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| Formation 1976-2013 - Photo Lisa-Marie Mazzucco | 
  - Ah ! Retour du compositeur russe M'sieur Claude… 8ème
      quatuor ? Mais ce n'était par la 8ème symphonie lors de la
      dernière chronique ?
  - Oui Sonia, un hasard… Chostakovitch espérait écrire 24 symphonies et 24
      quatuors d'ailleurs…
  - Heuuuu… Pourquoi 24 ? C'était son chiffre porte-bonheur ?
  - Non pas du tout, il voulait
      utiliser dans les deux séries
      les douze
      degrés chromatiques
      majeurs et autant en mineur… Do, do dièse, ré, mi bémol,
      etc.
      Un clin
      d’œil à Bach…
    
  - Et sa mort précoce ne lui en pas donné la possibilité !
       Il est difficile à écouter
      ce quatuor ??
  - Et bien pas du tout, écrit en 3 jours, une vingtaine de minutes, il est
      un peu son premier testament musical. Dmitri souhaitait qu'on le joue à
      ses funérailles… Prévoyant !
  Nouvelle facette de l'art du compositeur russe dans cette chronique : les
    quatuors à cordes. Les billets consacrés à plusieurs de ses
    symphonies
    et aux
    concertos
    nous ont permis de découvrir cet homme profondément sensible et humaniste
    survivant dans l'enfer stalinien. Adulé ou critiqué sévèrement par les
    autorités. À
    certaines
    périodes, celles des purges ou de la chasse aux artistes franchissant la
    ligne jaune du "Réalisme socialiste", du "Jdanovisme artistique",
    Chostakovitch
    risquait à tout moment un voyage tous frais payés en Sibérie.
    Un combat pour une liberté
    d'expression, son
    imagination
    pour truffer ses partitions de pièges destinés à donner le change aux
    gardiens de l'orthodoxie révolutionnaire
      :
    des prises de risques qui l'ont usé avant l'âge. Un portait
    déjà bien
    brossé dans
    les articles précédents.
    Voir l'Index.
  Chostakovitch
    a abordé l'art du quatuor assez tardivement. Après un bref essai en
    1938, le
    second quatuor
    date de 1944. L'ouvrage est,
    musicalement parlant, beaucoup plus élaboré et son écriture plus moderne que
    le premier. En cette période de succès militaires soviétiques qui vont
    conduire à l'écroulement du IIIème Reich à l'est, une détente
    très limitée permet au compositeur des
    7ème symphonie "Leningrad"
    et
    8ème symphonie "Stalingrad"
    (Clic)
    de s'aventurer dans un langage moins conventionnel. Quinze quatuors vont
    voir le jour
    entre 1938 et la mort du compositeur
    en 1975.
  
  La forme quatuor est difficile à maîtriser : faire chanter de concert
    quatre instruments aux timbres similaires n'est pas chose évidente.
    Les quatuors de grandes envergures psychologiques ont vu le jour avec
    Mozart, les œuvres ultimes de
    Beethoven
    ou
    Schubert, ou encore les meilleurs opus de
    Brahms,
    Schumann,
    Dvoràk
    ou
    Bartók. Sinon ce sont des ouvrages isolés (Ravel,
    Fauré). Le répertoire du genre à
    haut niveau est plutôt réduit. Fasciné par le clavier bien tempéré de
    Bach*,
    Chostakovitch
    souhaite composer,
    comme pour ses symphonies,
    24 quatuors dans les 24 tonalités chromatiques (sans ordre imposé).
  
  * En 1950-51,
    Chostakovitch
    écrira un recueil de
    24 Préludes et Fugues
    inspiré du
    Clavier bien tempéré
    (op. 87).
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| Dresde en 1960 | 
  1960
    : Staline et
    Jdanov, son éminence grise pour
    la culture, sont morts depuis six et douze ans. C'est en cette année que
    vont naître les
    quatuors N°7
        et
          N°8. Quelle ambiance dans l'URSS de cette année-là ? L'ère
    Khrouchtchev, sans être
    paradisiaque, permet aux artistes d'aborder une période créatrice plus
    originale.
  
  Ainsi, en 1962,
    Dmitri
    pourra écrire sa
    13ème symphonie "Babi Yar"
    du nom du lieu maudit en Ukraine
      où
    des massacres de juifs ou d'"indésirables" ont été perpétués par les SS et…
    peut-être avec des complicités russes. Dans l'URSS antisémite, une telle
    œuvre aurait été impensable sept ans plus tôt, en pleine période de la
    chasse aux médecins juifs (Complot des blouses blanches).
  
  Chostakovitch
    n'acceptera jamais l'intolérance, la violence de masse, la dictature et ses
    atrocités, nationaliste ou communiste. La douleur et l'incompréhension
    hanteront la majeure partie de sa production à partir de
    1935. Pour avoir enfin les
    coudées franches, le compositeur prend en
    1960 sa carte au parti (pas
    vraiment avec enthousiasme) et écrit en
    1961 sa
    12ème symphonie "1917"
    destinée à célébrer la révolution, mais le tissu musical fanfaronnant et
    sarcastique pose question quant à ses intentions profondes de fêter
    sincèrement et patriotiquement l'événement…
  
  En 1959,
    Chostakovitch
    contracte la poliomyélite, certes limitée, mais qui va imposer un voyage à
    Dresde pour des soins.
    Officiellement, le but du déplacement est la composition d'une musique de
    film…
  
  Le compositeur est atterré par les séquelles du terrible bombardement par
    les alliés en février 1945.
    Dans une chronique consacrée à
    Metamorphosen pour 23 cordes
    de
    Richard Strauss, j'avais déjà évoqué cette destruction aux motivations stratégiques bien
    discutables. Un cyclone de feu anéantissant la capitale de la Prusse (100
    000 morts ?). Le compositeur ne peut qu'être bouleversé par les palissades
    qui isolent encore des monceaux de gravats qui ne seront dégagés qu'au bout
    de 30 ans voire plus. Impressionné, Chostakovitch
    compose en trois jours ce
    huitième quatuor
    que l'on pense par tradition dédié "aux victimes de la guerre et du fascisme"… Le compositeur s'en défendra en soulignant qu'il a puisé de nombreux
    motifs d'œuvres antérieures sans aucun rapport avec cette idée : les
    1ère et 5ème symphonies, le
    trio
    ou encore son opéra très critiqué par les autorités :
    Lady Macbeth de Minsk.
  
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| Rostropovich, Oistrakh, Benjamin Britten et Chostakovich en
                    1960 xxxx | 
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| ré mi♭ do si | 
  C'est l'une des œuvres les plus concises, accessibles donc populaires de
    Chostakovitch. Le chef et ami
    Rudolf Barchaï en établira une transcription sous forme d'une symphonie de chambre.
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  En 1976, quatre étudiants de
    la Julliard School créent à
    New-York le
    Quatuor Emerson. Les quatre membres se nomment :
    Eugene Drucker
    et
    Philip Setzer, 1er et 2nd violons,
    Lawrence Dutton, alto et
    David Finckel, violoncelle. Ce dernier a cédé sa place à
    Paul Watkins
    à la fin de la saison 2012/2013.
  Cet ensemble constitué depuis 40 ans présente l'originalité de voir le
    premier et le second violon inverser leur rôle suivant les œuvres. Petit jeu
    de chaises musicales… Autre spécificité : depuis 2002, les musiciens jouent
    fréquemment debout, sauf le violoncelliste qui a besoin d'une chaise posée
    sur une petite estrade… Retour aux sources baroques pour améliorer la
    spatialisation du son ? Possible, mais en tout cas, c'est physiquement très
    courageux pour des artistes qui affichent la soixantaine ! Les derniers
    quatuors de
    Schubert
    atteignent voire dépassent des
    durées de 45 minutes…
  Ce quatuor de renommée mondiale s'est constitué un répertoire immense avec
    notamment de nombreuses intégrales qui ont été gravées largement. Il a
    également créé quatre œuvres de compositeurs de notre temps. Leur
    discographie comporte moult albums isolés et les corpus complets de
    Beethoven,
    Mendelssohn,
    Brahms,
    Bartók
    et bien entendu les 15 quatuors de
    Chostakovitch
    captés en 2000 et qui ont été salués par la critique. Les enregistrements de
    haut niveau de ce cycle sont rares, j'en reparlerai plus loin.
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| Marc Chagall et la musique juive et slave | 
  Le quatuor échappe en grande partie aux formes sonates classiques. Il
    comporte cinq mouvements enchaînés sans pause. Sa durée est d'une petite
    vingtaine de minutes. La tonalité dominante est celle mélancolique de do
    mineur. La création eut lieu en 1960 par le
    Quatuor Beethoven.
  1 – Largo
    : L'univers sonore et dramatique typique de
    Chostakovitch
    se révèle dès les premières mesures. Le motif DSCH cité plus haut est
    introduit avec un écart de deux mesures par : le violoncelle, l'alto, le
    second violon et enfin le premier violon. Je ne fais pas un dessin, c'est le
    début d'une fugue à quatre voix qui s'élance vague par vague. Un climat
    sombre et méditatif, un tempo lancinant. Combien de fois n'a-t-on pas déjà
    frissonné à l'écoute de telles mélodies ténébreuses dans les œuvres du
    musicien russe ? Des ruines fracassées de Dresde oo
    des charniers glacés de la mère patrie s'élève cette pathétique mélopée. La
    beauté plastique du son des cordes du
    quatuor Emerson souligne sans pathos ni chagrin la nostalgie de ces pages.
  2 - Allegro molto
    : [4:36] Sans transition : de la méditation surgit la furie : des notes
    syncopées scandées frénétiquement par un staccato proche d'effets
    percussionnistes. Le compositeur se
    veut rageur. [5:32] Au sein
    de cette folie  se fait
    entendre le pittoresque et villageois thème juif déjà entendu dans le trio
    de 1944. Ceux qui ont vu le film "la tourneuse de pages" ont entendu la peu sympathique pianiste incarnée par
    Catherine Frot et ses comparses
    se débattre avec ce thème. Une citation en mémoire des victimes de la
    Shoah ?
    Un pied de nez aux
    autorités ?
    Un peu de fantaisie dans
    cette œuvre grave ? Tout est possible. Le
    quatuor Emerson fait virevolter ces notes percutantes et chorégraphiques avec virtuosité.
    L'équilibre entre les quatre pupitres est idéal de par
    son jeu vivifiant et élégiaque et grâce à une belle prise de son moderne.
  3 – Allegretto
    : [7:14] Place à la drôlerie ambiguë et aux sarcasmes chers au compositeur.
    La musique sautille, la rythmique se désarticule, la mélodie se perd dans
    des extrêmes aigus goguenards. [10:42] Le thème initial du premier concerto
    pour violoncelle dédié à
    Rostropovitch, écrit en 1959, se fait entendre quasiment in extenso : évocation de cette
    période féconde des années précédentes et de l'amitié profonde avec le
    violoncelliste tout aussi
    rebelle que lui.
  4 – Largo
    : [11:19] Des accords syncopés, violents et désespérés ouvrent le largo.
    C'est au violoncelle qu'est confié un premier solo tragique. Les sévères
    accords initiaux marquent les frontières avec d'autres solos, celui de
    l'alto accompagné par une déploraison funèbre. Depuis les adagios des
    symphonies 7 et 8, la prière, les
    fantômes des âmes
    souffrantes de la folie sont omniprésents dans les partitions de
    Chostakovitch. Il n'est que trop logique de les retrouver dans cette œuvre
    testamentaire. Dans ce largo extrêmement bien construit, le premier violon
    assure le dernier solo. Du grave à l'aigu, le compositeur espère le retour
    vers la lumière… Quelques pizzicati concluent cette page.
  5 – Largo
    : [16:05] L'ultime largo tente de détendre l'oppression du précédent. Aux
    accords brutaux et staccatos font place des phrases mélodieuses qui se
    lovent dans un climat serein. Le
    motif du largo initial DSCH
    fait son retour, moins lugubre.
    Chostakovitch
    qui souhaitait que ce quatuor soit joué à ses funérailles songeait-il à une
    forme de requiem qui se termine toujours par une rédemption ? Les timbres du
    Quatuor Emerson se font plus veloutés et chaleureux, comme pour donner raison au
    compositeur.
  
  
      Une excellente interprétation, sans férocité dans l'allegro ou
        l'allegretto. Des excès parfois rencontrés dans
        certaines interprétations moins inspirées.
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  L'enregistrement par le
    Quatuor Beethoven
    existe (les créateurs en 1960), et je propose en seconde vidéo la captation de la première mondiale. Le
    son issu d'une bande de radio est maigre, mais l'interprétation tire des
    larmes et exprime avec fougue la passion slave de cette partition majeure.
    C'est une réussite absolue et la prise de son bien laide n'entache en rien
    un discours un peu fou et pathétique (Consonance – 6/6). Dans les
  années 60, le
  Quatuor Borodine, autre ensemble familier de cette musique, enregistrera les 13 premiers
  quatuors (14ème et 15ème n'étant pas encore composés).
  Le flot sonore et d'une grande précision, le chant est slave donc émouvant,
  mais plus sage que celui des
  Beethoven. (Chandos – 5/6). Des
  interprétations plus modernes du
  Quatuor Borodine
  possèdent les mêmes qualités. Dernier conseil discographique : le premier
  enregistrement d'une intégrale en occident est due au
  Quatuor anglais Fitzwilliam, toujours disponible et fulgurant, d'une sauvagerie en totale communion avec
  l'esprit tourmenté du compositeur (Decca
  – 6/6).
  La vidéo du
    Quatuor Emerson
    est en playlist !!! Pour l'histoire, Le live du
    Quatuor Beethoven
    retourne les tripes ! Je vous propose e prime le concert de 1960 du
      Quatuor Borodine:
  
 





 

Bon, je suis une buse en classique, comme déjà signalé. Mais à propos du compositeur, les rares fois où j'en entends parler, c'est un coup Kosta..., un coup Chosta. Le jugement du spécialiste?
RépondreSupprimerGrave question, ami Shuffle, en cette période de bouleversement orthographique…
SupprimerC'est simple :
- En français : Dmitri Chostakovitch – Donc un "C" et surtout pas Dimitri comme je le vois par ci par là…
- En Anglo-Saxon : Dmitri Shostakovitch – avec un "S"
Dans mon article sauf erreur de ma part, on lit Chostakovitch, sauf sur les pochettes de disques de labels internationaux qui imposent Shostakovitch.
Pour être exhaustif :
En Russe et avec le prénom complet : Дмитрий Дмитриевич Шостакович
En japonais : ドミートリイ・ショスタコーヴィチ
En arabe : دمیتری شوستاکوویچ (si le compositeur est à la mode…)
Tu as oublié en Hébreu : דמיטרי צ'וסטאקוויטכה !!! :D
SupprimerMa question concernait la prononciation. Donc Ch (comme chirurgien ) et pas K (comme chirographaire).
RépondreSupprimerAh désolé, je n’avais pas compris...
RépondreSupprimerOui : cho comme chocolat :o)
C'est bizarre ces prononciations différentes : chorégraphie vs Chostakovitch...
Je poserai la question sur le pourquoi du comment de la chose à ma belle-sœur experte sur le sujet...
J'aurais appris un mot : chirographaire. Ma chère et tendre qui a fait du droit connaissait... Je crains de l'oublier trop vite ! Pas facile à caser dans une chronique.