samedi 17 février 2018

Carl CZERNY - Symphonie N° 1 (vers 1846) - Nikos ATHINÄOS – par Claude Toon



- Ô M'sieur Claude… Une nouvelle symphonie de Mendelssohn au programme de cette semaine ? Pas l'écossaise ou l'italienne pourtant…
- Erreur Sonia, mais pertinent néanmoins. Non il s'agit de la première symphonie de Carl Czerny, un pianiste-compositeur de l'époque de Mendelssohn et Beethoven.
- Czerny ? Ah bon. Mais je croyais qu'il n'avait composé que des études pour apprendre le piano, d'un ennui mortel m'a-t-on dit…
- Ce n'est pas faux, des cahiers d'études du facile au très difficile. Certes rébarbatives, mais assez incontournables pour se perfectionner. Et voici une symphonie sympa.
- Je me suis faite avoir, mais si je puis me permettre, le style fait penser immédiatement au début du romantisme et à Felix…
- Soyons clair, Czerny compositeur reste un petit maître, et curieusement cette première symphonie plutôt allante ne sera guère suivie par d'autres… Une découverte…

Carl Czerny (1791-1847)
Une semaine après une chronique consacrée à l'un des meilleurs quatuors de Beethoven, il n'est pas illogique d'évoquer l'ami et le pianiste du grand Ludwig qui assura en 1812 la création au clavier du concerto N°5 dit l'"Empereur", un monument du genre. Cet évènement à lui seul place Carl Czerny comme l'un des pianistes les plus virtuoses et avant-gardistes de son époque. Et il est vrai qu'en ce début du XIXème siècle où le piano forte avait définitivement supplanté le clavecin, l'homme a apporté avec ses études un outil pédagogique quasi indispensable sur le plan technique pour les générations qui le suivront.
De la poésie dans ces études ? Absolument aucune ! Mais on travaille toutes les difficultés possibles de l'instrument : l'indépendance des mains, la frappe de l'auriculaire, la vélocité, et patati et patata. Oui, Chopin, Liszt et ses diaboliques Études d'exécution transcendante, Debussy, Scriabine, Rachmaninov, et bien d'autres nous offriront des études gorgées de belles musiques indépendantes de l'aspect éducatif, mais chercher à les jouer correctement et avec plaisir sans le passage obligé par les exercices progressifs de Czerny, et bien ce n'est pas gagné ! Et pourtant, Czerny savait aussi composer des pièces très mélodieuses comme les 8 Nocturnes romantiques de différents caractères (L'hommage, le désir, et ainsi de suite) qui n'ont pas à pâlir face aux romances sans paroles de Mendelssohn. Revenons au début, en 1791, moins d'un an avant la mort de Mozart
Février 1791, Carl Czerny naît dans cette Vienne qui commence à ne plus comprendre l'art de Mozart, encense Haydn et va découvrir au tournant du siècle le génie de Beethoven. Le père du jeune garçon est un excellent pianiste qui va faire étudier son fiston seulement âgé de trois ans. Il est surdoué, joue Bach et Mozart à l'âge où l'on apprend à écrire et compose dès ses sept ans.
Au début du XIXème siècle, le préadolescent suit les cours de Hummel, Salieri (autre grand pédagogue) et surtout de Beethoven qui vient de dépasser la trentaine et a lui aussi révolutionné le jeu du piano, notamment dans l'usage des tonalités.  Beethoven pensait lui proposer de créer son 1er concerto, mais il le fera lui-même. Très tôt, il se révèle un excellent professeur, préférant l'art d'enseigner au concert ; il abandonne cette activité en 1818. Parmi ses nombreux élèves, une future tête d'affiche : Franz Liszt qui lui dédicacera les Études d'exécution transcendante mentionnées plus haut.
Carl Czerny possédait une mémoire eidétique qui, entre autres, lui permit d'interpréter les 32 sonates de Beethoven sans les partitions sous les yeux !
Il va composer beaucoup et dans tous les genres, 861 œuvres d'après son catalogue. Et curieusement, ce sont les difficultés les plus retorses des sonates de Beethoven qui lui inspireront la rédaction des recueils d'études. Tout cela n'est pas de la veine d'un Beethoven et d'un Mendelssohn, sans parler d'un Chopin pour le corpus pianistique. Pourtant, certaines partitions pour le piano, l'orchestre et la musique de chambre ont résisté au temps. La discographie est sélective mais de bon niveau pour ce personnage important de l'histoire de la musique mort en 1857, un an après Schumann qui soit-dit en passant trouvait la musique de Czerny peu imaginative. Soixante-six années de vie pour l'un des acteurs essentiels du romantisme musical.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Nikos Athinäos
Il n'y a pas que des compositeurs du passé qui passent à la trappe. À croire que le chef d'orchestre Nikos Athinäos n'a jamais existé. Pas une ligne sur le maigre livret anglais-allemand du CD. Pas une photo sur internet, ni un programme de concert avec quelques phrases sur cet artiste qui pourtant cartonne dans l'intégrale des symphonies de Czerny gravée pour le label Christophorus. Première dans le blog. Désolé, mais merci à ce monsieur d'avoir exploré cet univers symphonique inégal certes, mais à ne pas jeter aux orties, loin de là…
- Heu M'sieur Claude, bonjour c'est Nema, je pense qu'il est grec…
- Ah merci beaucoup Nema, je n'y aurais pas pensé tout seul, on avance…
- Ne soyez pas suffisant ! Non, ce que je veux dire Môsieur Claude est : essayez avec l'orthographe Νίκος Αθηναίο
😨
Bigre, la petite nouvelle, Nema, a des ressources insoupçonnées, une helléniste distinguée ! Elle me tacle 😖 !! Eh bien oui, recours à un traducteur et voici donc une photo de notre maestro né en 1957 à Khartoum et quelques infos traduites du grec. Nikos Athinäos a étudié à Athènes, Düsseldorf et Cologne. Sa carrière est internationale. Il a été directeur de l'orchestre de l'Etat du Brandenbourg de Francfort sur Oder que nous écoutons aujourd'hui. Sa discographie est intéressante. Échappant au grand répertoire surreprésenté dans les catalogue des labels, on lui doit des enregistrements dédiés à des compositeurs peu connus : Czerny évidement, mais aussi d'autres romantiques de cette époque comme Gottfried von Einem, sans oublier des contemporains : Ignaz Moscheles, Bela Bartók, Alfred Schnittke, Paul Dessau et Boris Blacher. Grâce à Nema et au Deblocnot, cet artiste va enfin être connu du web, avec l'alphabet latin, français et anglais notamment ! Merci qui ?
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

Pas de partition disponible, mais à la lecture de celle de la 2ème symphonie et à l'écoute, on peut déduire l'orchestration assez facilement : 2/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, 3 trombones dont un basse, 3 timbales et les cordes. Un orchestre proche de celui de la 5ème de Beethoven ou des symphonies de Schumann typique du romantisme originel. Très classiquement : 4 mouvements.

Debout : Berlioz et Czerny. Assis : Liszt
1 – Allegro : les premières mesures affirment un désir de grandeur, des accords puissants suivis d'un noble thème joué par l'orchestre à l'unisson. Rien de grandiloquent, non juste grandiose. [0:12] Un réexposition apparaît très rapidement, mais chantée avec une ardente élégance par les bois. Une introduction qui agrège deux types d'orchestration antinomiques en moins d'une demi-minute pour le même thème ! En un mot : une variété dans l'écriture plutôt prometteuse… On pense à l'énergie d'un Beethoven (sans l'ingéniosité des thèmes qui vous sautent aux oreilles) et au sens de la mélodie d'un Mendelssohn ou d'un Schumann (sans l'imagination débordante peut-être). Czerny ne compose pas pour les salons. Loin de là. La volubilité et le lyrisme qui se développent dans cet allegro ne risque pas de vous endormir. Cette musique s'inscrit sans équivoque dans le romantisme par sa fougue et surtout ce dialogue animé, presque théâtral entre cordes, groupe des bois, groupe des cuivres.
J'entends déjà une remarque assassine : "forme académique". Certes, Czerny ne s'aventure guère hors de la forme sonate caractérisée pas les reprises rigoureuses et une facétie dans les variations assez modeste. Le thème initial devient leitmotiv et sera répété très souvent mais à travers un contrepoint allié à une instrumentation très mouvante. Nikos Athinäos et les ingénieurs du son éclairent cette musique qui ne prend son sens qu'avec une mise en avant très détaillée des solos. Le chef anime cette musique qui bâtit son architecture plutôt dans les changements de timbres, les élans des cuivres, les paraphrases des bois, que dans un travail complexe sur la mélodie, un peu absent ; difficile de le nier. Dieu, que c'est vivant et épique… Chevaleresque, voire jubilatoire. Ô, on n'en ressort pas étrillé comme à la fin de la 5ème de Beethoven, mais quel bon moment de musique récréative…

Lettre de Czerny à Beethoven - amis pour la vie)
2 – Andante sostenuto : [12:50] Czerny était-il un romantique angoissé comme Beethoven et Schumann et plus tard Bruckner ? À l'écoute du premier mouvement on pouvait en douter par la négation de toute interrogation métaphysique, de toute mélancolie. Une petite marche champêtre colorée de trilles de flûte, de gazouillement des bois sur une tendre mélopée des violons, confirme ce rejet du dramatisme cher à l'époque. Non, contrairement à ce que je lis, la parenté avec la scène au bord du ruisseau de la "Pastorale" de l'ami Beethoven n'est pas flagrante. Laissons donc à Czerny prouver lui-même ses talents de symphoniste sans chercher à dénoncer une quelconque tendance au plagiat. Bien évidemment, cet andante sent bon la campagne et les ramures, mais la sensualité beethovénienne laisse place à un chant plus rustique.
[13:38] Une marche tranquille initiée par les violoncelles va gagner en vigueur, rythmée par les timbales. S'élance un crescendo qui va laisser place à un discours bucolique où l'on retrouve l'habileté de Czerny pour faire entendre un à un les différents pupitres. Bravo au chef pour ce moment rêveur et enchanteur. La beauté des timbres de cet orchestre allemand apporte beaucoup de tendresse à cet andante qui me semble le mouvement le plus soyeux et attachant de l'œuvre. À lui seul, il justifiait la résurrection de la symphonie. [19:51] Jolie coda pleine de malice…

3 – Scherzo : [20:47] le scherzo prolonge ce climat guilleret par une mélodie simple et joyeuse, une danse paysanne, inspiration qu'affectionnaient tant les romantiques. Il me vient à penser à Dvořák… Une indéniable drôlerie anime ce scherzo, avec ses étonnants pizzicati de contrebasses. [23:45] La thématique du trio chanté par les bois dérive directement du thème principal du scherzo. Vivant et dansant, mais peu imaginatif, il faut bien le dire. [25:47] Retour da capo du scherzo mais sans reprise, ce qui n'est pas une mauvaise idée avec un matériau musical aussi sommaire.

4 – Finale : [27:20] Final allegro en forme de récapitulation des idées qui précèdent. Czerny semble rencontrer la même difficulté que Schubert : comment terminer avec originalité une symphonie. (Voir la symphonie "inachevée" volontairement sans nul doute, les tentatives de reconstitution ne sont pas probantes.) Un final brillant néanmoins. Une œuvre pleine de gaité à découvrir pour ce qu'elle est : un témoignage d'un homme qui lorsqu'il enseignait pouvait se prévaloir de vraiment connaître le métier😉.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~



4 commentaires:

  1. Très agréable à écouter ! Presque du Beethoven ! Pour la très connu gravure ou tu vois Berlioz, Czerny et liszt, il serait bon de rajouter a gauche Josef Kriehuber le lithographe autrichien et Heinrich Wilhelm Ernst violoniste et altiste, le successeur de Paganini.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Quel puits de science mon ami Pat. Je n'avais pas trouvé les noms de ces deux personnages :o)

      Supprimer
    2. Je connaissais cette gravure depuis longtemps après l'avoir vu dans une biographie de Berlioz et j'avais cherché à savoir qui était les personnages sur l'image !

      Supprimer
    3. ....et je pense même que tu pourrais trouver de la matière avec Heinrich Wilhelm Reich, son catalogue est bien fourni !

      Supprimer