- Tiens, un petit nouveau méconnu M'sieur Claude ? Guillaume Lekeu, un
français je suppose avec ce nom, mais Guillaume est un prénom de toutes
les époques…
- Non belge ma petite Sonia et élève de César Franck également belge !!
Peu connu car mort à 24
ans en mangeant une glace… Non, pas une histoire belge
mais
plutôt triste…
- Ah ?! Si jeune, je comprends mieux l'association avec Franck dont la
sonate pour violon et piano est
une pièce très connue je crois. Quant aux artistes M'sieur Claude ?
- Il y a longtemps que je voulais parler de Christian Ferras, un grand
violoniste français, un complice du grand Karajan. Lui aussi a connu une
fin tragique et prématurée…
- Décidément… Pourtant la musique que j'écoute me semble couler de
source, très poétique. Par contre la pochette du CD est vraiment
moche…
- Toujours dans cette collection, Sonia. Pas moche, carrément hideuse et
idiote, et il aurait été élégant d'ajouter le nom de Pierre Barbizet,
complice au clavier de Ferras dans ce disque culte…
Portrait de Guillaume Lekeu par Servais Detilleux
(1874-1940) XXXXXX |
Cette chronique sera sans doute la seule consacrée au musicien belge
Guillaume Lekeu. De nos jours, hormis cette
sonate pour violon et piano
écrite en 1892 à la demande du
célèbre violoniste virtuose
Eugène Ysaïe, très peu d'œuvres de ce jeune compositeur prometteur figurent aux
programmes des récitals ou des publications de disques. Sa disparition
prématurée nous a légué
un catalogue bien modeste dont la plupart des œuvres sont restées
inachevées. Des exceptions,
et encore, un trio et
deux quatuors
dont un incomplet ne
comportant que deux mouvements.
Guillaume Lekeu
voit le jour près de Liège en
1870. L'enfant se révèle doué
pour la musique mais l'installation de la famille à
Poitiers en
1879 n'est pas propice à un
enseignement musical de haut niveau.
Jusqu’à ses 18 ans, en
1888, le jeune homme sera donc
autodidacte.
Nouveau déménagement en 1889,
à Paris cette fois, où
Lekeu
peut enfin fréquenter les cours pointus de
César Franck
et de
Vincent d'Indy. En 1891, il est second
Lauréat du Prix de Rome belge avec une cantate intitulée
Andromède. Même si les cantates des prix de Rome finissent souvent dans les limbes
de la musique classique, cette récompense témoigne de la maîtrise que ses
deux grands maîtres ont su lui apporter en quelques années.
L'apprenti compositeur a déjà à son actif diverses pièces dont une sonate
pour violoncelle et un quatuor achevé. Des œuvres imparfaites mais un peu
folles, dans la lignée des compositions de l'époque inspirées du style
wagnérien assagi cher à l'école franckiste. Sont-elles toutes publiées ?
Mystère.
Eugène Ysaïe, fasciné par la fougue de l'écriture de
Lekeu, lui commande une sonate créée en 1893.
Le lendemain de son 24ème anniversaire en
1894, il mange une glace
faisandée. La fièvre
typhoïde l'emporte. L'histoire de la musique perd un jeune prodige à la
fleur de l'âge.
En 1994, l'année du centenaire de sa disparition, le label Ricercar a publié une anthologie en 9 CD déjà indisponible
dont
Andromède. Quelques autres disques, notamment le
quatuor de 1888, ont été
gravés. La seule
chronique ?
L'avenir de la
discographie le dira…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Christian Ferras (1933-1982) |
Autre destin tragique, autre musicien d'exception.
Si
Christian Ferras
est bien connu des mélomanes assidus, c'est moins le cas pour un public plus
large qui citera plus facilement
Menuhin
ou
Oïstrakh
à la question d'un Quizz : "citez un ou deux violonistes de génie du XXème siècle".
Christian Ferras
voit le jour au Touquet en
1933. À sept ans, le garçonnet
fait ses premières armes sur un violon offert par son père lui-même
violoniste amateur de talent. Dès la première année de travail intensif, il
entre à huit ans au conservatoire de Nice. Les progrès et la maîtrise sont
fulgurants. En 1944, malgré le
chaos de l'occupation et de la libération, la famille Ferras gagne Paris et
le jeune
Christian
entre au Conservatoire de
Paris à 11 ans !
À 13 ans il est déjà lauréat du premier prix en interprétant le difficile
concerto de
Brahms.
Jacques Thibault, violoniste de premier plan qui donnera son nom à un concours, est éberlué
par la précocité de l'adolescent. Une grande mais courte carrière
internationale commence.
Jusqu'à la majorité il parcourt déjà les grandes salles de concert, se
perfectionne auprès de
Georges Enesco, l'ami de
Yehudi Menuhin
qui lui offrira un prix. Prix qu'il partage avec
Michel
Schwalbé
qui deviendra violon solo du
Philharmonique de Berlin
pendant l'ère
Karajan
de 1957 à
1986. C'est à cette époque
qu'il fait la connaissance de
Pierre Barbizet
qui sera son fidèle complice pour le répertoire piano-violon.
Christian Ferras et Pierre Barbizet vers 1950 |
Hélas, pour le prodige, les années 70 seront celles de la chute aux enfers.
Psychologiquement fragile,
Christian Ferras
est un virtuose dépressif qu'une fée malfaisante :
l'alcool, va écarter des studios d'enregistrements, trimbaler de cure en
cure et d'annulation en
annulation de concerts et de récitals.
Une autre fée perverse : le jeu, aura raison de ses finances. Il doit se
séparer avec déchirement de l'un de ses stradivarius pour éponger ses
dettes. Malgré quelques tentatives isolées et couronnées de succès pour
enchanter de nouveau son public de fidèles, il se défenestre en
1982 à l'âge de 49 ans.
On a polémiqué autour de cette vie centrée sur le violon et uniquement le
violon, sur un père rude qui ne laissa jamais son gamin faire les quatre
cents coups avec d'autres enfants. Même adulte, le
violoniste reste une énigme,
un solitaire et un magicien de l'archet, que ça. Une sonorité et une
virtuosité sans égales, certes, mais au prix de la ruine affective et
sociale. Ce n'est pas nouveau chez les grands instrumentistes de tout bord
qui brulent toute leur énergie pour leur art.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Dune embrumée au Touquet (Photo : Claude Toon) |
1 – Très modéré - Vif et passionné
: Une mélodie sinueuse et tendre se développe dans un clair-obscur élégiaque
noté p. Le piano accompagne ce
leitmotiv qui va parcourir le mouvement poétique par des accords notés
pp, sans legato mielleux,
discrètement. Une atmosphère brumeuse d'où perce une luminosité argentée
illumine cette introduction langoureuse et sensuelle. À l'évidence,
Lekeu
compose en homme de son temps. On pourra avoir le sentiment diffus d'écouter
une seconde sonate de
Franck
(pas surprenant puisque le compositeur fut son mentor), mais aussi de
savourer les sonorités indécises et mystérieuses d'un
Gabriel Fauré. Par ailleurs les notations de tempo excluent les indications en italiens
pour des expressions françaises chères à un
Debussy. La mélopée gagne lentement en puissance. Le jeune compositeur à la fois
enflammée et fébrile oscille entre une ligne de chant douce et des motifs
plus mélancoliques, une ambiguïté typique de l'écriture française de cette
fin du XIXème siècle.
César Franck XXXXXXX |
2 – Très lent
: [11:03] dans le mouvement central, les deux artistes semblent réfuter le
climat douloureux souvent évoqué
à propos de cette mélodie à la structure linéaire. À ce propos, on ne
ressent pas l'extrême lenteur notée à la clé. Certes
Guillaume Lekeu nous entraîne dans un
univers très intériorisé mais dépourvu d'angoisse. Le mouvement apparait
comme une rêveuse ballade sous des ramures ténébreuses. Il ne faut pas se
méprendre :
Lekeu
a en cette année 1893 toute la
vie devant lui et non une épée de Damoclès qui tourmentait
Schubert en son temps et
Mahler au début du XXème siècle. Je trouve ce récit quasi bucolique
voire enchanteur. La composition ne cherche pas les effets ou les prouesses,
c'est étonnant et inattendu chez un jeune homme qui cherche une harmonieuse
simplicité, là où un
Brahms cherchait (avec bonheur) à éblouir. Nous écoutons une musique diaphane et
secrète qui ne se prête guère à une analyse savante. Pour tenter de résumer
: une musique ni enjouée ni morbide qui évoque le trouble et les affres d'un
jeune couple naissant et encore intimidé.
3 – Très animé
: [20:04] Le virevoltant final contraste nettement avec la douce moiteur
entendue avant.
Lekeu
propose une conclusion vif-argent à sa sonate. Les changements de tempos
sont les signatures d'un style qui se cherche entre cavalcade et retenue. On
retrouve ainsi derrière une apparente gaité, les questions qui assaillent un
grand adolescent surdoué quant à sa carrière et à son devenir. Il ne le sait
pas encore mais la réponse sera bien cruelle.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Cette sonate est assez bien présente au disque. Cette interprétation domine
le haut de la discographie par la vitalité très authentique qui évite tout
romantisme évanescent d'une part et pire, toute brusquerie wagnérienne. Elle
est un complément parfait de l'interprétation de la célèbre sonate de
Franck
qui, il faut le dire, ne lui fait pas d'ombre, même si sa composition est
techniquement plus habile, forcément. En troisième partie, le
poème pour violon et orchestre
de
Ernest Chausson déjà commenté dans ce blog sous les doigts de
Julia Fischer. Il s'agit d'un enregistrement mono de
1953 avec l'orchestre national de Belgique dirigé par
Georges Sébastian. Le son est un peu acide mais j'ai ajouté la vidéo comme témoignage de la
ductilité et de la souplesse du jeu de
Christian Ferras.
L'album comportant
trois concertos célèbres
réunissant
Ferras
et
Karajan
dans les années 60 est un pilier de toute discothèque classique. Le
quatuor Debussy, familier des répertoires à découvrir, a enregistré les deux
quatuors pour cordes
avec brio. Enfin, on peut se laisser séduire par le
trio
également enregistré chez Arts par le
trio Spiller.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Mourir de la typhoïde après avoir mangé un sorbet, ça jette un froid !!! Ne connaissant absolument pas Guillaume Lekeu, je dois avouer que cette sonate pour violon est très agréable à écouter. J'ai parcouru le net pour écouter d'autre oeuvres et je dois dire que l'adagio pour quatuor d'orchestre est très beau ainsi que l'introduction et adagio pour tuba et orchestre. Ce gars est mort trop tôt. Mais qu'est ce qu'il lui à pris de manger du sorbet au mois de janvier ????
RépondreSupprimerPour Christian Ferras, rien a dire, un jeu à la Thibaud, à la Oïstrakh, à la Schwalbé. Un violoniste qui tombe à pic ! (Houps ! très mauvaise image ! je sors !)
Merci pour ce formidable article.
RépondreSupprimerJe vais donc essayer de trouver du Guillaume LEKEU en vinyle....
Merci Cirimax
RépondreSupprimerOui on trouve des LP des deux sonates à des prix décents (23 € en Belgique noté NM : https://www.discogs.com/fr/sell/release/6924560?ev=rb)
Bonne recherche :o)
C'est tellement dommage d'avoir perdu de grands musiciens si jeunes, imaginez ce qu'ils auraient apportés à la musique classique en vivant trente ou même cinquante ans de plus ?
RépondreSupprimer