vendredi 23 février 2018

HHhH de Laurent Binet (2009) par Luc B.


Nous avions déjà évoqué l’écrivain Laurent Binet, avec le désopilant - et parfois agaçant - LA 7EME FONCTION DU LANGUAGE. Voici le livre qui l’a fait connaître, primé d’un Goncourt du premier roman en 2009, HHhH.

Reinhard Heydrich
Titre énigmatique, signifiant : Himmler Hirn heiBt Heydrich, ins Französische übersetzt (in french) : Le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich. Ce qui nous éclaire pas plus. C’est à la fois le portrait du dignitaire nazi Reinhard Heydrich, vraie caricature d’aryen, grand, blond, mince (mais apparemment doté d’une voix de crécelle insupportable), chef de la Gestapo, des Services secrets, n°2 après Heinrich Himmler... et le récit de l’attentat perpétré à Prague en juin 1942 qui lui coûta la vie. Récit rocambolesque de l’opération Anthropoïde, montée conjointement par les anglais et les tchécoslovaques, en exil à Londres.

Mais si c’est un livre d’Histoire, pourquoi le Goncourt du premier roman ? C’est là que l’affaire se corse. Souvenez-vous de la LA 7EME FONCTION DU LANGUAGE, où l’auteur s’amusait à romancer la vie de personnages réels, philosophes, politiques, écrivains… Dans HHhH, on est dans un autre type d’intrusion, mais il y a un air de famille.

lieu de l'attentat
HHhH est le récit de Laurent Binet qui veut écrire sur les héros de l’opération Anthropoïde, mais hésite dans le style à prendre, se remet en question. Il évoque son travail de recherche, il raconte les faits, souhaite les romancer. Il écrit, corrige, rature, modifie, efface. En nous expliquant pourquoi. Notamment dans les scènes dialoguées, parfois basées sur un enregistrement sonore (seule documentation disponible et fiable) parfois totalement inventée. Et Laurent Binet d’avouer, pas gêné : « en fait, ils ne se sont sans doute pas dit ça, ou pas comme ça… mais ça sonne bien ». Plus tard il y aura tout un développement sur la couleur de la Mercedes d’Heydrich, que d’autres historiens voient noire, quand Binet la voit verte.

Toutes ces interventions de l’auteur dans son propre récit sont souvent drôles, cocasses, pertinentes. Et font toute la saveur et l’originalité de ce livre. Mais peuvent aussi agacer, couper l’élan, gêner parfois, car on ne peut s’empêcher de se dire : cette scène, là, c’est une vraie ou pas ? A mettre en scène ses hésitations, Laurent Binet peut jeter le doute sur son travail documentaire. Le livre interroge donc sur la notion de vérité historique, jusqu’au bout pousser le curseur.

le commando, caché dans une crypte, noyé par les SS
Les chapitres sont très courts, il y en a 257 ! Le style est parfaitement fluide, c’est un récit parfaitement huilé, et même les dérapages sont contrôlés. Pourtant, le récit consacré à Reinhard Heydrich, est plus intéressant que celui des trois membres du commando Anthropoïde : Jozef Gabčík, Jan Kubiš et Josef Valčík. Pour une raison simple : les faits et gestes quotidiens de l’Obergruppenführer sont archivés, alors que, par définition, les allers et venues clandestines des membres du commando, ne le sont pas.
le commando Anthropoïde
Les récits se rejoignent le 27 mai 1942, quand le commando attaque la voiture d’Heydrich, à Prague, dans un virage. Et rien ne se passe comme prévu. Un tramway intempestif, une mitraillette qui s'enraye, une proie plus vive que prévue... La scène de quelques secondes est décortiquée sous tous les angles, un peu trop sans doute. La réaction du régime nazi sera terrible, des représailles qui culmineront avec le massacre du village de Lidice, en Bohême, littéralement rayé de la carte, selon les vœux d’Hitler. Car si l’attentat est raté, Heydrich succombera quelques jours plus tard d’une infection provoquée par le crin de cheval dont étaient rembourrées les banquettes de la Mercedes, poils de crin retrouvés dans la plaie superficielle qu’il avait au flanc.

Après une enquête de police qui n’arrive à rien, Gabčík, Kubiš et Valčík seront trahis, mais résisteront armes à la main, au fond d’une crypte d’église aux bataillons SS venus les déloger. Et là, par contre, Laurent Binet rallonge bien trop la sauce.

Dans sa mise en abîme du récit, Binet interpelle aussi d’autres auteurs, de films, de livres, qu’il a consultés, qui vont orienter son propre travail. Et donne son avis, sur la qualité documentaire ou littéraire de ses confrères ! Il s’en prend notamment à Jonathan Littell, auteur de LES BIENVEILLANTES, Goncourt 2006, un roman sur les Einsatzgruppen, dans lequel apparaissaient des personnages réels, comme Heydrich, responsable de ces escadrons de la mort. L’hôpital qui se fout de la charité. Il charrie un peu, Binet, agace parfois par ses jugements péremptoires.

La lecture ne laisse pas indifférent, le travail de recherche est colossal, la mise en forme du récit est ingénieuse, parfois fascinante, ou redondante.
Le roman a été adapté au cinéma par Cédric Jimenez, en 2017.       

1 commentaire:

  1. Un livre qui est surement très intéressant, même si l'auteur joue un peut avec la réalité. L'histoire de l'attentat sur "le boucher de Prague" a souvent inspiré cinéastes et auteurs. La première fois que j'ai entendus parler de l'histoire de l'Opération Anthropoid était dans un livre de Christian Bernadac "Les médecins maudits" (Edition France Empire 1967). Une chronique très intéressante !!!

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