vendredi 17 avril 2020

CASABLANCA de Michael Curtiz (1943) par Luc B. comme Bogart



Alors là mes mignons, quand on dit classique, CASABLANCA c’est juste le classique des classiques. Pourtant, Michael Curtiz n’est pas le réalisateur le plus inspiré qui soit (mais un des plus prolifiques) essentiellement connu pour ses collaborations avec Erroll Flynn, ROBIN DES BOIS, LA CHARGE DE LA BRIGADE LEGERE, CAPTAIN BLOOD… Mais ce n’est ni Welles, Hitchcock, Preminger, ou Huston. Seulement voilà, ce film, pur produit des studios hollywoodiens (la Warner) concentre un nombre de talents qui une fois réunis créent l’étincelle. Mise en scène soignée, superbes éclairages, un thème musical mythique, des acteurs célèbres, et le clou, la patte de deux scénaristes, les frères Julius et Philip Epstein – bien qu’ils fussent nombreux à travailler sur le script, chacun se réservant la paternité de telle ou telle scène.  
Le pitch : une femme, deux hommes, lequel aura sa préférence ? Et oui, CASABLANCA c’est juste un triangle amoureux, une bluette sur fond historique. Et pourtant inclassable. Est-ce un Film Noir, un film d’espionnage, de guerre, une romance, une tragédie humaine, un film politique, un tract de propagande ? Tout à la fois, c’est ça qui est fort ! On a parfois un sentiment de fourre-tout, de picorer ça et là, le fait que le scénario ait été réécrit au jour le jour n'y est sans doute pas étranger.

Politique, le film l’est. Rarement un film aura affiché autant de clins d’œil à la guerre en France, croix de Lorraine, affiche de Pétain (première scène, un type est assassiné juste en dessous) ce plan génial où le capitaine Renault jette à la poubelle sa bouteille d’eau de Vichy… Il y est question de la France Libre comme de Vichy, ce qui dans un film américain dénote étrangement. Pas sûr que les spectateurs américains de l'époque y aient compris quoi que ce soit. La décision d’entreprendre cette production date juste après l’attaque de Pearl Harbor, donc l'entrée en guerre des Etats Unis. Le film est tourné en 1942, et sort en 43. A noter que la Warner avait commencé la production d'un film sur de Gaulle, scénarisé par William Faulkner, finalement abandonné. Avec le recul, on n'a pas perdu au change !
Le héros Victor Lazlo (oui, comme la chanteuse des 90’s qui avait repris ce nom) chef d’un réseau de résistance tchèque, recherché par les Nazis, fait escale à Casablanca pour regagner l'Amérique avec sa femme. Le film exacerbe la Résistance face à l’occupant (superbe scène où Lazlo demande à l’orchestre d’entamer la Marseillaise pour couvrir les chants allemands) sans pour autant caricaturer les allemands, représentés par le major Strasser qui fait figure d'aristocrate, alors que les alliés italiens sont clairement dépeints comme des lèches-cul. Le Ricks’bar – où se déroule principalement l’action - est un lieu interlope, où se croisent résistants et collabos, trafiquants, flics, nazis, on y vend ses bijoux pour se payer un visa, on graisse les pattes, on y boit aussi, on y chante, on y joue à la roulette.
C’est donc là que vont se croiser les trois personnages. Rick Blaine, le propriétaire, à qui un certain Ugarte remet deux sauf-conduits avant de se faire arrêter par la police française. Victor Lazlo et sa femme Ilsa Lund qui arrivent de Lisbonne et souhaitent repartir en Amérique. L’affaire se complique. Ilsa reconnait le pianiste du bar, Sam, qui la reconnait aussi. On sent de suite le trouble. Elle lui demande de jouer une chanson, sa préférée. Il rechigne mais obtempère et entame « As time goes by ». Regardez le très long plan fixe sur le visage d’Ingrid Bergman visiblement emportée dans ses souvenirs. La musique parvient aux oreilles de Rick Blaine, qui déboule furax : il avait interdit à Sam de jouer cet air, qui montre Ilsa du regard comme pour se dédouaner. Rick la découvre à son tour : des éclairs passent dans leurs yeux. Ces deux-là se connaissent… (même principe que dans GILDA...)
On connait tous la réplique : « play it again, Sam ». D’autant plus célèbre qu’elle n’est jamais prononcée dans le film ! Vous savez, c’est comme Marylin Monroe la jupe soulevée par l’aération du métro dans 7 ANS DE REFLEXION (Billy Wilder). Une image qui n’est pas dans le film, mais une photo de tournage ! « Play it again Sam » est en réalité une réplique de Woody Allen et le titre original de son TOMBE LES FILLES ET TAIS-TOI (1972) où son personnage, dingue du film de Michael Curtiz, se fait coacher par un Humphrey Bogart imaginaire.
Un flashback croquignolesque (car j’adore quand les américains reconstituent Paris dans leurs films, Arc de Triomphe en transparence et premiers accords de la Marseillaise, on remarquera que dans ce film les français parlent en français, mais les allemands en anglais !) nous révèle l’histoire de Rick et Ilsa. Ils étaient amants, à Paris, alors qu’elle pensait son mari mort en camp de concentration. Cette explication est donnée plus tard dans le film. Et à mon avis, rajoutée pour éviter la censure. Une femme mariée qui prend un amant ?! Honteux. Oui mais elle pensait qu’il était mort… Ouf, la morale est sauve. Sauf qu’il est vivant. Arrfff, ça se complique. D’où le rendez-vous manqué à la gare (superbe plan de la lettre de rupture, sous la pluie, dont l’encre coule comme des larmes), et la réaction plutôt contrariée de Rick voyant Ilsa débarquer. Se consolant avec une bouteille, Rick soupirera : «  De tous les bistrots sur cette Terre, c’est le mien qu’elle a choisi ».
Merveilleuse réplique, et il y en aura d’autres, comme ce dialogue entre le capitaine Renault et Rick, le premier demandant : « - Pourquoi êtes-vous venu au Maroc ?  - pour les eaux (thermales), ma santé. – En plein désert ? – On m’aura mal renseigné ». Ou Rick menaçant Renault d’un flingue : « attention, je vise le cœur – c’est mon point faible » répond l’officier sentimental. Lorsque que Strasser sera abattu pourtant devant témoin, Renault lancera : « arrêtez les suspects habituels ». Plus tôt il dira aux allemands qui réclament plus de répression : « nous arrêtons deux fois plus de suspects habituels » ! Et la dernière réplique du film : « Well, Louis, I think this is the beginning of a beautiful friendship » mais je ne vous dirais pas dans quel contexte…
Je l’ai dit, film inclassable, mais assez référencé Film Noir. Les éclairages, les ombres reportées, celles des abat-jours qui tissent de la dentelle aux murs, aux plafonds, comme des toiles d’araignées emprisonnant les protagonistes, une belle profondeur de champ parfois, et vous remarquerez que l’obscurité gagne l’image au fur et à mesure que le drame se noue, le Casablanca ensoleillé et festif des premières séquences faisant place aux contre-plongées en clair-obscur. La présence d’Humphrey Bogart n’y est pas pour rien. Il retrouve d’ailleurs ses partenaires Peter Lorre (admirable de bassesse, le visage baignant de sueur, vu dans M. LE MAUDIT de Fritz Lang) et Sidney Greenstreet : le trio du FAUCON MALTAIS (John Huston, 1941).
Le personnage de Rick (Humphrey Bogart) est un cynique, un électron libre. Neutre, il ne veut pas prendre parti. Le personnage fascine les clients du bar, Rick apparait au grand jour d'ailleurs assez tard dans l'intrigue, préférant l'obscurité de son bureau. Il fait pourtant preuve d’humanité avec ce jeune couple de bulgares. Très belle scène où il leur permet de gagner à la roulette de quoi se payer un visa, leur conseillant de jouer le 22. Clin d’œil au croupier, le 22 sort. Le croupier est joué par Marcel Dalio, immense acteur vu chez Renoir (c'est lui aussi Rabbi Jacob, le vrai !).
Mais je cause et j’en oublie l’essentiel : l’histoire d’amour. On sait qu’il y a deux sauf-conduits. Mais trois personnages au départ : Ilsa, Victor et Rick qui trop impliqué dans de sales histoires, doit fuir aussi le Maroc. Qui va rester en rade sur le tarmac ? Les acteurs eux-mêmes ne connaissaient pas l’issue du film. Michael Curtiz a dirigé Ingrid Bergman dans ce sens : « Comme on ne sait pas, joues sur les deux tableaux ». Jusqu’au tournage de l'ultime scène, les scénaristes hésitaient encore, et avaient prévu deux épilogues. Avec qui Ilsa prendra l’avion ? A force de faire du gringue à Rick pour récupérer les précieux visas, les sentiments renaissent... 

J’ai été un peu rude avec Curtiz, mais il parvient à tourner une des plus belles scènes du cinéma. Trois personnages. Trois échanges de regards, rapides (il ne faut pas trainer, les allemands arrivent), insert d'un plan de l'avion, puis Ilsa qui fait un pas, accompagnée d’un léger panoramique de la caméra, qui la replace dans le cadre entre ses deux amours. Curtiz traduit visuellement, en un plan, tout l'enjeu du film. C'est fort. J’en chiale encore, après 18 visionnages.
Comment ce scénario à l’eau de rose, limite série B sur le papier, a pu aboutir à un tel film mythique ? Je ne sais pas. Comme dit en introduction, la convergence de plusieurs talents, l’écriture, la réalisation, l’interprétation. Ce film captive. On est happé à chaque fois. On y retrouve Humphrey Bogart, sensible comme une corde de piano (qui deux ans plus tôt n'avait que des tuff-guy à jouer), Paul HenreidPeter Lorre, Claude Rains, et surtout Ingrid Bergman, belle à se damner. Ce n’était pas un sex-symbol, au sens Marylin Monroe ou Ava Gardner et pourtant, vu le nombre de plans sur son visage, il doit bien y avoir un truc.
Bergman était plus grande que Bogart : 1,75 contre 1,73. Il fallait aménager des plans inclinés pour que la différence de taille s'inverse une fois les deux acteurs arrivés face à la caméra, comme avec Lauren Bacall (regardez la photo de tournage, il fait 10 cm de plus qu'elle !). Leur couple, dont l’image avait servi au générique du Cinéma de Minuit (les vieux se souviennent de ce rendez-vous télévisuel) est passé à la postérité, comme Scarlett O'Hara et Rhett Butler. Pas grand-chose dans ce film le prédestinait à devenir un tel classique. Et pourtant.

*********************************************************
La semaine prochaine...
- un désert, un shérif, des trognes et des colts, et même Henri Fonda, mais est-ce vraiment un western ?
- son réalisateur à la réputation d'intello a ruiné à lui seul un studio hollywoodien
- drôle, cocasse et même grivois au départ, mais au final une mécanique bien cynique

**********************************************************
 

Noir et blanc – 1h40  -  format 1 :1.37


 

3 commentaires:

  1. What a fu..?...Aucun commentaire sur ce film??
    Bon...Tu devrais essayer Avengers ou Fast & Furious next time.
    Ah, l'affiche devant laquelle tombe le mec flingué dans le dos au début:"Je tiens mes promesses, et même celles des autres"!
    Tout un programme. Y parait que c'était sorti pour un salon de l'agriculture, joli recyclage!
    Pour le reste rien à rajouter, sauf que c'est dans mon top 5 de mes films préférés.
    Je matais La Route de Salina hier (Lautner, Mimsy Farmer, Rita Hayworth...) miraculeusement sorti en Bluray, et j'apprends la mort de Christophe (il en a fait la zique) aujourd’hui. Gros respect pour ce mec, on l'a pas vu à The Voice y parait...
    Voilà voilà, boulot-confinage, bounage-confilot...
    Ton film pour le quizz??? Suis largué, grave!!

    RépondreSupprimer
  2. Putain Cléopatre! Heureusement que j'ai un cerveau reptilien...

    RépondreSupprimer