mercredi 24 avril 2019

HANDSOME JACK "Everything's Gonna Be Alright" (2018), by Bruno


     Alors, oui ! Assurément ! Dès les premières minutes de "Keep On" on pense irrémédiablement à .... Creedence Cleartwater Revival. Et à rien d'autre. Tout y est. Le tempo, la gratte crunchy habillée d'un tremolo, la basse qui ronronne et la batterie qui "bûcheronne". Et surtout la voix. Cette voix singulière, immédiatement identifiable. Rocailleuse et chaleureuse à la fois. Et bien là, mister Jamison Passuite possède la même. En fait non, pas tout à fait ; c'est moins rugueux et puissant mais ça y ressemble beaucoup. Vile imitation ? Simulation ? Qu'importe ! Il n'y a aucun plagiat, c'est seulement dans la continuité du Swamp-rock de John Fogerty. Et les gaillards sont loin d'être ridicules.


     Il réitère l'exercice avec "Hey Mama (Put Your Red Dress On)", en tout de même plus artisanal. Ou encore un "Do Your Dig It ?" conçu au fond d'un bayou, inaccessible aux incultes et aux esclaves de jouets tactiles, une nuit de mardi-gras, dans un chaudron où sont mariés, à petit feu, la Soul virile de Wilson Pickett, le Rhythm'n'Blues de Sam & Dave et le Swamp-rock de Creedence. A consommer sans modération.


     Bien que leur musique possède une chaleur et une certaine rugosité qui respirent le Deep-South, du Swamp-rock à la Soul des studios Stax, Handsome Jack est né dans le nord. Dans l'état de New-York, frontalier du Canada, de l'Ontario, à Buffalo précisément. Une ville moyenne à l'échelle Nord-américaine (entre 250 et 300 000 habitants) qui fait face à Fort Erié (au Canada) et qui réceptionne les eaux des chutes du Niagara, juste avant qu'elles ne se jettent dans le grand Lac Erié.

     Jamison Passuite cultive cette touche distinctive, absolument millésimée. A commencer par le choix de sa guitare vintage. Bien loin des Fender, Gibson, Rickenbaker ou Gretsch, il a posé son dévolu sur une antique Tiesco ! Une authentique Tiesco SS-4L des années 60 (probablement de 1964). Ces pelles nippones au design de planche à repasser, surchargées de boutons poussoirs, avec quatre micros (les Goldfoil, des simples bien larges, du style P90, avec une feuille d'or et des plots réglables). Le modèle qu'utilisait Hound Dog Taylor
 

 C'est d'ailleurs à la suite de la découverte de ce singulier Bluesman, féru de Boogies furieux et cradingues que, renversé par le son de cette guitare en fin de course, épuisée, limite grabataire avec cette fuzz crachotante, il est parti en quête de cette improbable gratte.

Guitare qui jouit d'un regain d'intérêt depuis peu sur le marché du vintage. Notamment en raison du son particulier de ses micros.
Même le chant semble être traité, comme s'il passait à travers un Shure 51s Sonodyne d'époque (des années 50). Ce qui accentue  cette sensation de chant à gorge déployée, comme s'il donnait à chaque fois tout ce qu'il avait ; même sur les morceaux les plus lents. Un peu comme un petit blanc essayant de toutes ses forces de se mettre dans la peau des James Brown, Pickett et James Carr.
Par ailleurs, Joe Verdonselli, le bassiste, branche sa quatre-cordes (Danelectro Longscale, Harmony H22 des 60's et Gibson SG-EB3) dans un  double corps Kustom. Le modèle matelassé, certainement un K200, comme chez Creedence. Une coïncidence ?

     Pourtant, il faut s'équiper d'un microscope pour espérer retrouver d'infimes traces du Boogie-blues trépignant de Theodore Roosevelt Taylor (le nom de baptême de Hound Dog). S'il y avait un bluesman à citer, ce serait indéniablement Howlin' Wolf. Même si, en matière de Blues, le trio revendique aussi fièrement le bagage de John Lee Hooker, de Jimmy Reed et d'Elmore James, c'est bien celui du Wolf qui ressort avec évidence. L'introduction de "Everything's Gonna Be Alright" n'est rien d'autre qu'un hommage appuyé à cette incontournable icône (l'une des plus grandes du Blues). Tribut qui s'arrête au premier mouvement, puisqu'après un cours intermède Gospel, avec choeurs féminins dépêchés pour l'occasion, le morceau part dans du pur Proto-Hard ; voire du Hard-blues séminal.


     C'est d'ailleurs en durcissant simplement son Blues, ou son Rhythm'n'Blues, que Handsome Jack s'aventure parfois dans le Proto-Hard - ou sur quelques terrains de jeu d'obscurs et rustiques combos de la première moitié des années 70 -. Comme présentement "Getting Stronger". 

A ses débuts, du temps où Jamison empoignait une Les Paul et Joe une Precision, avec un second guitariste dans la troupe, Handsome Jack envoyait du lourd ; du Hard-blues de très bonne facture, dans la lignée des Cream, Cactus, Mountain et Led Zeppelin. Parfois, cela resurgit. Le volcan n'est pas mort et peut à tout moment se réveiller et lâcher des coulées de lave. Ce qui était encore le cas sur leur premier disque.

     Avec cette prédilection à faire saturer - ou cracher - ses guitares et à vociférer dans un micro en saturant les modulomètres bloqués dans le rouge, on est surpris de la subtilité dont peut faire preuve la petite formation à la douce saveur toute artisanale. Ainsi, avec "Baby Be Cool", c'est carrément du Rhythm'n'Blues qui chatouille les enceintes. Avec son riff de basse ... en mode "danse des hippopotames". Lourd et délicat. Toujours dans une veine rustique, sans fard, sans chimie, OGM ou autres produits de laboratoire. Du 100 % bio. Juste pour l'occasion une pincée de cuivres.
"Why Do I Love You The Way I Do" va plus loin en se raffinant un peu plus, en devenant encore plus chantant et enjoué. C'est alors très proche de l'univers d'Elie Paperboy Reed. Exceptionnellement, quelques violons enrobent le dernier mouvement.

   Derrière la voix de vieux loup, il y a l'omniprésence des choeurs assurés par Verdonselli et le batteur Bennie Hayes. Partie intégrante de la personnalité du groupe, ils se fondent dans la musique, la renforçant, l'élevant à des strates supérieures. 

     Handsome Jack a qualifé sa musique de Dirty Swamp-blues-Soul. C'est effectivement approprié, un raccourci la résumant dans les grandes lignes. Quelque soient l'ambiance ou la direction prise, le trio prend son temps, se calant confortablement sur un mid-tempo serein, limite paresseux. Pas d'esbrouffe, ni d'efforts démonstratifs (cela paraîtrait alors vraiment déplacé). Mais, en dépit d'une sonorité rustique - et organique - pratiquement chaque morceau se révèle définitif, immuable. Il y a donc derrière une attitude d'apparence laconique, flegmatique, un tantinet négligée, un adroit travail de compositeur.
Troisième opus pour la formation de Buffalo - le premier en trio - et aucun disque à ignorer, à l'exception toutefois d'un étrange Ep expérimental où l'on a bien du mal à croire qu'il s'agit bien de la même formation. 




🎶♬🎷

6 commentaires:

  1. Etonnant en effet cette filiation... La voix est plus rocailleuse que Fogerty, une tonalité plus basse me semble-t-il, mais l'ambiance y est. C'est quoi cette caisse claire du batteur !!! On dirait un tom ! J'aime beaucoup aussi le second titre en vidéo, et là y'a la chemise à carreaux !!!

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    1. Oui, tu as raison, la tonalité est un chouia plus basse.

      La caisse claire est une Kent. Ainsi que le kit. C'est du vintage ça aussi, non ? ça frôle la psychose.

      Pour pousser plus loin dans l'affiliation avec le célèbre quatuor californien, le bassiste Joe Verdonselli a une ressemblance physique avec Stuart Cook. Il suffirait de lui donner une paire de binocles rondes et de lui raccourcir les tifs et le tour est joué.
      En fait, c'est son fils.

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  2. Comme quoi c'est dans les vieux pots... Le pur rock and roll serait donc déjà une vieille musique "classique" ? Vas dire ça à Claude, avec ses tri-centenaires.

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    1. Aujourd'hui, les médias utilisent bien le terme de "Classic Rock".

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  3. Réponses
    1. ça devrait te convenir ; même si c'est moins rugueux que Stoner Train. :-)

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