lundi 20 avril 2015

LE PORT DE L'ANGOISSE de Howard Hawks (1944) par Luc B.


Voilà un titre mythique ! LE PORT DE L’ANGOISSE, ça en jette, on se dit qu’avec le couple Bogart-Bacall, ça fleure bon Los Angeles, le Film Noir, les p’tites pépées… Eh ben non. J’ai l’impression qu’on se trompe souvent à propos de ce film, à commencer par le bouquin dont il est adapté.

Bacall, Dalio, Bogart
Le chef d’œuvre d’Ernest Hemingway porté à l’écran ! Tu parles ! Howard Hawks avait lancé à des potes cette idée saugrenue : je suis capable de faire un bon film avec le plus mauvais des romans d’Hemingway, la preuve, j’adapte To have and Have not (le titre en V.O). C’est William Faulkner qui s’occupe du scénario, et mis à part que le capitaine Morgan reste propriétaire d’un bateau de pêche, il ne reste plus grand-chose du bouquin.

Hawks déplace l’action de Key West à la Martinique, en 1940, donc pendant l’Occupation allemande. Fort-de-France grouille de truands, d’aventuriers, de résistants pourchassés par les milices et la Gestapo. Gérard, dit Frenchy, supplie le capitaine Morgan de transporter les membres d’un réseau clandestin. Morgan refuse, il est américain, ne veut rien avoir à faire avec cette guerre commencée là-bas, si loin, en Europe. A la suite d’une fusillade dont il est témoin, Morgan est entendu par la police, qui lui confisque son passeport et son fric. Dès lors fauché, il accepte d’aider la Résistance…

Pas de pavés luisants ni de néons clignotants, LE PORT DE L’ANGOISSE tient davantage du film d’aventures, que du polar. La plupart des protagonistes sont français, et l’action se déroule en majorité dans un même lieu. Une intrigue qui en rappelle une autre : CASABLANCA (Michael Curtiz, 1943). Humphrey Bogart y jouait déjà un américain en territoire français occupé par les allemands, mêlé malgré lui à des actes de Résistance, dont l’action se déroule en partie dans un café restaurant, avec un pianiste omniprésent et quelques chansons… De même que l’inspecteur Renard, de la Gestapo (sic), a le tour de taille de l’acteur Sydney Greenstreet, qui aurait parfaitement pu tenir le rôle. Autre point commun, un scénario plus ou moins improvisé en cours de tournage.

Walter Brennan, Bogart
Bon, CASABLANCA et LE PORT DE L’ANGOISSE ne boxent pas dans la même catégorie. Vous enlevez Bogart, et c’est une série B. Et c’est ainsi qu’il faut le prendre, comme un bon film, divertissant, réalisé très efficacement par un grand connaisseur de la chose. Howard Hawks sait parfaitement gérer son rythme, et surtout mêler drame, aventure et humour, parfois dans une même scène, un même plan. On retrouve ses figures favorites, le héros masculin qui se déballonne en présence du beau sexe, une femme forte, intelligente et séduisante (Hawks disait : "le secret est de changer le sexe des personnages"), le vieil ami et complice, l’amitié, l’honneur, une certaine idée de la justice face à toute forme de tyrannie. Pourtant, pas de parti-pris politique ici, Hawks avait ça en horreur. Les héros de Hawks sont des individualistes, qui agissent en fonction de leur instinct, de ce qu’ils croient juste, ou non.

Mais alors pourquoi le film est-il si célèbre ? Le hasard d’une rencontre. Parce qu’il scelle la rencontre pour de vrai de Lauren Bacall, et Humphrey Bogart. C’est ce qui fait tout le sel du film. La timidité de Bacall est palpable, son fameux regard de biais pour éviter de croiser la caméra. Mal à l’aise, elle n’a pas le métier d’Ingrid Bergman dans CASABLANCA, ni le sex-appeal de Rita Hayworth dans GILDA, lorsqu’elle pousse la chansonnette. Mais quand Hawks s’aperçoit qu’il se passe un truc entre les deux acteurs, toutes les scènes d’intimité vont prendre un tout autre relief. Les sous-entendus pleuvent, une spécialité des films de Hawks.

Carmichael (au piano) et Bacall
Mince, y’a une scène où Bogart est crevé, c’est le petit matin, il s’écroule sur un canapé, il veut dormir. Bacall lui propose de l’aider à se déshabiller, elle est à genou devant lui, lui lance un regard-braguette au moment de la réplique "t’as vraiment pas envie d’un p’tit déjeuner maintenant ?". J’ai l’esprit tordu où elle lui propose une ‘tite pipe pour se remettre de ses émotions ? Le film regorge de scènes de séduction, pince-sans-rire, dialogues affûtés, parties de ping-pong verbal ("si vous avez besoin de moi, vous n'avez qu'à siffler. Vous savez siffler, Steve ? Vous rapprochez vos lèvres comme ça et vous soufflez !"). Il faut voir la tête de Bogart face aux répliques que lui balance la débutante de 19 ans ! Et surtout, regardez le visage illuminé de bonheur de Lauren Bacall, au bras de Bogart, sur le dernier plan du film. Aucune actrice ne peut jouer ça ! Parce qu’elle ne joue pas… 

Pour l’anecdote, Bacall et Bogart mesuraient tous les deux 1,74m. Dans les plans d’ensemble, elle parait légèrement plus grande, à cause des talons. Curieusement, dans les plans rapprochés, c’est lui qui la dépasse ! Le coup des planchers inclinés, permettant à l’acteur, en s’approchant du premier plan, de grandir un peu ! Artifice largement utilisé dans CASABLANCA, Ingrid Bergman étant aussi très grande.

Il faut parler des autres rôles. Eddie, joué par Walter Brennan, vous savez, le petit vieux de RIO BRAVO. Brenann est un fidèle de Hawks, jouant les faire-valoir, truculent, boiteux, ici alcoolo. Ce type est génial. Il y a Marcel Dalio qui joue Frenchy, prodigieux acteur chez Jean Renoir, en exil à Hollywood pendant la guerre. Et Hoagy Carmichael, à l’origine pianiste et chanteur de jazz, immortel compositeur de « Giorgia on my mind », qui fait ici ses premiers pas devant une caméra – il s’en sort bien - et aura droit à plusieurs numéros musicaux, légers, cocasses. Et bien sûr, Humphrey Bogart, très à l'aise, qui fige pour la postérité le mec cool mais à qui il ne faut pas chercher les noises, ceinturé dans son jean et coiffé de sa casquette

Il est certain que par rapport à SCARFACE (1932), LE GRAND SOMMEIL (1946), LA RIVIÈRE ROUGE (1948), LA CAPTIVE AUX YEUX CLAIRS (1952) pour ne citer que ceux-là, LE PORT DE L’ANGOISSE parait plus dilettante. Imaginé et conçu comme tel, il est resté à la postérité davantage pour ce qu’il s’est passé hors caméra… 


The bande-annonce...



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2 commentaires:

  1. Oui le film serait presque moyen tant il y a des invraisemblances mais le duo mythique rattrape à lui seul ce scénario un peu bancal. Quand au reste je confirme, t'as vraiment l'esprit tordu !!

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  2. C'est pas un vrai chef-d'oeuvre comme Casablanca, c'est sûr, mais je serai moins sévère (ou plus indulgent) que toi sur l'appréciation globale ...

    Une anecdote que tu connais peut-être : quand Hawks a subodoré qu'il se passait quelque chose entre Bacall et Bogart, il a demandé à Bacall à la fin de chaque scène de tourner le dos à Bogart (pour qu'il soit encore plus excité) ... Esprit tordu, vous disiez ?

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