Au mois d’octobre 2018, cela fera
déjà quarante années que le grand Jacques Brel aura mis le large pour les
Marquises, mais la trace qu’il a laissée restera profonde.
Le rôle d’une vie
En mai
1967, Brel
abandonne la scène et les tours de chants. Il commence à naviguer mais continue
à enregistrer et il commencera à tourner pour le cinéma. Mais la scène lui
manque et en octobre il va reprendre le rôle d’Alonso
Quijano plus connu sous le nom de Don Quixote
de la Mancha, le héros du roman de Miguel de
Cervantès, un chevalier idéaliste, complètement en décalage mais généreux.
La première rencontre avec le chevalier à la triste figure date des années 40. Brel
n’était pas un mauvais élève, mais il ne fréquentait pas les premières places. Il recevra tout de même un prix, ce sera la première rencontre avec le
héros de Cervantès et le professeur qui eut le
bon goût de lui attribuer ce prix avait peut-être ressenti le caractère
généreux et fantasque de son élève.
Tout
va commencer un jour de 1966 alors
que Miche son épouse de retour d’un voyage à New
York ramène à Jacques
Brel le disque «Man of la Mancha» la bande son du spectacle
d’après le livret de Dale Wasserman (Scénariste
du film «Les vikings» avec Kirk Douglas) créé au
Mark Hellinger théâtre de Broadway en
1965. Il est tellement passionné
qu’il prend l’avion pour aller assister aux représentations au Carnegie Hall. Il va voir et revoir le
spectacle cinq fois consécutivement. Il est sous le charme et bouleversé à la fois,
et imagine présenter le spectacle à un public francophone. Il va immédiatement
contacter les producteurs pour obtenir les droits d’adaptation en français
et se réservera le rôle titre avec lequel il se sent en parfaite adéquation. Une
fois toutes les démarches faites, les répétitions débuteront à l’été 1968.
Dario panca et Don Brel de la Mancha |
Jacques Brel est la plus grande vedette
française du music-hall et il va devoir se familiariser avec le travail en
équipe, avec une mise en scène précise et pour la première fois, une musique
qui ne sera pas la sienne. Il acceptera toutes les contraintes et trouvera même
un certain plaisir à redevenir un élève. Il s’applique à tout apprendre et il
doit aussi se faire acteur, lui qui n’avait jamais joué la comédie et chanté
sans micro. Ses compagnons de scène ne sont pas des inconnus, le rôle de Sancho
Panca est tenu par le turc volubile Dario Moreno,
Joan Diener créatrice du rôle et épouse du
metteur en scène Albert Marre (Qui fera la mise en scène du spectacle à
Broadway) jouera celui d’Aldonza (Dulcinéa) même si cette dernière ne
parle pas un mot de français. Depuis le début des répétitions, Brel
perd 10 kilos, il ne pèse plus que 68 kilos pour 1,81 m : «Quand je chantais seul, je mouillais la chemise,
maintenant je la mouille deux fois». Prévue pour trente
représentations, la pièce est créée en octobre 1968 au théâtre royale de la Monnaie à Bruxelles, deux heures d’un
spectacle hallucinant avec un tendre Sancho-Moreno qui
avoue : «Je pleure tous les soirs de vraies
larmes. C’est Brel, il meurt trop bien. Ca me bouleverse». Tous
les soirs, avant d’entrer en scène, derrière le rideau, Jacques Brel embrasse son Sancho
Panca comme s’il pressentait la séparation de leur couple pourtant indissociable.
C’est un triomphe, toutes les représentations bruxelloises se joueront à
guichet fermé. Les membres de la famille royale se déplaceront pour applaudir
un homme qui se vieillira de vingt ans pour rentrer dans la peau de son
personnage. Don Quichotte avec un accent Flamand devient un héros Brélien, il ne joue pas Don Quichotte, il l’est.
Sancho Moreno :"il meurt trop bien" |
L’adaptation
francophone est (Tout cocorico à part)
supérieure à l’originale, même le journal américain Variety avouera : «Loin
d’être une copie, cette version «gauloise» est supérieure à la version londonienne… Avec
Jacques Brel,
une vedette de nature exceptionnelle».
Brel - Robert Manuel |
La pièce sera présentée au public parisien le 10 décembre 1968 et, comme Brel s’est authentifié au rôle de son personnage, il offre la recette de la première représentation à la recherche médicale. Ce sera le triomphe de la saison théâtrale 1968-1969, la presse sera dithyrambique. Le spectacle tiendra l’affiche pendant cinq mois devant une salle chaque soir archi-comble jusqu'à ce que Brel, épuisé, annonce qu’il abandonnera après la cent-cinquantième représentation.
Le
spectacle est réclamé partout, en Suisse, en Italie jusqu’aux Américains qui ont
vu Brel
à Paris et lui proposent un pont d’or pour reprendre le rôle à Broadway, il
refusera, mais il n’échappera pas toutefois à la gloire outre atlantique. Au
Canada des dates étaient prévues pour l’automne 1969, le producteur va les annuler dès lors que Brel
n’y participe plus. Les partenaires (Dont
Robert Manuel) qui avaient réservé leur calendrier,
vont se retrouver en procès avec le producteur en question. Lors d’une réunion
chez le juge à Paris, avant l’audience, Brel, avec élégance, proposera de les indemniser
coupant court à toute poursuite.
Brel - Joan Diener |
Le 17
mai 1969 s’achève l’ultime représentation.
Brel
a réussi la ou personne n’aurait osé s’aventurer.
La
bande son écrite pas Mitch Leigh lui vaudra deux
Tony Awards en 1966. Entre morceau
de bravoure avec «L’homme de la Mancha» qui ouvre le spectacle et le disque
ou chose étrange, ce n’est ni Dario Moreno et ni
Robert Manuel qui chante le rôle de Sancho Panca,
mais un acteur français du nom de Jean-Claude Calon
qui jouera souvent sous la baguette de Bertrand
Tavernier. On trouvera aussi Armand Mestral
et sa voix de basse que Brel retrouvera la même année dans le film «Mon oncle
Benjamin» ou il gardera les cheveux longs pour la circonstance. Joan Diener a une voix qui rappelle un peut Teresa Berganza avec un peu plus de vibrato. Parmi
les 13 titres du disque «La quête» est celui qui va rester avec un Brel
qui le chante avec ses tripes. Le dernier titre «La mort» n’a rien à voir avec la
chanson du même titre que Brel a chanté et qui commençait par un Dies
Irae des années auparavant.
Ce n’est
pas l’album le plus connu de Jacques Brel, mais c’est une curiosité à
connaitre et à écouter.
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