vendredi 19 janvier 2018

THE FLORIDA PROJECT de Sean Baker (2017) par Luc B.



Alors ça, c’est du cinéma indépendant américain, ou j'm’y connais pas. Et j’aime bien, beaucoup même. Le réalisateur Sean Baker (aussi scénariste, producteur, monteur) s’est fait connaitre y’a deux ans avec TANGERINE, un film réalisé avec un smartphone (celui avec le logo des Beatles dessus) et des actrices amateurs…

Pour celui-ci le réalisateur a eu plus de moyens, mais le casting principal est constitué d’un acteur confirmé, l’excellent Willem Dafoe plus buriné que jamais, et d’une comédienne débutante repérée sur Instagram, Bria Vinaite, aussi lituanienne que tatouée ! Plus une ribambelle de gamins.

Qui passent les vacances d’été au Magic Castel Motel, tout repeint de violet, dans la banlieue de Kissimmee, en Floride. Le parc Disney World n’est pas loin, ce barnum du divertissement rose guimauve. Mais pas question pour les gamins d’y aller. Trop cher. Alors ils restent là, à trainer, courir dans les couloirs, cracher sur les voitures, jouer à cache-cache dans le bureau du gérant, Bobby. Et ils mangent des glaces, se baignent à la piscine, bref, ils passent le temps, se marrent bien, se contentent de peu : cette jolie scène où deux gamines vont voir des vaches, au bout d’un champ, l’une disant à sa copine « je t’emmène en safari ! ». 

L'héroïne s’appelle Moonee. Une petite peste à la voix criarde. Jouée par Brooklynn Kimberly Prince, 7 ans, qui a un sacré bagou, une petite sœur d’Antoine Doisnel dans les 400 COUPS. Sa mère, c’est Halley, tignasse bleue, moue boudeuse, tatouée sur les miches, un peu portée sur la fumette, qui arrondit ses fins de mois comme elle peut, mais qui l'aime, sa gosse. Les scènes entre elles sont drôles, cocasses, sonnent vraies, sans jamais sombrer dans le pathos où le réalisateur aurait eu vite fait de plonger.

Car ce que nous raconte Sean Baker, c’est cette Amérique des laissés pour comptes, des exclus, qui regardent la grande roue sans jamais y monter, ceux qui paient leur loyer chaque semaine, sans savoir s’ils auront de quoi la semaine suivante, mais qui vivent et restent dignes, parce que putain, y'a pas de raison, déjà qu'on est pauvre, alors si en plus on fait la gueule...

Baker privilégie ses personnages - pas le discours social - il en montre les travers, les aigreurs, les faiblesses, comme il souligne aussi la solidarité, la débrouille contagieuse, les espoirs, la liberté. Bobby, figure presque paternelle (c'est le seul homme présent pour les gamins) fait ce qu’il peut pour rendre la vie plus douce à ses locataires, il avance même parfois les loyers, mais il n’est pas le patron. Chacun fait un effort, fait en sorte que cette mini société vive bien, comme la copine serveuse au Mc Do qui refourgue depuis l’arrière cuisine de la bouffe aux gamins. Ou Bobby encore, qui chasse de l’air de jeu un p’tit vieux suspect, drôlement attiré par les petites gamines...

Sean Baker ne fait pas dans le misérabilisme, son film est tonique, coloré, dynamique, évite le mélodrame sur les dernières scènes, où l’ombre du Chaplin de THE KID plane. On y pense un peu, forcément… Et les gamins acteurs sont formidables, agaçants juste ce qu’il faut. On voit bien par le montage des plans, souvent coupés, que Baker a dû faire jouer les enfants longtemps (soit en respectant le script strict, soit en impro, les bons jours), pour ne garder que le meilleur. Le film épouse leurs points de vue, comme ce plan magnifique de simplicité, où Moonee dans son bain, comprend, tétanisée, qu’un homme cherche à entrer dans la salle de bain. Un homme qui vient visiter sa mère...  

Il n’y a pas véritablement de scénario construit, plutôt une succession des scénettes, de tribulations, de situations. Mais le ton change. Un je ne sais quoi d’inquiétant qui se profile, relayé par la répétition, à l'arrière plan, d'hélicoptères qui décollent. Pourquoi ? Parce qu'un héliport jouxtait le décor du tournage, et qu'il fallait bien faire avec ! Ou comment se servir d'un élément extérieur pour l'intégrer au film ! Et ça produit son effet. Le dernier plan surprend par sa forme, dénote totalement (apparition de la musique, jusque là absente du film) je ne sais pas encore si c’est une maladresse, une bonne idée, ou à apprécier comme un épilogue onirique ?

THE FLORIDA PROJECT est en tout cas un film très attachant, sincère, un bonbon acidulé, bien sucré pour mieux en cacher l'amertume, un regard bienveillant, qui ne juge pas, et porté par une troupe de comédiens épatants. A voir en famille, mais pas trop jeune tout de même...


THE FLORIDA PROJECT
couleur - 1h50 - format scope     

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