samedi 1 décembre 2018

RAVEL – Sonate pour violon et piano N°2 – R. CAPUÇON & F. BRALEY (2002) – par Claude Toon



- Une sonate pour piano et violon aujourd'hui M'sieur Claude ! Ça fait un bail une chronique dans le genre… Juste Beethoven et Lekeu en 8 ans !
- C'est vrai Sonia, pourtant ce répertoire est riche, Brahms, Fauré, Mozart, Schumann pour les compositeurs les plus emblématiques, et plein d'autres…
- Dites donc, 16 minutes, il s'économisait Maurice Ravel, et en plus, il aurait mis quatre ans à écrire cette jolie partition jazzy et endiablée !
- Ravel estimait que le piano et le violon ne se mariaient pas bien… Chacun ses idées… En plus il aimait faire la chasse aux notes inutiles à son sens…
- Hi hi, et cette idée serait-elle valable pour toutes les musiques M'sieur Claude ? Jazz, classique, rock, blues, que sais-je ?
- Joker Sonia, Joker…

Ravel aux USA en 1928
La dernière question de Sonia concernant les soi-disant notes inutiles est poilante. Difficile d'imaginer un débat plus subjectif. Et d'évoquer les "divines" longueurs apparentes dans les dernières œuvres d'un Schubert, apparentes car certes le génial Franz ne s'affranchissait guère de la forme sonate et de ses répétitions de thèmes. Mais il se régalait de changements incessants de tonalités pour casser la monotonie que l'académisme de ladite forme imposée risquait de faire transparaître… je pense aussi à une interprétation en Live à New-York de Old River de Bruce Springsteen de onze bonnes minutes (Clic) au lieu de cinq en studio… Ben oui, des notes inutiles lors de ce concert du Boss, je n'en entends guère !
Maurice Ravel peaufinait ses œuvres. On est toujours surpris par la modestie de son catalogue qui ne comporte que 111 ouvrages officiels. À noter que le compositeur aura travaillé sur tous les genres hormis la musique religieuse ; musique symphonique – principalement des ballets -, de chambre, musique lyrique mais pas d'opéra au sens strict et évidement un ensemble de pièces pour piano d'un niveau de virtuosité et de poésie rarement égalé. Il faut rappeler que ce corpus a été limité par la mort prématurée de Ravel à 62 ans, sachant que comme le chantait Léo Ferré, une tumeur du cerveau avait amoindri totalement ses capacités créatrices les cinq dernières années de son existence.
La très originale sonate pour violon et piano a été écrite entre 1922 et 1927, une période pendant laquelle Ravel ne compose déjà plus beaucoup. Cette sonate porte le n° MM 77 dans le catalogue définitif de Marcel Marnat qui se termine par MM 83, soit le concerto en sol de 1929-31. De cette époque ultime se distingue aussi le Boléro et Le concerto pour la main gauche comme œuvres marquantes… (Marcel Marnat a regroupé certaines pièces pour obtenir un index cohérent parmi les 111 ouvrages référencés.)
Cinq ans pour composer une sonate dont la partition ne comporte que 32 pages ! Oui, je confirme, c'est long pour un bon quart d'heure de musique que Haydn aurait écrit en un ou deux jours… Quelques explications : ce n'est pas une commande, donc pas de délai et Ravel aurait affirmé que le violon et le piano étaient "essentiellement incompatibles". Réécoutons la sonate le printemps de Beethoven, la sonate de Franck ou encore la 1ère sonate de Brahms pour se persuader du contraire. Cet a priori a-t-il posé problème à Ravel ? Possible. Par ailleurs, la chasse aux "notes inutiles" se remarque nettement en parcourant la partition. Peu de notes, surtout pour la partie de piano qui est l'antithèse de ce qu'auraient pu produire un Liszt ou un Rachmaninov. Quant à ma comparaison avec Haydn, elle tombe assez vite à plat tant l'imagination, la pureté et la difficulté technique sont au rendez-vous !

Frank Braley et Renaud Capuçon (© François Darmigny)
La sonate a été écrite à l'intention de la violoniste Hélène Jourdan-Morhange (1888-1961) qui était l'amie de Ravel depuis 1917, date à laquelle le compositeur avait remarqué le talent exceptionnel de l’artiste qui deviendra son interprète de prédilection.
Souffrant d'une crise de rhumatisme, la dédicataire ne pourra assurer la création de la sonate. C'est le violoniste et compositeur roumain Georges Enesco qui s'en chargera, accompagné au piano par Ravel lui-même le 30 mai 1927.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

La discographie de cette sonate est pour le mois pléthorique. Un enregistrement récent m'enchante par sa vivacité et sa clarté qui met bien en avant la modernité de cet ouvrage tardif. Il réunit Renaud Capuçon au violon et Frank Braley au piano.
Je ne présente pas Renaud Capuçon, sans doute le violoniste français le plus connu et apprécié pour son charisme, son travail pour faire découvrir la musique au plus grand nombre. On trouvera sa biographie dans l'article consacré à un concerto de Camille Saint-Saëns (Clic).
Frank Braley s'est joint aux deux frères Capuçon pour réaliser cet album réunissant la production pour musique de chambre option piano-cordes de Ravel. Né en 1968, le pianiste hésitera entre une carrière scientifique et musicale. La seconde possibilité gagnera et le jeune artiste entre au CNSMD de Paris en 1986. En 1991, il remporte le concours Reine Elisabeth de Belgique. Suit un début de carrière exceptionnel tant dans le répertoire classique que dans le jazz.
Pour ses gravures de musique de chambre, une solide complicité s'est établie avec Renaud et Gauthier Capuçon. À noter une intégrale des sonates pour violon et piano de Beethoven avec Renaud. Ils ont également enregistré la truite de Schubert avec la participation de Gérard Caussé à l'alto et d'Aloïs Posch à la contrebasse.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

1 - Allegretto  : Si plus tard Ravel composera un concerto pour la main Gauche, la sonate débute par un long thème de six mesures joué à la seule main droite avec une économie de notes qui correspond bien à son désir de chasser les notes inutiles… Un thème ? Non, d'autres sous thèmes émergent à l'aide d'un jeu polyrythmique hérité de Stravinski (6/8, 9/8,…). Une mélodie guillerette, cristalline et dansante, presque vaporeuse de par l'absence d'accord. Techniquement, on constate une simplicité quasi scolaire. Le violon répond en répétant deux fois le premier motif à la quinte supérieure. Le ton est donné dans ce premier mouvement qui, malgré son solfège insolite, regarde vers la pureté de l'âge classique. Toute comparaison avec le classicisme et le romantisme s'arrête là.
Ravel métamorphose le mouvement par une variation en continue à partir de ces motifs initiaux. Les climats sont d'une variété assez inouïe. L'introduction se construit sur une dissociation des lignes mélodiques entre le piano et le violon. Intentionnellement, Ravel suggère un marivaudage empreint de sensualité un peu coquine. [1:05] Illuminé par un motif facétieux, un second passage plus nostalgique nous invite à contempler une lumière crépusculaire. Des compositeurs de son époque, Ravel me semble le plus imprégné d'impressionnisme. [3:00] le motif initial ressurgit pour annoncer un développement aux accents mystérieux. Un crescendo conduit à un nouvel épisode tout aussi étrange [4:30]. Ludique mais diabolique pour le violoniste, cet épisode est épicé par des trilles frénétiques [4:40], un sabbat satanique d'une difficulté technique ahurissante. Tout le mouvement va se poursuivre et se conclure dans cet esprit fantasque. Bravo aux deux artistes qui joutent avec grâce, limpidité et… humour, et bravo aux ingénieurs du son.

Hélène Jourdan-Morhange (1ère à gauche), Ravel (dernier à droite)
2 – Blues : [7:56] Ravel se rendra aux USA pour une longue tournée à partir de 1928. Il se liera d'amitié avec George Gershwin qui lui fera découvrir le jazz et le blues à grand renfort de soirées animées dans les Night-clubs de la prohibition😀. Mais déjà le compositeur se passionne pour ce style d'où l'indication de tempo qui disparait au bénéfice du mot blues pour le second mouvement.
Le violon fait cavalier seul en enchainant des accords de trois notes en pizzicati. Tout amateur de Blues historique aura reconnu l'identification du violon à un banjo… Ravel se moque complètement de l'aspect "classique" de sa musique, il s'amuse, il invente un langage nouveau qui n'est pas sans rappeler les recherches ethno-musicales de son ami Bela Bartók. La rythmique percussive de cette introduction est bien proche de celle si chère au compositeur hongrois. Le piano fait une entrée tardive et adopte lui aussi un style rythmique comparable à une batterie. Le violon entonne une mélodie sensuelle évoquant la voix d'une chanteuse du Mississipi. Ravel osait intégrer des éléments de musique "nègre" comme on disait encore à l'époque dans une sonate. Les deux artistes fracassent la ligne mélodique. Contrairement à certaines sonates (beaucoup) où le piano peut se limiter au rôle d'accompagnateur, celle-ci donne la parole aux deux instruments à travers une danse un peu folle qui ouvre les portes de la musique contemporaine. Darius Milhaud en faisait autant avec ses ballets la création du Monde ou Le bœuf sur le toit (Clic).

3 - Perpetuum mobile (Allegro) : [12:55] La folie totale atteint le final. Le piano hésite, le violon lui répond, interrogatif lui aussi. Puis branlebas de combat. Perpetuum mobile confirmé avec une suite frénétique de doubles croches au violon : arpèges, trémolos, accords brisés, la totale. Trois minutes d'un délire plus que joyeux et un soupçon déjanté. Pas vraiment une œuvre pour débutant ou pour violoniste qui joue un peu faux et de fait se rattrape à coup de vibrato ! Renaud Capuçon est l'archet de la situation : un jeu d'une grande impulsivité (finement "sec" en terme de traits), malicieux et facétieux…
Une interprétation idéale de ce petit bijou. (Partition)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire