samedi 18 avril 2015

Michael NYMAN – "The Piano Music" – John LENEHAN – Par Claude Toon



- Elle est pour le moins épurée la jaquette du CD de ce matin M'sieur Claude… C'est zarbie, cela dit Michael Nyman est un nom qui me dit quelque chose !?
- Si vous avez vu le film "La leçon de Piano" de Jane Campion avec Holly Hunter, Sam Neil et Harvey Keitel, palme d'or en 1993, la belle musique est de Nyman
- Ah oui, c'est cela, j'avais aimé ce film, mais l'auteur de la B.O. est donc aussi un compositeur, disons… classique ??
- Les deux, de la musique c'est de la musique. Comme Philip Glass ou Howard Shore (Le seigneur des anneaux), les compositeurs anglo-saxons s'aventurent dans tous les genres…
- J'aime bien la pièce de piano en écoute, ça ne paraît pas trop virtuose et c'est très doux…
- Oui, une musique très agréable, mais… pas virtuose ? C'est vite dit, il faut une sacrée indépendance des mains comme disent les pianistes… Merci à John Lenehan !

Michael Nyman (né en 1944)
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Je n'aime pas beaucoup écrire mes articles à partir de copier/coller de commentaires rédigés pour Amazon. Notre blog offre tellement plus d'espace… Mais je ne renie en rien de ce que j'écrivais en 2007 à propos d'une anthologie de musique orchestrale américaine moderne réalisée sous la houlette du chef et compositeur Howard Hanson :
"La musique du 20ème siècle anglo-saxonne est souvent connue à juste titre à travers Gerswhin, Bernstein ou, un peu hors sujet, associée à Dvorák, auteur d'une célébrissime Symphonie «du nouveau monde» composée par le musicien tchèque en villégiature.
Légion de créateurs ont proposé dès la fin du 19ème siècle une approche assez différente des tendances savantes et de mise en Europe et, plus tardivement, après le second conflit mondial, se sont refusé à une rupture nette entre le public et les recherches intellos de compositeurs. Ainsi, l'école Boulez et ses disciples privilégient la mathématique solfègique à l'émotion de l'auditeur et cette dictature est souvent dommageable pour l'intérêt que pourrait porter un grand nombre envers la musique de notre temps.
Ces clivages n'existant pas ou peu outre-Atlantique entre musique populaire, savante, jazz et surtout la musique pour l'industrie phare et gourmande de partitions originales : le cinéma, dès 1929, ont permis l'éclosion de styles forts divers dont ce coffret en est l'illustration parfaite et complète.
Si les termes : ballet, symphonie, fantaisie, etc. demeurent, la joie de vivre, la danse, l'évocation impressionniste des espaces et villes américaines, sont tout à fait accessibles à nos oreilles indépendamment des théories musicales utilisées comme des outils de composition et non à des fins en soi pouvant conduire souvent à l'ennui."

Michael Nyman partage tout à fait l'état d'esprit de ce courant aux facettes multiples. Même si le compositeur a vu le jour à Londres et n'a pas répondu aux sirènes de Hollywood pour s'établir outre-Atlantique, il s'inscrit dans le mouvement minimaliste et répétitif aux côtés des compositeurs yankees Steve Reich et Philip Glass (Clic) et de son compatriote  Gavin Bryars. Michael Nyman n'a pas poussé le bouchon jusqu'aux extrêmes de la forme répétitive comme Philip Glass dans Einstein on the Beach. (Opéra où un motif de quelques notes peut être répété avec une rythmique obsédante des centaines de fois pendant 20 minutes, la variation infinitésimale de la tonalité assurant l'évolution mélodique.) Non, ce que l'on écoute dans ce disque se rapproche beaucoup plus de la poésie cadencée que l'on entendait dans Metamorphosis du même Glass.
Le parcours de Michael Nyman (71 ans) l'a amené à composer des musiques de films marquantes qui peuvent s'écouter en tant que telles, indépendamment de la vision du film : La Leçon de Piano de Jane Campion (sa partition la plus connue), Bienvenue à Gattaca d'Andrew Niccol et 5 films de Peter Greenaway. Il est également l'auteur de la musique soulignant les ambiguïtés des rapports entre Michel Blanc et Sandrine Bonnaire dans le climat sombre de Mr Hire de Patrice Leconte. Au moins 74 bandes originales à ce jour.
Michael Nyman a également composé divers opéras et pièces symphonique ou de chambre. Anecdote : Michael Nyman a écrit une œuvre insolite pour l'inauguration du TGV Paris-Lille : Musique à grande vitesse. La pièce de 25 minutes s'accorde bien avec le courant minimaliste : la vitesse, les machines, la vue répétitive des supports de caténaires qui défilent, etc. Le train avait déjà inspiré Arthur Honegger dans Pacific 231.  Un ballet a été chorégraphié sur cette musique prise de folie… Nyman l'a enregistrée en 1994 avec son propre "Band & Orchestra", c'est une tuerie (comme on dit de nos jours), même le Boléro de l'ami Ravel sonne presque gnangnan à coté de ce délire ; j'ai mis la vidéo à la fin, en complément !!!
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John Lenehan
John Lenehan propose dans cet album une compilation de 19 titres pour piano solo extrait de cinq B.O.. écrites par Michael Nyman.
Ce pianiste et compositeur british né en 1958 mène une double carrière. Comme tout pianiste virtuose, on le rencontre comme concertiste dans les salles les plus réputées de la planète, de Londres à Amsterdam, de Salzbourg à Séoul… Parmi ces compositeurs favoris : le français Charles-Valentin Alkan (1813-1888, un Paganini du piano) et Satie (un original). Si je vous dis que Alkan affectionnait le mouvement perpétuel, les accords se succédant avec une virtuosité folle, on va tout de suite penser à un précurseur des mouvements répétitifs et minimalistes, sujet du jour.
Ce disque nous met en relation avec l'autre John Lenehan, le spécialiste de l'interprétation des musiques de ces courants répétitifs. Nyman, bien entendu, dont il enregistré le concerto pour piano incluant dans sa thématique des motifs puisés dans la musique pour la "Leçon de piano", et par ailleurs le pape du genre : Philip Glass.
John Lenehan a constitué, surtout chez Naxos, une discographie originale comportant de nombreux albums consacrés à son compatriote John Ireland (1878-1962), un pianiste et pédagogue trop oublié qui fut le professeur de Benjamin Britten. Par ailleurs les quintettes de Vaughan-Williams côtoient Copland, Bernstein, Delius… On ne pourra pas dire que ses programmes ne sortent pas de l'ordinaire…
John Lenehan a écrit de nombreuses transcriptions à la demande de jeunes pianistes comme Yuja Wang.
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Ada et Georges (piano à 4 mains ??)
Résumé express : Ada McGrath (Holly Hunter), jeune fille mère écossaise et muette fuit la bienséance victorienne en épousant (de manière épistolaire) Alistair Stewart (Sam Neil), un pionnier établi en Nouvelle-Zélande. Débarquée sur une plage battue par les vents avec sa fille Flora et son piano, elle découvre un mari égoïste qui cherche plutôt une boniche qu'une femme, et aussi Georges Baines (Harvey Keitel) voisin d'aspect rustaud mais qui saura aimer la jeune femme après que le mari ait échangé le piano contre des terrains de  Baines… Celui-ci voudra bien rendre le précieux piano à Ada en échange d'une liaison avec elle, un contrat étrange mais… sincère… la découverte d'abord subie puis consentie de la sensualité que méprise son mari. Un drame lyrique et romanesque qui fait songer aux romans des sœurs Brontë ou de Daphné du Maurier.
Dans le film, le piano va devenir le trait d'union amoureux entre Ada et Baines.  Michael Nyman ne pouvait pas écrire une musique romantique au sens musicologique du terme (Brahms, Liszt, Chopin). Le piano rudimentaire de Ada est un piano forte datant du début du XIXème et ne possédant qu'une pédale rudimentaire et démontable. Parfait ! Nyman est un amoureux de la musique baroque et la pédale sert peu ou pas dans les musiques minimalistes ou le jeu staccato est poussé à l'extrême. Le CD consacre une large place à 8 morceaux extraits ou dérivés de la musique du film.
The heart asks pleasure first : Typique de la musique répétitive (mais pas minimaliste), la mélodie ondoyante et tournoyante évoque nombre d'images et sentiments portés par le film : le ressac de la mer sur laquelle arrive la jeune épouse épuisée (et sur laquelle elle fuira), la danse gymnique de la fillette jouant sur la plage, et surtout le chassé-croisé amoureux qui entraînera de la crainte au plaisir la jolie et silencieuse Ada confrontée à Baines. Non, le thème n'est pas minimaliste et donne toute la chaleur à cette évocation d'un "cœur cherchant le premier éveil des sens" (une traduction possible). Pour la B.O. Michael Nyman jouait avec une puissance épique, faisait exploser sa partition… John Lenehan recourt à un tempo moins volubile et gagne en émotivité. Il y ajoute par un jeu plus délié, un climat onirique, une tendresse troublante. Un accelerando au milieu du morceau marque le temps où Ada "se lâche", accepte la virilité rassurante de Baines. Tout cela en moins de 3 minutes. Il est fort le duo Nyman- Lenehan. Envoutant.
Les six pièces qui suivent restent de style répétitif mais nous apporte un lot de variations d'une grande cohérence, une suite pour piano que ne renieraient pas des compositeurs de haute volée. La volupté ("all imperfected things") alterne avec la frénésie ("Silver fingered fling").
Le 8ème et dernier morceau n'est pas extrait du film. C'est une pièce assez longue intitulée "The attraction of the pedalling ankle" (attirance). Un morceau varié et magique où se confrontent des pas de danse après une introduction élégiaque. Plusieurs épisodes variés se succèdent sous les doigts du pianiste. La prise de son est assez définie, les deux mains s'entendent distinctement, mais les micros privilégient les cordes graves alourdissant un tantinet les couleurs…

L'album est complété par 4 autres groupes de morceaux également extraits de musiques de film et même d'un jeu vidéo Enemy Zero… Un peu surprenant, mais quand j'écris que les compositeurs anglo-saxons sont des touche-à-tout…
Quatre jolis morceaux sont issus de Wonderland (1999 - Michael Winterbottom, pas le polar de 2003 avec Val Kilmer). Dans la musique de Nyman illustrant la saga tragicomique d'une famille londonienne, on retrouve également la rythmique propre au style du compositeur mais sans la force dramatique qui portait "la leçon de piano". 4 morceaux, 4 prénoms, 4 portraits de personnages qui cherchent leurs voies… Poétique, doux-amer, du beau piano très léger, mais difficile d'en dire plus sur un film que je n'ai pas vu. Michael Nyman a déclaré que cette B.O. était l'une de celle qu'il préférait, faisons-lui confiance.

Pour ceux qui aiment se laisser envouter par cette musique, la pianiste d'origine ukrainienne mais vivant aux USA Valentina Lisitsa a enregistré un généreux album consacré à Nyman. On y trouve un programme similaire avec en plus des transcriptions de la B.O de Gattaca ou The Cleam. Par contre les morceaux sont présentés dans le désordre et non comme des suites logiques, film par film. Le jeu de la pianiste est élégant mais j'avoue préférer le touché plus musclé de John Lenehan. Cela dit quelle éclat et quelle prise de son ! Pour la petite histoire, la pianiste avait gravé en 2012 les sonates de Charles Ives avec Hilary Hahn pour DGG. Un programme original et un duo complice… (DECCA – 3/6)
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"The heart asks pleasure first" (joué par Nyman) suivi de "The attraction" (joué par John Lenehan et non pas Mood of snow (il ne neige pas en nouvelle-Zélande même si dans le film il fait un temps pourri jour et nuit :o)).
En bis, le décoiffant MGV (Musique à grande vitesse) interprété par le Nyman Band & Orchestra.




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