vendredi 25 août 2017

RIP : JERRY LEWIS (1926 - 2017) par Luc B.


Il est certain que dit comme ça : Jerry Lewis était un acteur comique qui a joué dans "PAR OU T’ES RENTRE, ON T’A PAS VU SORTIR" de Philippe Clair, avec Jackie Sardou… ça fait pas terrible sur un CV. Un des deux films tournés chez nous, on imagine pour des raisons autres qu'artistiques ! Jerry Lewis aimait la France (ses shows passaient à l'Olympia) parce qu'on y reconnaissait son talent et sa vision d'auteur, comme maintes critiques (Malle, Rivette, Godard) l'ont écrit...  Ce que les américains n'ont jamais pigé...

avec Dean Martin
Comme Buster Keaton, ou Chaplin, Jerry Lewis (Jérôme Levitch) découvre et arpente la scène tout gamin, les parents sont du métier. Chansons, mimes, cascades, grimaces, tout est bon pour faire marrer les gens. A 12 ans il monte ses propres spectacles à l’école. Il n’y fera pas long feu, à l’école, car il frappe son prof qui l’avait traité de sale juif. Bien plus tard, sur le tournage de LA VALSE DES PANTINS, les tirades de De Niro contre les juifs le mettra dans une colère noire, et c'est exactement ce que recherchait Scorsese ! Réformé, il ne part pas à la guerre, et s’extirpe de son New Jersey minable pour conquérir Manhattan, dès 17 ans, avec ses clubs de jazz qui le passionnent tant (voir ses sketches avec le batteur Buddy Rich, ses fameux playback de Count Basie...). Et ça marche, il se fait un nom, les critiques l’ont à l’œil.

En 1946, il découvre un crooner débutant, Dean Martin, et une idée va germer. Monter un duo, opposant le beau mec glamour, qui chante la sérénade aux filles, à l’idiot binoclard qui vient lui casser la baraque. En scène Jerry Lewis et Dean Martin improvisent, rivalisent (les Poiret - Serrault locaux !), le public est ravi, les cabarets se les arrachent, et bien sûr, Hollywood s’en mêle. De 1949 à 1956, ils tournent 17 films ensemble, le succès est phénoménal. Martin et Lewis sont les plus grandes stars du pays, leurs shows télé sont suivis par des millions d’américains, les marques sponsors des émissions paient des fortunes pour que leurs produits soient brocardés en direct, les tournées font salle comble, ils investissent les nouveaux lieux de Vegas, que Dean Martin continuera à fréquenter ensuite avec Sinatra et Sammy Davis Jr. Difficile de se rendre compte, chez nous, il n'y a aucun équivalent français.

Le décor conçu pour "Le Tombeur", Lewis au centre, en pull rouge...
Franchement, les films sont parfois bons, parfois un peu surfaits, les trames se répètent, gags, romances, chansonnettes, comme ce PITRE AU PENSIONNAT (1955), où Jerry Lewis joue un enfant de 12 ans, auquel on est en droit de préférer ARTISTES ET MODELES, la même année, réalisé par Franck Tashlin. Disons tout de suite que ni les titres des films, ni le doublage français (cette voix de Duffy Duck insupportable) ne rend justice à l’acteur !

Quand Dean Martin et Jerry Lewis se séparent, le clown se lance dans une carrière de réalisateur. Le public ne lui pardonnera pas cette trahison (on ne s'imagine pas que ce benêt puisse être la tête pensante du couple vedette) et jamais ses films ne battront les records du duo. Jerry Lewis devient l’auteur complet de ses films, de l’écriture au montage, de l’interprétation à la production. Il réalise LE DINGUE DU PALACE en 1960, du pur slapstick, ou il interprète deux rôles, celui d’un groom d’hôtel, muet, et celui d’une star de cinéma… lui-même ! S’il continue d’enchainer les tournages pour les autres, il va réaliser ensuite LE TOMBEUR DE CES DAMES (1961) où il fait bâtir un décor grandiose, filmé à grand renfort de mouvements de caméra. Jerry Lewis ne se contente pas de faire le pitre devant l’objectif, la mise en scène est très étudiée. Pour contrôler au mieux l’image, le cadre, il utilise un moniteur qui transmet l’image en direct, donc, le principe du retour vidéo, une première. Le film innove beaucoup, osant sur la fin - au prétexte d'un reportage télé - un tournage dans le tournage, où soudain le cadre du décor réel s'élargit, et devient un autre théâtre de marionnettes, une mise en abîme coutumière chez Lewis.

Un des fameux gag de "Mister Love"
LE ZINZIN D’HOLLYWOOD est un bon cru (1962), réflexion sur l’image, le succès, le comique, bourrée de gags, premier ou trente sixième degré. Lewis joue sur la lenteur (le gag des confiseries) comme sur le frénétique, la répétition, incluant des effets poétiques (la marionnette) ou surréalistes, en plus de jouer sur son faciès élastique, ses talents de danseur, de mime. Dans un de ses films, il crédite Marcel Marceau (le mime Marceau !) comme interprète de la chanson du générique, chanson qui n'existe pas, bien sûr ! (Mel Brooks reprendra l'idée du mime Marceau). Dans DR JERRY ET MISTER LOVE (1963) il joue les deux rôles de cette adaptation comique de Jekyll / Hyde, son film le plus célèbre, ou il recrée à sa façon le duo Lewis/Martin. Certains y voient une charge contre son ancien partenaire. Toujours sur le thème du double, et de la satire d’Hollywood, dans LE SOUFFRE DOULEUR (1964) il se filme en comique raté, dont on découvre le talent lorsqu’il remplace une star sur un tournage. Jerry Lewis voulait être considéré comme un auteur, un créateur de comédie, mais pas simplement comme un clown grimaçant. C’est ce qui ressort dans quasiment tous ses films comme réalisateur, qui ne parlent finalement que de lui, et du Cinéma. Dans LES TONTONS FARCEURS (1965) il interprète les 7 tontons, et se triple dans TROIS SUR UN SOFA (1966), avec Janet Leigh.

Avec Robert de Niro dans "La Valse des pantins"
La suite est moins intéressante, mais le succès à la télé ne se dément pas, avec l’invention du Téléthon (1966), qu’il anime jusqu’en 2010. A la fin des années 60, il se blesse sur un tournage, et devient accroc aux anti-douleurs, et amphets. Une dépendance qui ne facilite pas ses futurs projets, qui s’en ressentent. En 1972 il travaille sur un projet ambitieux : LE JOUR OU LE CLOWN PLEURA, un clown déporté à Auschwitz chargé de divertir les enfants menés aux chambres à gaz. Thème et tournage difficile, ses partenaires financiers font faux bons, Lewis finance ce qu'il peut, mais doit abandonner. Sa grande œuvre (son "DICTATEUR" à lui, comme il le rêvait) ne verra pas le jour, pas de son vivant en tout cas, puisqu’il la renie, confie le négatif à la bibliothèque du Congrès, en interdisant la diffusion jusqu’en 2025. Roberto Benigni se souviendra de l'idée pour LA VIE EST BELLE, avec le succès qu'on connait.

Si AU BOULOT JERRY ! (1980) remporte un franc succès au cinéma, Jerry Lewis va surtout se consacrer à son métier d’acteur. Il est phénoménal dans le méconnu et excellent LA VALSE DES PANTINS de Scorsese (et là encore, un rôle très autobiographique), on le voit dans ARIZONA DREAM de Kusturica (il joue l’oncle de Johnny Depp), dans FUNNY BONES (Peter Chelsom, 1995) où il joue qui ? Un illustre comique qui humilie son fils aspirant comédien…  

Le problème d'un type comme Jerry Lewis, c'est qu'on le prend pour le personnage qu'il interprète. Pas au sérieux. Or, lui, désirait faire très sérieusement son travail. Il s'est donné les moyens de son indépendance artistique, et à pu développer ses idées, ses projets. Derrière ses gags et mimiques, parfois faciles, il y avait le don de dynamiter le système, les codes, créer le chaos.

J'ai toujours considéré Jerry Lewis comme un Jacques Tati, un type qui a cherché tout le temps la reconnaissance, et les financements pour ses projets. Si Tati était économe de ses apparitions (peu de films) Lewis a monopolisé les écrans et les plateaux pendant plus de 30 ans. Mais n'aura jamais pu réaliser son PLAYTIME à lui, et c'est bien dommage.

Des milliers d'hommages et de vidéos en stock (preuve que le pitre était presque une institution...), j'en ai sélectionnées quelques unes... Un extrait fameux du "Zinzin d'Hollywood", un extrait de show avec Dean Martin (putain, le gag du trombone !!!), et un florilège de scènes issues de films. Et la "machine à écrire" ? Allez chercher vous mêmes !!!



  

5 commentaires:

  1. Je serais la mouche dans le verre de lait, je n'ai jamais aimé le comique de Jerry Lewis, quitte à subir les foudres de certains ! J'assumes !

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  2. Tu n'es pas le seul, Pat ! C'est un comique qui verse dans souvent l'absurde, les scènes durent en longueur, il faut parfois être "dedans" pour piger où il veut en venir. Tout ne me fait pas marrer non plus, mais en revoyant beaucoup de vidéo, il y a un vrai univers, et des performances assez folles ! C'est comme Jacques Tati, y'a plein de gens qui ne voient pas ce qu'il y a de drôle dans Playtime, ou Mon Oncle.

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    1. J'aime la poésie et l'humour en finesse qu'il y a chez Jacques Tati, j'ai toujours été un grand admirateur du "Chaplin" français

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  3. Excessif et bien trop grimaçant a mon gout, je n'ai jamais pu adhéré a son humour moi non plus. A cause de ça principalement.
    L'hommage est néanmoins plus que justifié.

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    1. Oui, hommage justifié, si il n'y avait qu'un film que je retiendrais, ce serait "La Valse des pantins"

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