vendredi 23 mars 2018

NI JUGE, NI SOUMISE de Jean Libon et Yves Hinant (2018) par Luc B.



Vous souvenez-vous de cette émission de télé belge (1985 - 2012) STRIP-TEASE, diffusée en France sur la 3 ? Une série documentaire, immersion chez des personnes lambda, pour capter un moment de leur vie, privée ou professionnelle. Et un principe simple : ne jamais intervenir, interviewer, commenter. Juste une caméra la plus discrète possible, qui se fond dans le décor, devient invisible. Une technique qui demande beaucoup de temps de tournage, mais permet d’obtenir parfois des résultats saisissants. Dont l'épisode avec cette juge d'instruction bruxelloise, Anne Gruwez.

Les réalisateurs Jean Libon et Yves Hinant sont revenus la voir, 15 ans après, pour réaliser un second film, (trois ans de tournage), mais avec les mêmes techniques de tournage. Anne Gruwez pourrait être jouée au cinéma par Yolande Moreau, elle en a le physique, la voix, l’humour, la fausse candeur. Mais on n’est pas au cinéma, on est dans la vraie vie…

Ce qui détonne - et fait toute la saveur du projet - c'est de confronter ces moments de vie, cocasses, absurdes, mais le plus souvent tragiques et violents, avec le ton badin et caustique de la juge. Une manière, à n’en pas douter, pour elle, d’activer la soupape de secours face aux horreurs débitées dans son bureau, ou ce qu’elle voit sur le terrain.

Car Anne Gruwez s’occupe d'affaires criminelles, viols, meurtres, agressions, vols. Parmi ses dossiers, le meurtre non élucidé de deux prostituées. De nouvelles expertises ADN sont diligentées. Cette enquête sera le fil rouge du film, mais d’autres cas arrivent sur le bureau de la juge, qui auditionne les suspects, généralement représentés par leurs avocats. Une des séquences les plus drôles, vient d’ailleurs d’un dialogue entre la juge et une avocate, exaspérées toutes les deux par l’attitude pleurnicharde du suspect, à qui on donne un pain au chocolat pour qu’il se taise !  

Si on rit beaucoup, l'univers dans lequel on évolue reste violent. La caméra s’immisce partout, sur les photos des corps martyrisés des deux prostituées, à exhumation d'un cadavre au cimetière, où un légiste est appelé pour de nouveau prélèvement… Même dans une fiction, on ne verrait pas ça. Et Anne Gruwez y débarque avec un superbe parapluie fuchsia pour se protéger du soleil !

Il y a deux récits incroyables, et que tout oppose. Le premier vient d’une maîtresse SM, qui raconte par le menu ce qu’elle fait subir à ses clients. Gloups… Anne Gruwez, friande de détails, en redemande, émerveillée par les déviances de la nature humaine ! Et de confier à sa greffière à propos de la prostituée : « c’est une gentille fille… ». L’autre récit, calme, froid, précis, est celui d’une femme qui a tué son enfant, coupable selon elle d’être le fils de Satan. Anne Gruwez doit recueillir cette parole, recueillir les faits, elle aussi, froidement, méthodiquement

Défile devant le bureau d’Anne Gruwez des voleurs, des escrocs, une petite frappe qui menace à sa sortie de prison de partir en Syrie, s'y entrainer pour revenir se venger, des assassins, de braves gens aux relations consanguines (séquence hallucinante). Une drôle de comédie humaine. Mais étrangement uniquement composée de maghrébins, d'émigrés... Hasard des dossiers, exacte représentativité, ou orientation du montage ? D'ailleurs, Anne Gruwez s'autorise des sorties borderline comme « il emmerde sa bobonne, l'a fait chier, il l'a cogne... enfin, un Albanais, quoi...» mais remet sévèrement à sa place un jeune type qui vante sa culture patriarcale turque, alors qu'il est bruxellois de naissance... 

Le film divertit, informe, autant qu’il dérange et met mal à l’aise (on n’y va pas avec ses gosses, hein ?). C'est l'esprit poil à gratter de STRIP-TEASE, on laisse dire, on laisse faire, sans filtre, on observe et on capte. Le juge Anne Gruwez n’a de cesse de rappeler à ses interlocuteurs qu’elle incarne la loi, le pouvoir, l’autorité, tout en faisant preuve d’énormément de recul, d’humour, de saillies verbales hilarantes. Car sinon, comment supporter tout ça ?

couleur  -  1h40  -  format scope 
   

2 commentaires:

  1. Je ne me souviens pas de "Strip-Tease', j'connais pas.
    Mais là, c'est une blague ? Une comédie noire et décalée ? Rassures moi, ce sont des acteurs ?

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  2. Non, Bruno, c'est du vrai. Du réel. Des vrais gens. Et c'est ça qui est terrible. Se confronter avec cette réalité. Et la bande annonce ne donne qu'un aperçu "rigolo" du film, qui est beaucoup plus violent. Ce film, c'est un grand coup de poing dans la gueule, qui fait rire, parce qu'à ce point-là, ben, y'a que le rire qui sauve...

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