mercredi 13 avril 2016

Billy THORPE & The AZTECS "Live ! At Sunbury" (1972), by Bruno



     En ce début du mois de janvier 1972, les jeunes australiens amateurs de sensations Rock'n'Roll sont fébriles. Dans une banlieue de Melbourne, à Diggers Rest, plus exactement à Sunbury, va avoir lieu le premier festival de musique Rock d'Australie. Sur trois jours complets, du 29 au 31 janvier inclus, près d'une trentaine de groupes du continent vont se succéder sur le terrain de George Duncan pour déverser un flot continu (ou presque) de décibels, faisant cracher leurs amplis sans crainte de restrictions quant au niveau sonore (si ce n'est ce que peut supporter la sono avant de rendre l'âme...). C'est le Woodstock Australien, et là, tous les groupes jouent gratis.
 

   Pour ce premier festival des antipodes, une majorité de combos n'en sont qu'à leur début de carrière, certains même n'ont pas encore enregistré de 33 tours. D'autres jouissent déjà d'une certaine réputation et ont à leur actif un ou plusieurs témoignages de leur musique, gravé dans la cire. Ainsi les Carson, Chain, Greg Quill & Country Company, Max Merritt & The Meteors, Blackfeathers, Wendy Saddington, Wild Cherries (avec Lobby Loyde) font office de mentors,
 d'incontournables de la scène australienne ; quelques uns de tête d'affiche. alors que la plupart aujourd'hui, ne signifie plus rien, même chez eux. Suite à la copieuse programmation, le festival est surnommé, par ses organisateurs, "Bigger than Big". 

     Mais si les kids attendent avec impatience la prestation d'un groupe, c'est bien celle de Billy Thorpe & The Aztecs. Plus la date approche, plus le sujet revient dans les conversations et prend de l'ampleur. On dit que les Aztecs vont déchirer ou encore que Billy Thorpe, en véritable killer, va tuer tout le monde. Ce n'est pas sans raison si les organisateurs ont programmé ce quatuor en clôture du festival. Ce devrait être le zénith de la manifestation, l'assurant ainsi d'un succès.

   C'est que Billy Thorpe est déjà une célébrité depuis les années 60. Les Aztecs ont déjà eu leur heure de gloire avec quelques hits bien placés lors de la décennie précédente, et ont même eu le privilège d'animer une émission musicale à la télévision ("It's All Happening").
Billy Thorpe qui, suite au déclin des Aztecs d'alors  et du split qui en découla, avait quitté le territoire pour tenter sa chance en Angleterre (son pays natal, il est né le 29 mars 1946 à Manchester). Il revint assez rapidement et remonta de toutes pièces un nouveau "Aztecs" avec l'aide de Lobby Loyde. Un furieux apôtre de la guitare Heavy-blues-rock. Ce dernier a participé à la nouvelle orientation, largement plus heavy. C'est un euphémisme. 


     On peut subodorer que lors de son séjour à Londres, Thorpe a forcément eu l'occasion de voir, au pire d'écouter, des fantassins des légions de jeunes échevelés triturant le Blues dans tous les sens. Et qu'il est tout à fait plausible qu'il ait eu alors une révélation. Cependant, le 
Lobby Loyde n'est pas un innocent né de la dernière pluie. D'après Angry Anderson (Rose Tattoo), il serait l'instigateur du son de la guitare rock Australienne, et d'après Thorpe lui-même, le parrain. 

      Le dernier disque studio, "The Hoax is Over", marque une cassure nette et béante - un véritable gouffre - entre le nouveau et l'ancien "Aztecs". Ce n'est plus le même groupe. Rien à voir. Le Beat et la Pop se sont éclipsés face à la furie d'un Heavy-Rockn'n'Roll-Blues rugueux, primaire, crasseux, profondément organique et parfois limite tribal. Shocking ? Quatre titres seulement ! Quatre titres aux allures de jam session sous substances illicites. Shocking ? La surprise sera encore plus forte sur scène. Une partie du public, qui espérait retrouver le Thorpe et les Aztecs d’antan jouer les hits bien lisses des 60's, n'allait pas être déçus. Le blondinet bien coiffé, étriqué dans son costume sombre et sa cravate des 60's, a laissé la place à un chevelu barbu (abordant parfois deux tresses à la mode gauloise) en jeans, à l'allure générale négligée ; entre le barbare nordique et le hippie. Shocking !! De plus, le volume sonore délivré serait assourdissant. De quoi achever les nostalgiques les plus résistants. 

   Est-ce une légende ? Un coup de marketing ? On raconte que leur concert du 13 juin 1971, à Melbourne, fut si fort que des fenêtres d'immeubles proches n'y résistèrent pas. 


   Ainsi, le soir de ce 31 janvier 1972, il y aurait dans les 35 000 spectateurs qui se presseraient dans ce cirque naturel. Une belle foule hétéroclite avec une majorité de chevelus qui semble tout droit sortie "summer of Love". S'attendaient-ils à recevoir en pleine poire une telle débauche d'énergie. La plupart étaient là en connaissance de cause : 
Les Aztecs allaient mettre le feu à la scène, avec un Heavy-Blues-Rockn'nRoll, lourd, primaire, poussé dans ses retranchements. 
Si en studio, les Aztecs n'était alors qu'un groupe de Rock'n'Roll, de "Bristish-Blues" Heavy et stone, en live, il se muait en véritable bête-fauve se nourrissant d'électricité et de l'énergie pure qu'il traduisait par une déflagration sonore de Rock.

     Un Rock à l'arrache, parfois à l'interprétation approximative, privilégiant ainsi l'énergie à la technique, l'ivresse à la maîtrise. Du tricot fait au marteau-piqueur. Billy n'est pas un virtuose de la guitare - ce qui ne l'empêche pas de se lancer sans complexe dans quelques chorus ébouriffés - mais il donne tout ce qu'il a dans les tripes. De plus, il chante sur chaque chanson comme si cela devait être la seule du concert. Totalement sous l'emprise des vibrations et semble se livrer corps et âme. Chantant à gorge déployée comme s'il n'était plus que le réceptacle par lequel s'exprimer les nouveaux dieux, ou esprits, du Rock. Une voix puissante, idéale pour le format Rock, qui lui permettrait de transformer une berceuse en hymne Rock'n'Roll. Il y a parfois du Steve Marriott.

     Thorpe est soutenue par la Fender Jazzbass lourde et inébranlable de Paul Wheeler, et la batterie éruptive (hélas un peu en retrait dans le mix de ce live) de Gil "Rat" Matthews. Les claviers Rock'n'Roller énervés et présents de Warren "Pig" Morgan (ami de collège de Billy et ex-Chain), possèdent souvent une tonalité proche de celle de Chuck Churchill (Ten Years After). Bien plus qu'un soutien, ses claviers gardent en permanence un pied ancré dans le rythme, le groove, permettant ainsi à la guitare de Billy toutes ses incartades sans trop de risques de se casser la figure, veillant au grain et pouvant d'une pirouette rattraper tout égarement. C'est un peu la clef de voûte, avec la batterie de "Rat"  Matthews.
Armé seul de sa Gibson LesPaul, soutenue par trois comparses, œuvrant tel une garde royale constituée d'hoplites spartiates, Billy Thorpe part à l'assaut d'une foule considérable, conquise d'avance, prête à rendre les armes dès la première offensive et à aduler leurs vainqueurs comme des héros.


       Les reprises sont passées à la moulinette, à la broyeuse ; les Marshall crachent, et « Be Bop u Lula » devient un Hard-blues hargneux (qui n'aurait pas dépareillé avec le Summertime Blues de Blue Cheer) ; « C.C. Rider », qui démarre le set tel un Ten Years After des grands jours, avec la vélocité en moins mais de la rage en plus, frôlant la face Rock'n'Roll de Mountain. Le « Jump Back » de Rufus Thomas, superbement introduit à l'harmonica, est méconnaissable, évoquant plus un J.Geils Band sous amphétamines.

      Et "Rock Me Baby" est sous acide tandis que « Ooh poo pa doo », de Jessie Hill, se transforme en puissant « Rock-Arena », où Billy fait un exploit en faisant chanter une foule aussi nombreuse. Sur ce titre, Thorpe démontre qu'il est aussi un chanteur puissant, et qu'il est un véritable frontman, un entertainer de la scène Rock, sachant interagir avec son public (même s'il en fait ici un poil trop ; néanmoins il semble s'en rendre compte, semble se raviser, et il écourte). Tout juste si on ne se surprendrait par soi-même à répondre avec le public. Un final de quinze minutes pour achever, et convaincre, les derniers résistants.

     Même le titre « Pop » du concert, (l'accalmie avant le déluge - sonore), l'autobiographique "The Most People I Know (Think That I'm Crazy)" (futur classique du Rock Australien et qui permettra au groupe d'être récompensé) finit en orgie électrique. 
Les compositions personnelles, "Momma" et "Time to Live" (1) (donc non comprise la pièce précédemment sus-nommée) sont du pur Hard-Rock, rude, primaire, lourd, et dur. Par certains côtés, ils préfigurent ici un Rock-Stoner ; soit un peu avant leurs compatriotes de Buffalo, pourtant réputés comme pré-Stoners.


     A l'exception de quelques pertinentes interventions de Warren "Pig" Morgan aux claviers, pas de grands soli déployant technique et vélocité. Juste de l'énergie brute, de la conviction, de la simplicité et de la sincérité.

73 minutes intenses. 

L'ambiance et la rage déployée évoque le "Slade Alive !" (clic/lien).
Un Live à classer avec d'autres brûlots brutaux, tels que "Kick Out the Jams" (est-ce besoin de préciser qui en sont les auteurs ?), le brutal "Live Album" de Grand Funk Railroad, la face live de "Fandango" d'un trio Texan à la pilosité avancée, le "Live" de Bernie Tormé, le "Intensities in 10 cities" de Guy Tarzan, la face live de "Ot' n' Sweaty" de Cactus, le "Performance Rockin' the Fillmore" d'Humble Pie. Bref, ce disque fait partie de la famille des enregistrements de prestations en public privilégiant l'instant, l'instinct, le lien avec le public et s'épanouissant dans la forme la plus fruste du Hard-Rock.
Ce double live fut classé 
en Australie
, en 1972, huitième des ventes.

     Quelques années plus tard, Thorpe se lança dans un Rock bien plus travaillé, parfois entre l'A.O.R. et le sirupeux. Il est décédé à 61 ans, d'une crise cardiaque, le 28 février 2007. Aujourd'hui encore, il demeure une référence musicale incontournable de son pays. 


On se souviendra d'un Angry Anderson au bord du malaise, presque à se prosterner, irradiant de joie, lorsque Thorpe arrive sur scène pour jammer avec Rose Tattoo (dont fit parti, pendant sa période de gestation, un certain Lobby Loyde...) sur une version dantesque de "Goin' Down", lors du concert donné en l'honneur de la fermeture d'un établissement pénitentiaire en 1993 (DVD "Live 1993 from Boggo Road Jail").


(1) Sans aucun rapport avec le titre d'Uriah-Heep (sur "Salisbury")





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Pour en savoir un peu plus, lire l'excellent article sur Electric Buffalo (lien) - site aux chroniques toujours riches et pertinentes (lien du site dans notre index "Contact / Liens") -

9 commentaires:

  1. Je ne peux qu'être d'accord avec toi. Excellent disque, puissant, sauvage, et précurseur de tout le brillant Hard-Rock australien de la fin des années 70. Le live paru en 1971 est également excellent (celui où les vitres des immeubles voisins ont volé). Il y a quand même un truc avec le Rock de ce pays.

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    1. Effectivement, c'est à se demander s'il n'y a pas quelque chose dans l'eau, l'air, ou le Soleil. Ou bien est-ce dû au fait que le Royaume-Uni a utilisé cette terre pour y envoyer les condamnés de droit commun (plus des délinquants que de réels et "grands" criminels - la loi Anglaise est alors très sévère, voire impitoyable -) dès la fin du XVIIIème siècle ? On parle de plus de 160 000 personnes qui, une fois leur peine achevée, restèrent sur place et formèrent les premiers colons.
      Et par la suite, il y a aussi une immigration de prolétaires Anglais (notamment du Nord de l'Angleterre et de l'Ecosse).
      Le Rock Australien, du Rock des masses laborieuses ?

      D'un autre côté, il y a aussi Kylie Minogue, Tina Arena ...

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  2. Dans ce style, un batteur qui ne tape pas comme un sourd, c'est rare.

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    1. C'est vrai.
      Bien certainement que les antécédents de Gil Matthews au sein d'un groupe de Rythmn'n'Blues y sont pour beaucoup.

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    2. bizarre mon poste de l'époque a disparu à moitié de mon blog ??
      enfin...
      un album à écouter :
      BILLY THORPE Children of the Sun 1979

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    3. Il n'est pas un peu ampoulé celui-ci, du genre grosse production A.O.R. ?

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  3. un tantinet un peu en effet...
    mais pour les flamants roses... ca peut plaire...

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  4. Je viens de découvrir ce blog : il est stupéfiant ! Que du bon ! Merci

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