lundi 19 août 2019

ILLETTRÉ de Cécile Ladjali (2016) - par Nema M.



Sonia n’en revient pas. Nema, assise en tailleur sur le tapis du séjour avec un livre sur les genoux, grommelle "illettré, analphabète, misère de misère, même pas le plaisir de suivre avec émerveillement l’enfant soulignant de son doigt la ligne magique qui lui permet de découvrir que, sous le dessin du chien, il y a écrit : joli toutou".
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Je lis un roman qui met en situation un jeune homme ne sachant ni lire ni écrire. Assez réaliste, je pense, sur les difficultés rencontrées dans la vie par tous les illettrés.
- Bah, y sont pas allés à l’école ?
- Sonia, si c’était si simple… Cécile Ladjali à travers une histoire de pure fiction nous plonge dans un monde à part : celui des adultes analphabètes.    

Illettré. Le héros de ce roman, Léo Cramps, est illettré. Sa grand-mère, Adélaïde analphabète. Quand il était petit, il vivait dans un mobile home avec ses parents, Marius et Lucile, et sa grand-mère. Papa et maman vendaient des surplus de l’armée, étaient "babacool" et n’ont jamais lu une seule histoire au gamin. Par contre, il a écouté des cassettes audio de textes classiques. Un beau jour les parents partent et ne reviennent pas. Ils ne reviendront jamais. Léo à partir de ce moment sera dans un doute affreux : où sont-ils ? Pourquoi l’ont-ils abandonné ? Sont-ils morts ? C’est peut-être pour cette raison, que Léo fréquente régulièrement le cimetière de Saint-Ouen. Monologue ou conversation avec quelqu’un, peu importe, des temps de réflexion pour Léo.
Léo vit dans un petit studio, dans une HLM d’une cité de banlieue. Imaginez un lit clic-clac, une table basse sur laquelle trône un vivarium dans lequel vit Iggy, (l’iguane compagnon plutôt endormi de Léo), un coin cuisine minimaliste de la musique. En face, un peu plus loin, une tour de bureaux, une enseigne lumineuse au sommet, lumière blafarde omniprésente la nuit.

Léo travaille dans une imprimerie. Pas simple tous les jours. Surtout le jour où, obligé de remplacer quelqu’un sur une machine, il n’est pas en mesure de  lire les consignes de sécurité et se retrouve avec deux doigts coupés. Horrifié dans un premier temps par l’accident du travail qui pourrait mettre en cause sa responsabilité, le directeur de l’usine, Denys Winkler, éprouve finalement un profond soulagement quand Léo avoue qu’il ne sait pas lire et que donc l’entreprise n’y est pour rien. Abject. Mais il y a malgré tout quelque chose de positif qui va suivre cette catastrophe : Léo découvre sa voisine infirmière, la jolie Sybille au subtil parfum de fleur.

Délicate découverte pour Sybille de ce grand garçon aux yeux verts, qui semble flotter dans la vie plutôt qu’il ne marche. Énigme ambulante, car Léo parle peu, mais bien. Ce n’est que petit à petit, notamment par l’intermédiaire de sa fille Violette, que Sybille comprend que Léo ne sait pas lire.  Sybille, la jolie jeune femme du Sud, cultivée et amoureuse des livres, a atterri dans cette cité pour la proximité de l’hôpital où elle travaille. De cette proximité, naît une sorte de flirt, un début d’idylle entre nos deux héros. L’attirance est là, mais la différence est trop grande. Malgré l’envie de progresser dans la maîtrise de ces signes qui font sens pour tous sauf pour Léo, l’avenir ne sera pas totalement rose.
Madame Ancelme, la concierge, la pipelette (comme disait ma grand-mère parisienne), est une gentille personne qui voudrait aider Léo. Elle se propose pour lire son courrier, le conseille pour avancer dans la vie. Grandiose le temps des élections ! Léo essaie de se montrer bon citoyen. Tout va à peu près bien jusqu’au moment où il faut signer le registre : pas facile, surtout quand on a les deux doigts de la main droite amputés. Grâce à Madame Ancelme, Léo ira au centre médicosocial pour suivre des cours de Susan Mars pour analphabètes. A comme âne, B comme baleine, C comme canard… La méthode paraît infantilisante pour Léo. Le groupe de ce cours d’adultes venant de tous les horizons montre que la France est bien une terre d’asile. Mais dieu qu’il est difficile de s’initier à notre langue !  Susan Mars n’est pas forcément le professeur idéal. Cela n’ira pas bien loin pour Léo.

Comment peut-on se déplacer quand on ne sait pas lire ? On ne peut évidemment pas passer son permis, on ne peut pas lire les plaques des rues, on ne peut pas lire le nom des stations de métro. Pour Paris, reste le code couleur des lignes : jaune pour la ligne 1, du bleu clair pour la 13, du vert pour la 6… Ouf ! Léo n’est pas daltonien heureusement ! 
A travers l’histoire de Léo (dont je ne vous dévoilerai pas la fin), la romancière nous amène à prendre conscience de ce que peut être la réalité du quotidien (dont bien souvent les analphabètes ont honte) de toute une partie de la population.

Cécile Ladjali est née en 1971 en Suisse. Elle a été élevée en Ile de France et a souffert de dysorthographie dans sa jeunesse. Mais cela ne l’a pas empêchée de passer l’agrégation de lettres, de  devenir enseignante (dans le 93 et à Paris Sorbonne 3) et écrivaine. Elle est bien impliquée dans l’appropriation de la langue française tant écrite qu’orale par les jeunes générations notamment des quartiers défavorisés, comme vous pourrez le constater dans les interviews ci-dessous.

Bonne lecture (si vous ne savez pas lire, faites-vous lire cette histoire à haute voix…) !

Actes Sud
212 pages



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