vendredi 22 juillet 2016

MEUTRE MYSTERIEUX A MANHATTAN de Woody Allen (1993) par Luc B.


Pourquoi ce film-là plutôt qu’un autre ? Parce que je viens de le revoir pour la dix-huitième fois, parce que c’est un de mes préférés, qu’il résume tout le savoir-faire et l’esprit de Woody Allen, parce que l’histoire est géniale, la mise en scène d’une liberté nouvelle.
A l’origine, cette histoire devait faire partie de ANNIE HALL (1977), co-écrit avec l’écrivain dialoguiste Marshall Brickman, qui a travaillé avec Woody Allen à ses débuts, jusqu’à MANHATTAN. Finalement, l’idée n’est pas retenue, Allen l’offre à Brickman si d’aventure il souhaite la développer plus tard. Brickman n’en fera rien, et en 1993, Woody Allen reprend le scénario.
L’histoire est celle du couple Carol et Larry Lipton, les derniers à avoir vu vivante leur voisine d’appartement, madame House. Qui claque d’une crise cardiaque. Paul House, le veuf, ne semble pas spécialement accablé de douleur. Ca et d’autres indices, petits mensonges, persuadent Carol Lipton que Paul House a assassiné sa femme. Elle décide de mener l’enquête, aidé d’un ami, Ted, et au grand dam de Larry. La théorie du meurtre se confirme, reste à coincer le coupable…
MEURTRE MYSTERIEUX A MANHATTAN tient de la comédie policière, de l’étude de caractère. Les deux se mêlent joyeusement, avec un équilibre quasi parfait. L’intrigue policière est particulièrement bien foutue, il y a de réels enjeux, le spectateur est immédiatement happé, convaincu par Carol que cette histoire n’est pas claire, et elle nous entraine avec elle à la recherche d’indices. L’enquête est prétexte à de belles scènes de comédie. La fouille de l’appartement, les filatures, toute la séquence dans un hôtel miteux où Larry se fait passer pour un flic hard-boiled, alors qu’il panique dans un ascenseur !
Le spectateur va de surprises en révélations (je n’en dirais donc pas trop…), et on note un plan en commun avec LE SILENCE DES AGNEAUX. Si si, dans l'ascenseur... C’est un des films préférés de son auteur. La mise en scène est très ludique, et surtout d’une grande liberté. C’est l’époque où Woody Allen filme caméra à l’épaule. Il fait ce que beaucoup ne s’autoriserait pas. Comme faire parler ses acteurs hors champ. Plutôt que d’avoir une caméra en mouvement dans un appartement, ce sont les personnages qui bougent, vont à droite, à gauche, disparaissent, réapparaissent, sans que la continuité du dialogue soit rompue (merci à Jean Renoir et à LA REGLE DU JEU, dont Woody Allen s’est toujours déclaré fan absolu).
Autre figure de style propre à Woody Allen, la manière de filmer un dialogue dans la rue. Le cadre commence vide, mais on entend les personnages parler, qui apparaissent ensuite à un coin de rue, et viennent vers nous. Pas de perche-son, donc des micros HF, permettant une grande liberté de mouvement. Tout cela profite au film, à ce ton léger, badin, au rythme échevelé, et colle au côté amateur de ces apprentis détectives.
Comme toujours, le film est aussi un regard porté sur le couple, le vivre ensemble, ici, le vieillir ensemble. Ted est amoureux de Carol, ça saute aux yeux, raison pour laquelle Larry essaie de le caser avec une de ses auteures (il est éditeur) célibataire et croqueuse d’hommes. Les seconds rôles sont comme toujours soignés, Ted, joué par Alan Alda, et Marcie Fox, jouée par Angelina Huston. Grande, toute vêtue de noir, sûr d’elle, sa morphologie détonne avec celle de Woody Allen, est créé du comique. La scène où elle lui apprend à jouer au poker…
Et celle, géniale, où les quatre discutent dans un restau du problème que suscite l'absence de cadavre pour juger un crime, à haute voix. Plus Marcie dit des horreurs macabres, plus les deux mecs fondent d'amour pour elle ! Ils mettent au point une stratégie, pour piéger Paul House au téléphone, en lui faisant croire à un dialogue avec sa maîtresse, alors que les phrases sont issues d’enregistrements passés sur cassette, déclenchés au bon moment…
La fin du film culmine avec la scène dans le vieux cinéma qui passe LA DAME DE SHANGHAI d’Orson Welles. La fameuse tuerie dans la galerie de miroirs. Scène reproduite par les protagonistes, et qui se superpose au film projeté. Un tour de force assumé par Woody Allen, qui d’ordinaire y rechigne, mais qui ici souhaitait vraiment se faire plaisir. Il pousse jusqu’à faire boiter la secrétaire et complice de Paul House, comme l’avocat dans le film de Welles. Il y voit aussi des extraits de ASSURANCE SUR LA MORT de Billy Wilder, citation toute indiquée.
Une autre référence avait été saluée. Dans une scène de rue, on voit à l’arrière-plan un bus passer, avec sur son flanc l’affiche de VERTIGO d’Hitchcock. Et tout le monde d’applaudir cette trouvaille, sauf que… Woody Allen a expliqué depuis que c’était un pur hasard, c’est une fois le film sorti qu’on lui a fait remarquer cette coïncidence !
Les acteurs sont fabuleux, Diane Keaton, Alan Alda, Angelica Huston, les dialogues toujours aussi fins et drôles. C’est dans ce film, alors qu’ils ressortent de l’opéra avant la fin du spectacle, qu’on entend Woody Allen dire à Keaton : « Si j’écoute trop de Wagner, ça me donne envie d’envahir la Pologne ! ». On y entend aussi cette mise en garde de Larry à sa femme : « Je t'interdis d'y aller, je t'interdis ! tu entends, je t'interdis... si jamais tu y vas, plus jamais je t'interdirai quelque chose ! ».  La dernière réplique est fabuleuse, d’abord écartée car jugée moyenne, puis finalement réintégrée (il a fallu retourner juste ce plan alors que le film était fini) : En parlant de Ted, au physique plus avantageux que le sien, Larry questionne sa femme : « Retire-lui ses semelles compensées, son faux bronzage et ses couronnes, il reste quoi ? ». Et sa femme répond : « Toi ! ».
C’est drôle, pétillant, ingénieux, intelligent, prenant (l’enquête n’est pas un prétexte, mais guide tout le film), c’est un régal de chaque minute. Bon sang, mais pourquoi ça parait si simple… sauf que, si ça l’était, on aurait des comédies de ce calibre plus souvent, ce qui est loin d’être le cas.


couleurs  -  1h50  -  format 1:1.85 
bande annonce sans sous-titre...      



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2 commentaires:

  1. Voir 18 fois un Woody Allen, écouter les éructations springsteeniennes pendant près de 4 heures. J'ai enfin trouvé la raison de ces comportements aberrants: tu es un mystique, l'héritier des pénitents des siècles passés qui cherchaient la mortification après une vie de péché. La musique et le cinéma ont juste remplacé la haire et le cilice, voilà tout. Quant à savoir ce que tu as à expier, vu les tourments que tu t'infliges....

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    1. Shuffle, dans la liste des tourments tu as oublié les Deepurpleries...Luc ne répondra peut être pas rapidement, étant est en vacances (pénitence? Saint Jacques de Compostelle?), sans smartphone, sans portable, sans connexion internet ..

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