mercredi 6 janvier 2016

Eliza NEALS « Breaking and Entering » (2015), by Bruno


     Eliza Neals est une fille de Detroit, et on peut dire que sa voix et son style de Blues ne dénote pas avec l’ « image sonore » que l'on se fait habituellement de la Motor City. 
Non pas celle de la Techno ou du Hip-Hop, évidemment, mais bien celle de la Soul (avant qu’elle ne soit engluée par des producteurs cupides) et d’un Rock cru sans concession. D’ailleurs, elle revendique fièrement cette appartenance aux travers de ses chansons (avec le nom de sa ville qui apparaît de façon récurrente, tant dans les paroles que dans les titres). Une ville qui le lui rend bien car depuis 2011, elle ne cesse de la récompenser lors de ses Music Awards locaux annuels. La principale ville de l'état du Michigan (1), et probablement la plus ancienne, lui a décerné un cinquième trophée cette année.


Si Eliza Neals s’était fait précédemment remarquée au travers d’une Soul, parfois fortement teintée de Rock  - dont s’est peut‐être inspiré le No Sinner de Colleen Rennison (clic/lien) -, avec « Breaking and Entering », elle revient et s’investit un peu plus dans un Blues nettement plus cru et rugueux. Un Blues âpre qui se plait à s'encanailler avec des sonorités plus Heavy. Des relations donnant une sensation d’enregistrement fait live, pris sur le vif, sans overdubs. 

C’est rugueux, puissant et rude, rien n’a été ici policé. C'est relativement brut et franchement organique ; on entendrait presque crépiter les amplis ou le buzz des micros.

Et puis au milieu de ce déballage de Blues mi‐roots mi‐Heavy, Eliza Neals offre d’appétissantes récréations en s'éloignant plus ou moins (et donc sans vraiment le quitter complètement) le Blues pour s’abreuver à d’autres sources. Toujours, avec classe, force et persuasion. 

     Ainsi, « Sugar Daddy », image d'un Rythmn’n’Blues millésimé sixties à la fois sensuel et dansant, « I’m a Girl », la symbiose de la Soul et d'une Pop-rock, ou encore « Jekyll and a Hound », classique en puissance d’une Southern‐Soul, « Goo Goo Glass », pur Glam‐rock genre Bolan meets Suzi Quatro, et « Pretty Gritty » Glam façon Bowie‐Ronson (dont la slide paraît même fredonner un air récurrent de Gary Glitter), pourraient être aisément érigés comme de nouveaux classiques de cette ville de Detroit qui en a pourtant déjà tant donnés.

Eliza Neals se serait une mixture de Dana Fuchs, de Jo Harman, de Sass Jordan, de Bob Seger, de Rod Tyner et d’Anastasia, soutenue par une orchestration robuste et foncièrement rock. Sa voix racle contre ses cordes vocales puissantes et solides, exultant un souffle chaud. Une Blues-shooter qui a de la cuisse.


Un petit bémol sur la texture de la guitare électrique qui donne parfois la sensation d'un jeune fougueux, formé à l’école du Big‐Rock US et flashy qui aurait récemment bifurqué vers le Blues‐Rock. Rien à dire au niveau du jeu qui se colle bien à l’ambiance générale d’un Blues urbain joué dans un juke‐joint (que l'on imagine fait de planches disjointes, d'une alimentation électrique proche de la surcharge et du court-circuit, mais bien pourvu en boissons fortes). 

Cependant, parfois, le son peut pécher par un excès de fréquences boostées, clinquantes et brillantes. Une gageure que l'on remarque plus lors de certains soli. Est‐ce le fait d’Howard Glazer, (le portrait de Garth Algar, avec quelques années en plus) qui se montre pourtant plus tempéré sur ses propres disques. Un petit détail qui grève quelques morceaux qui auraient pourtant pu aisément se passer d'échappées solitaires, tant la qualité de la chanson était évidente. 

A ce titre, il suffit d'écouter la première version de « Jekyll and a Hound » (de 2013) interprétée par Eliza seule, seulement accompagnée de son propre piano et de rien d'autre (sinon sa voix, of course). C'est limpide, évident et saisissant. Pourtant c'est la dame en personne qui produit son CD toute seule. Mais tout pourrait s'expliquer par la présence de Mike Puwal, en qualité de co-producteur, qui s'est illustré avec des groupes de Hip-hop, de Rap et de Hardcore en les produisant pour le label local Psychopatic Records ; notamment avec Insane Clown Posse, duo hip-hop de Detroit. 
D'autant plus que ce monsieur Puwall remplace parfois Glazer en jouant toutes, ou une partie, des guitares (soit rythmiques et lead). Et même de la basse sur quatre morceaux.

 Et pourtant, un peu contre toute attente, il sait visiblement s'adapter au caractère de la chanson. Ainsi, que se soit sur "Jekyll and a Hound" et "Pretty Gritty", sa gratte n'est pas hors-propos, et ses soli qui, il est vrai, s'ébattent joyeusement dans des sonorités bien modernes au travers de pédales d'effets non-conventionnelles, se placent alors légèrement en retrait afin de ne pas violenter l'atmosphère de la chanson. Même sur "I'm the Girl" où sa wah-wah se prend parfois un Dj scratchant, rien n'est choquant ou gênant. Non seulement c'est bien dans le temps et l'ambiance mais on peut dire qu'il apporte quelque chose, qu'il enrichit même. Comme quoi...

     Deux apparitions aussi d'un autre enfant de la cité, ancien lieutenant de Kid Rock, Kenny Olson, pour de très bons chorus bien mordants.

Detroit avait jalousement gardé pour elle ce petit trésor. Il serait temps qu'elle le partage.

     En aparté, signalons que "Spinning" est un titre de Hard-blues dark, joué en duo, où la six-cordes de Glazer à bien des accents Sabbathiens, avec ce son typique de micro "manche" boosté à la fuzz "Big-Muff", avec ce tempo lent, traînant. Étonnant comme ce groupe tant décrié à ses débuts est devenu une référence incontournable que l'on retrouve même chez des musiciens de Blues-rock. De nos jours, où même la petite Samantha Fish reprend "War Pig" en concert, les puristes doivent en faire une jaunisse.
  1. Detroit Drive
  2. Breaking and Entering
  3. Jekyll and a Hound
  4. Goo Goo Glass
  5. You
  6. Pretty Gritty
  7. Southern Comfort Dreams
  8. Windshield Wipers
  9. I'm the Girl
  10. Spinning
  11. Breakind and Entering (version radio)

(1) Mais non la capitale, qui est Lansing (bien que cette dernière a une population bien moindre et soit plus jeune de plus d'un siècle).



 
the clip (madehand)

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