Pour ce jour de
Noël, c’était tout indiqué. On a déjà chroniqué LA VIE EST BELLE de Capra, et
LE MAGICIEN D’OZ… Le réalisateur Ernst Lubitsch a tourné près d’une centaine de
films, quasiment tous muets, mais on connait surtout sa période américaine,
avec HAUTE PEGRE, SERENADE A TROIS, NINOTCHKA, TO BE OR NOT TO BE, LE CIEL PEUT
ATTENDRE… Et ce SHOP AROUND THE CORNER en 1940, appelé aussi en français
RENDEZ-VOUS. Si l’intrigue vous rappelle quelque chose, c’est parce qu’elle a
été tournée aussi par Nora Ephron en 1998, sous le titre VOUS AVEZ UN MESSAGE.
au centre : Ernst Lubitsch |
Ernst Lubitsch
délaisse un temps la comédie sophistiquée qui a fait sa gloire, le champagne,
les smokings, les palaces parisiens et la Croisette, pour brosser le portrait
de modestes employés, dans un quartier de Budapest. A travers la vie au magasin,
on découvre les travers des uns et des autres, finement observés, chacun
voulant s’élever vers la classe sociale supérieure, à l’image du jeune Pepi,
trop heureux de pouvoir recruter lui-même son remplaçant, sur lequel il pourra
faire preuve d’autorité, lui qui était tout en bas de l’échelle.
Le personnage de
Matuscheck est au centre des attentions, c’est le patron, avare, paternaliste et
colérique, mais aussi préoccupé. Un
détective lui apprend que sa femme le trompe, avec un de ses employés... Si on
rit d’une situation vaudevillesque, Lubitsch apporte de la gravité avec la
tentative de suicide (même traitée comiquement). L’argent, le pouvoir et la condition sociale
ne font pas tout, nous dit Lubitsch. Matuscheck est touchant à la fin,
seul, il cherche à se faire inviter pour Noël, et finit au restau avec le larbin !
L’intrigue
principale est une romance entre deux personnages qui n’en savent rien ! Krolik
correspond avec une femme qu’il n’a jamais vue. Il lui envoie des lettres
enflammées à la boite postale 237 (tiens, le n° de chambre dans Shining !).
Seul Pirovitch est dans la combine, mais surtout pas cette pimbêche de Klara Novak, avec ses corsages hideux. Sauf
que Klara est la femme à qui Krolik écrit, mais il ne le sait pas. Et elle ne
se doute pas que son secret soupirant est Krolik. Et ce soir, ils ont enfin
rendez-vous…
C’est Krolik qui
va comprendre la situation, et en jouer, en asticotant Klara dans des joutes superbes. Dans la brasserie, Lubitsch les filme d’abord de face,
puis assis dos à dos. Klara attend son rendez-vous (avec Krolik, donc) et la
présence de Krolik la contrarie. Elle lui sort des horreurs, mais lui, sourit
comme un idiot. Elle compare son intelligence à un briquet en panne ! Plus
il se fait humilier, plus Krolik est aux anges, admire l’éloquence de Klara. On
est dans un jeu de dupes. C’est la Lubitsch’s touch, la subtilité des liens
amoureux.
Ca culmine avec
la scène où Klara lit à Krolik la lettre que lui-même vient de lui envoyer !
On pense à la dernière scène de CYRANO
DE BERGERAC. La vérité éclatera dans une
séquence longue et tendre, où les protagonistes éteignent les lumières du magasin les
unes après les autres. Et pour vérifier que Krolik n’a pas une jambe plus
courte que l’autre, Klara le contraint de lui montrer ses mollets ! C’est la
dernière image, pleine de sous-entendu, entre les lumières qu’on éteint, le
corps qu’on dénude…
On est bluffé par
cette histoire racontée avec autant de finesse, d’intelligence et de drôlerie.
Chaque personnage s’inscrit dans l’intrigue, il y a le fil rouge de la boite à
musique (horripilante selon les uns, romantique selon les autres) et des
dialogues savoureux. Comme cet échange à l’hôpital entre un médecin et Pepi. Le médecin parle du cas de Matuscheck, puis a un doute quant à
la qualité de son interlocuteur. Il lui demande : « Mais quelle est exactement
votre fonction auprès de monsieur Matuscheck ? / Je suis responsable des contacts entre la
société Matuscheck corporation et ses clients, je fais le lien… à vélo. / A
vélo ??? Vous êtes le coursier ? / Est-ce que je vous
traite de vendeurs de drogues, moi ?!! ». Ou cette dernière tirade,
lorsque Klara découvre la vérité sur Krolik. Il lui demande : « Vous
n’êtes pas déçue ? ». Elle répond : « Psychologiquement je suis
troublée, oui, mais personnellement, je ne me sens pas mal du tout ! ».
C’est ce qu’on
appelle un classique (on rajoute généralement le mot indémodable) mais si vous
pensez avoir affaire un truc poussiéreux de cinémathèque, vous vous mettez le
doigt dans l’œil ! (et pour mater un film, y’a mieux). Ce film garde
toute sa pertinence et sa fraicheur, grâce au couple vedette, touché par la
grâce. James Stewart (j’ai déjà hurlé mon admiration pour cet acteur dans nos
pages) joue presque toujours à voix basse, loin des tics théâtreux de beaucoup
de comédiens des années 30, il est d’une modernité incroyable. Margaret
Sullivan joue sur le même ton, rien n’est forcé, tout est juste, limpide et
miraculeux. Dire que la même année James Stewart tourne INDISCRETIONS de George
Cukor, avec Cary Grant et Katharine Hepburn, autre fleuron de la comédie
américaine, ça laisse songeur, sans parler de ses trois collaborations avec
Franck Capra.
Bon c’est Noël,
est-ce qu’il y a BEN HUR à la télé ? De toute façon, ça a atrocement
vieilli… Donc (re)découvrez THE SHOP AROUND THE CORNER, le revoir encore c’est
le découvrir d’un œil neuf, et humide de bonheur !!
Noir et blanc - 1h40 - format 1:1.37
La bande annonce de l'époque (sans sous-titres), avec Lubitsch qui apparaît à la fin.
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Juste un des plus beaux films jamais réalisés -et sans doute mon film préféré- : tendre, drôle, d'une grande finesse, une nostalgie toute en espièglerie, des comédiens exceptionnels, une mise en scène virtuose... La "Lubitsch Touch" dans toute sa splendeur ! Bref, que du bonheur !
RépondreSupprimerC'est très joliment écrit
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