- Tiens une symphonie de
Prokofiev en cette période estivale M'sieur Claude ? Ce n'est pas un peu ardu ?
- La symphonie dite
"classique" écrite par un jeune compositeur avant-gardiste de 25 ans
est un OVNI en hommage à l'époque classique en général et à Haydn en particulier
!
- Ah ? bien, mais est-ce
une grande œuvre, les symphonies de Haydn que je connais durent environ 25
minutes et ne manquent pas de lyrisme et d'humour…
- Deux mots bien choisis
ma chère Sonia. Contrairement aux monuments que sont les graves 5ème
et 6ème symphonie de Prokofiev, voici un petit bijou d'un quart d'heure à peine.
- Vous avez choisi un chef
souvent présent dans ce blog, l'italien Carlo Maria Giulini, un choix murement réfléchi…
- Non, il existe des dizaines
de bonnes versions. J'ai trouvé une bonne vidéo de l'époque où le chef
travaillait avec l'orchestre de Chicago. Très bien, ce n'est pas une œuvre métaphysique
mais fantaisiste...
![]() |
Prokofiev dans ses jeunes années XXXX |
Oui,
un OVNI, car pour un mélomane néophyte écoutant en aveugle pour la première
fois cette amusante symphonie, des suggestions comme Mozart,
ou plutôt Haydn vont fuser pour tenter
de classer cette partition dans l'histoire de la Musique… Un Haydn très slave☺.
Réfugié
à Saint-Pétersbourg, le jeune Serge
de 25 ans n'a même pas un piano pour composer ! (Une légende urbaine ?).
Il se passionne pour la perfection formelle des symphonies de Joseph Haydn,
pape du genre lors du siècle des lumières puisqu'il en composera 104. Et ce ne
sont jamais des œuvrettes composées à l'arrache, loin de là, mais de riches
partitions avec des durées de 25 à 30 minutes qui ouvriront la voie pour
l'exploitation de cette forme orchestrale par Mozart
et par Beethoven.
À
la même époque, Prokofiev compose plutôt des
œuvres ouvertes vers le modernisme comme le 1er concerto pour violon
qui n'a absolument rien de classique avec son écriture chaotique, ses ruptures
de rythme et son orchestration luxuriante aux antipodes de celles du XVIIIème
siècle (Clic). Il est évidemment critiqué pour ces innovations et il est licite de
penser que l'écriture de cette symphonie "à la manière de" est une
provocation cocasse pour montrer que le jeune compositeur maîtrise totalement
les bases du métier. La création en 1918
fait un tabac y compris auprès des premières autorités artistiques communistes
de Petrograd (qui, si je puis permettre ce mot, ne font absolument pas autorité
en la matière). La seconde
symphonie de 1924,
composée en France, sera, à l'opposé, une musique fracassante et atypique influencée
par le mouvement cubiste.
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Comme
le précise Sonia Carlo Maria Giulini a déjà
souvent fait la une des articles du blog, soit comme interprète du disque
commenté dans l'article, soit comme choix recommandable dans les discographies
alternatives. Quatre articles : comme accompagnateur de pianistes illustres
dans le concerto
l'empereur de Beethoven
ou le premier
concerto de Brahms
; de nouveau Brahms pour sa 4ème
symphonie et enfin, déjà avec l'orchestre
de Chicago, sa gravure culte de la 9ème symphonie de
Mahler. (Index) La biographie la plus
complète de cet immense artiste se trouve dans l'article consacré à la 4ème symphonie de Brahms.
L'orchestration
de la symphonie est un clin d'œil aux symphonies de la maturité de Haydn : 2/2/2/2, 2 cors et 2 trompettes,
cordes et timbales. Un effectif rigoureusement identique à celui de la symphonie N° 101 "l'horloge".
De même la forme est en quatre mouvements avec une gavotte en lieu et place du
menuet.
L'allegro
initial démarre sur les chapeaux de roues. Quelques mesures crescendo et
enlevées des cordes donnent la parole aux violons et aux vents pour énoncer un
thème porteur plein de verve. Ça ressemble à du Haydn
par la bonhomie du phrasé, ou encore par le solo pétillant du basson à partir de [1:02], et
pourtant, on entend à merveille dans cette musique le Prokofiev chorégraphe des ballets comme Roméo et Juliette. Le
discours semble encore plus concertant que dans les portées imaginées par ses aînés 150 ans
auparavant. Il y a un parfum de concerto grosso dans cette vitalité cocasse et
champêtre. Prokofiev veut accentuer l'attention portée à l'héritage "classique" en respectant
avec soin la forme sonate : les développements, les reprises da capo, la brève coda.
Carlo Maria Giulini pourra sembler adopter
un tempo plus retenu que ses homologues russes. Ce n'est qu'un leurre dû à la
limpidité de la mise en place et à l'équilibre précis entre pupitres (merveilleuses
trilles à [3:26]). Haydn sans doute, Prokofiev surement, grâce à un legato très
articulé, peu germanique en réalité, très slave par sa rythmique soutenue.
[4:38]
Le mouvement lent ne l'est pas vraiment car noté larghetto. Prokofiev
aborde le passage avec un style de marche délicat, une évocation courtisane. La
seconde idée est réellement scandée avant de dériver vers une mélodie
gracieuse, un ballet viennois par une douce lumière printanière. On retrouve le
souci du détail et de l'équilibre, du contrôle absolu de chaque petit motif, une
direction caractéristique du maestro italien.
[8:31]
la gavotte notée allegro non troppo s'écarte sensiblement de l'univers abstrait de Haydn pour nous entrainer dans une danse
de cour un peu ironique mais aux sonorités aucunement désuètes.
[10:06]
Un final en forme de chevauchée. Prokofiev
enjoué s'amuse. Une forme rondo fréquente dans une symphonie classique d'où la
musique jaillit par divers motifs brillants et lyriques. Carlo
Maria Giulini et son orchestre de rêve maintiennent leurs
options métronomiques et surtout l'élégance raffinée de leur jeu. L'air circule
entre tous les pupitres. Aucune précipitation, une joie bon-enfant pour cette
partition aux accents ludiques.
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