra s’éloigne, s’envole, un plan à l’hélicoptère, qui cadrera finalement du ciel le pénitencier perdu en plein désert. Par ce plan Mankiewicz énonce deux idées : la suite sera un huis-clos, et il sera très difficile d’en sortir.
On retrouve la marque de Mankiewicz, les faux-semblants, la manipulation, l’intelligence qui ne sert pas les causes les plus honorables, souvenez-vous le valet de CICERON ou LE LIMIER, comédies féroces et cyniques. Mankiewicz choisit le western, mais l’intrigue pourrait être déplacée dans une autre époque, le film tient aussi drame de prison, de la comédie, du suspens. Pitman veut s’évader. Tout le monde est au courant qu’il a planqué son magot. C’est son sauf-conduit. Il en promet une partie à qui trouvera le plan le plus sûr. Une manière pour Pitman de s’allier les autres prisonniers, les matons, le directeur. Les promesses ne concernent que ceux à qui on les fait ! Intelligence, manipulation des plus faibles, difficile de voir en l’un ou l’autre un héros, un bon, un méchant. Mankiewicz se joue des codes du genre.
L’affaire se corse après une mutinerie. Le directeur de la prison, corrompu jusqu’à l’os, est remplacé par un nouveau : le shérif Loperman, devenu boiteux. C’est un humaniste qui refuse la violence, croit aux vertus du langage, du dialogue, pour régler les conflits. Y’a une scène géniale ou un gardien lui fait visiter le mitard. Il voit un prisonnier en piteux état, enfermé depuis une semaine. Loperman exige qu’il soit libéré, nourri, soigné. Puis le gardien montre une autre cellule : « celui-là est enfermé depuis un mois… ». Loperman ouvre la porte, inquiet. Et découvre Paris Pitman, lisant le journal, cigare aux lèvres, sapé comme un lord sur un lit confortable, une bouteille de Cognac à portée de main. La promesse de partager 500 000 dollars résout beaucoup de soucis domestiques…
Plus les conditions de détention s’améliorent, Loperman faisant construire un réfectoire, autorise les allers et venues, abroge les châtiments corporels, plus Pitman songe à son plan d’évasion, avec le concours des autres prisonniers alléchés par le gain. C’est un film chorale. Beaucoup de personnages, tous sont importants, tous auront un rôle à jouer dans cette mécanique diabolique. On retiendra, chose rare dans un western, ce vieux couple d’escrocs homosexuels, très attachants (la tentative de suicide de Cyrus McNutt), les seuls qui finalement ne tremperont pas dans cette pantalonnade. Dudley Whinner est peintre, sa spécialité : les anges. Il en décore toutes les cellules, mais comme les détenus ne les trouvent pas très sexy, il les affuble de superbes paires de miches, plus efficaces pour fantasmer !
Ces anges sexués ne plairont au directeur Loperman, qui ne boit pas, ne fume pas, ne rit pas, et apparemment ne baise pas non plus. Quoique, l’ultime plan de film, d’une ironie féroce, nous contredira. Cette évocation de l’homosexualité (d’autant qu’un autre personnage, un maton libidineux, ne cache pas son attirance pour un jeune prisonnier) montre que Mankiewicz a parfaitement intégré son époque, la libération des mœurs des futures années 70. Son film est influencé à la fois par le nouveau western italien et le Nouvel Hollywood, il filme des hommes et des codes qui évoluent, on songe a JOHN MC CABE de Robert Altman (1971).
Qui dit beaucoup de personnages dit beaucoup d’acteurs. Et on se régale, même si la partition est parfois surjouée. Kirk Douglas épate, blond comme les blés, tout en gouaille, leader machiavélique, face à Henry Fonda le directeur droit dans ses bottes et ses principes. Warren Oates (un fidèle de Peckinpah) comme toujours parfait, en connard manipulé jusqu’au trognon, les seconds rôles John Randolph, Arthur O'Connell, Hume Cronyn, Burgess Meredith… que des têtes connues. Et toute cette troupe s’amuse visiblement beaucoup.
Le film est drôle, léger, truculent (géniale séquence des bains) au premier abord, la noirceur pointe le bout de son nez à la fin de l’intrigue. La solidarité de façade laisse place à l’individualisme forcené. Comme cette parabole sur la grenouille et le scorpion : « c’est dans ma nature » dit le scorpion en piquant la grenouille. Je ne peux évident pas vous confier l’épilogue, mais c’est du féroce. Mankiewicz est un peintre mordant de la nature humaine, traquant ce qui se cache derrière le masque. Sous ces airs de faux-western rigolard, LE REPTILE en est une brillante illustration.

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La semaine prochaine :
- on l'appelle rarement par son prénom, John
- il est très doué en couture
- ça va méchamment pêter

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couleur  -  2h05  -  scope 1:2.35    

 

4 commentaires:

  1. John Wayne - qui s'identifiait à ses personnages - avait essayé de dissuader Kirk Douglas de tenir ce rôle, que cela n'était pas fait pour lui. Arguant que cela ne correspondait pas à des hommes tels qu'eux-même. Que lui-même, Kirk et quelques autres, représentaient ce que devrait être un homme, un vrai. Quelque chose comme ça.
    Kirk, goguenard, lui avait simplement répondu qu'ils n'étaient que des acteurs... Que tout ça n'était que du cinéma.

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  2. John Wayne avait été aussi voir Gary Cooper qui s'apprêtait à jouer dans "Le train sifflera trois fois". Lui disant : comment tu peux jouer un type pareil, un shérif qui a peur de trois gars, demande de l'aide à toute la ville, presque en pleurant, et au final c'est sa femme qui lui donne un coup de main ! Comment tu peux jouer une mauviette pareille !

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  3. Je ne connais pas ce film, je l'avais trouvé par déduction. Faut que je le trouve, surtout que moi c'est Le Limier que je vénère chez Mankiewicz!
    John Wayne, le mec qui a soigneusement évité de servir sous les drapeaux et qui a tourné dans une flopée de films dans lesquels ils joue les héros genre Les Diables de Guadalcanal? No comment...
    Pour la semaine prochaine, rembobine...mon colonel...

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  4. Trop fort Juan... Pour une fois que je fais dans le "grand public"...

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