Généralement,
les films parodiques sont des fourre-tout où s’enchainent gags à gogo et clin d’œil
appuyés, réalisés à la vas-y comme j’te pousse. Voir la série des Y A-T-IL UN …?
des frères Zucker, et toutes les déclinaisons, à hurler de rire, mais dont 2
gags sur 4 tombent souvent à l’eau, faute de mise en scène suffisamment
élaborée. Et ce qui surprend avec FRANKENSTEIN JUNIOR (qui est sans doute un des premiers du genre), c’est justement le soin
infini apporté à la réalisation. C’est que Mel Brooks était un vrai fan des
films Universal des 30’s qu’il va s’employer à parodier. Quand son coscénariste et acteur Gene Wilder lui apporte le projet, que tout Hollywood a refusé, Mel
Brooks pose une condition : si on le fait, on le fait bien. On s’applique.
Mel
Brooks veut faire rire, mais respectueusement ! Il va laisser de côté ses
prouts et blagues scato qui font pourtant sa réputation. Raison sans doute
pour laquelle on entend souvent dire que ce film n’est pas si drôle que ça (en réaction aux slogans stupides "la comédie la plus drôle du monde" sur les affiches). C’est
vrai qu’on ne se tord pas de rire toutes les deux secondes, et qu’à l’instar d’un
Black Edwards (THE PARTY, VICTOR VICTORIA) la mise en scène est appliquée, millimétrée, mais pas
survoltée. L'esprit d'Edwards plane sur certaines scènes, comme celle chez l'aveugle avec le bol de soupe. Et sur le jeu de Gene Wilder qui comme Peter Sellers donne dans la double-détente. Voyez ce temps de réflexion, ce léger décalage avant d'envoyer la réplique qui fait mouche, au contraire des screwball comedy de Capra ou Hawks où les acteurs défouraillaient le texte à la mitraillette.
Autres
conditions posées, tourner en noir et blanc (avec le grain d'image ad-hoc) ce qui à l’époque était gonflé, le
cinéma de divertissement donnant davantage dans le scope couleur pétaradant. Mel
Brooks souhaitait vraiment retrouver l’esthétique des films fantastiques, et le
résultat est juste incroyablement beau, la photo très travaillée. Mel Brooks
pousse le vice jusqu’à tourner dans les décors qui avaient servi à l’époque
(rien ne se perd…), ceux de FRANKENSTEIN (1931) et LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN
(1935) de James Whale. C’est d’ailleurs davantage dans ce second - et meilleur
- épisode que Gene Wilder et Mel Brooks vont puiser leurs idées. On reconnaitra
à la fin une scène parodique de KING KONG, quand Frederick Frankenstein et sa
créature dans une exhibition publique se lancent dans un
numéro de claquettes avec smoking et haut de forme !!
L’histoire,
on la connait. C’est ça l’intérêt des parodies. Le spectateur est en terrain
connu. Le Docteur Frederick Frankenstein (prononcez Frankenstiiine) est le petit-fils
de l’autre, Victor, et en a marre qu’on ne lui parle que des travaux
de son aïeul. Lui, travaille sur les réflexes nerveux. Dans la première scène, il
donne un cours magistral avec comme cobaye un p’tit vieux dont il va massacrer
les burnes, sans dommage puisque le système nerveux avait été déconnecté. Enfin
presque, la douleur arrive avec un temps de retard !! Un type lui apporte
le testament de son grand père (pris sur le cadavre, dans le cercueil, alors
que le mort retient le document qu’on cherche à arracher !). Frankenstein
va donc repartir sur les traces du papi, et reprendre ses travaux.
Assisté
d’une laborantine stupide et sexy, Inga, et d’un bossu stupide mais pas sexy dont la bosse
change de côté selon les scènes : Igor. Joué par le
génial Marty Feldman, et ses orbites qui roulent, toujours fourré au second
plan de l’image, au bas du cadre. Frederick veut le meilleur pour sa future créature, et charge Igor de lui trouver le cerveau d’un génie (scène géniale au cimetière). Las…
le bossu lui ramène une cervelle de débile ! La suite reprend
scrupuleusement l’intrigue des deux films de James Whale, tout y est. La nuit d’orage,
le cerf-volant, la réplique « He’s alive ! », le monstre qui s’échappe,
la vindicte des villageois, la scène avec le gamin qui joue près de l’eau
(formidable détournement !), la rencontre avec l’aveugle, joué, l’avez-vous
reconnu, par Gene Hackman.
La
fiancée de Frederick, Elizabeth - géniale scène d'adieux
sur le quai de gare embrumé, on se croirait sur le tarmac de CASABLANCA - débarque dans
l’équation. Jouée par Madeline Kahn, complice de toujours du réalisateur, affublée sur la fin d’une chevelure improbable poivre et sel, hommage évident à LA FIANCEE
DE FRANKENSTEIN. Et qui va préférer rapidement les bras du monstre à ceux de
Frederick. Enfin, ses bras… Car la question est : si
tout est plus grand, gros et puissant chez la créature, quid de ses attributs
sexuels ? Mel Brooks n’a pas tout perdu de sa finesse d'analyse…
Deux
autres personnages sont indissociables du film. La domestique du château, Frau
Blücher, qu’on croit sortie du REBECCA d'Hitchcock, et dont le nom prononcé à l’allemande
fait hennir les chevaux de peur. Running gag. Et puis l'inspecteur Hans Wilhelm
Friederich Kemp, chargé d’enquêter sur les exactions commises par la créature.
Remarquez, il est borgne, et colle son monocle sur son cache œil ! Il a un
bras mécanique (ça vient du film LE FILS DE FRANKENSTEIN, 1939, nettement moins
bon) qu’il manipule comme Peter Sellers ses jambes paralysées dans DR FOLAMOUR.
Un bras qui pointé en avant servira de bélier pour enfoncer des portes, le flic
étant lancé à l’assaut de la forteresse par les villageois !
Il fallait une
nouvelle issue au récit, et les auteurs ont su boucler l’intrigue sur un ton à la fois
drôle et surréaliste, totalement décalé. Le film est vraiment conçu par grandes
séquences, qui s’imbriquent dans le récit, plus que comme un alignement de
gags. Et quoi qu’on en dise, on rit tout de même beaucoup. Sans doute Gene Wilder, irascible et
cyclothymique, abuse-t-il un peu trop des regards caméra, roulement de
sourcils, mais toute la troupe est formidable, sans oublier Peter Boyle, dans
le rôle de la créature.
Le
film sera un gros succès public, et même la critique encensera la réalisation
de Mel Brooks. FRANKENSTEIN JUNIOR est son film le plus célèbre, et certainement
son meilleur, plus subtil et maîtrisé que potache. On sent que Mel Brooks n’a
pas voulu polluer son film de gags inutiles, préférant travailler sur l’atmosphère
générale (comme le fera Hazanavicius pour OSS 117). Comme toutes parodies, il
est mieux de connaitre les modèles originaux pour apprécier le détournement, mais
même sans référence, le film reste une formidable comédie, doublée d’un bel
hommage aux sérials fantastiques d’avant-guerre.
noir et blanc - 1h40 - format 1:1.85
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