Voilà
un titre mythique ! LE PORT DE L’ANGOISSE, ça en jette, on se dit qu’avec
le couple Bogart-Bacall, ça fleure bon Los Angeles, le Film Noir, les p’tites
pépées… Eh ben non. J’ai l’impression qu’on se trompe souvent à propos de ce
film, à commencer par le bouquin dont il est adapté.
Bacall, Dalio, Bogart |
Le
chef d’œuvre d’Ernest Hemingway porté à l’écran ! Tu parles ! Howard
Hawks avait lancé à des potes cette idée saugrenue : je suis capable de faire
un bon film avec le plus mauvais des romans d’Hemingway, la preuve, j’adapte To
have and Have not (le titre en V.O). C’est William Faulkner qui s’occupe du
scénario, et mis à part que le capitaine Morgan reste propriétaire d’un bateau
de pêche, il ne reste plus grand-chose du bouquin.
Hawks
déplace l’action de Key West à la Martinique, en 1940, donc pendant
l’Occupation allemande. Fort-de-France grouille de truands, d’aventuriers, de résistants pourchassés par les milices et la Gestapo. Gérard, dit Frenchy,
supplie le capitaine Morgan de transporter les membres d’un réseau clandestin.
Morgan refuse, il est américain, ne veut rien avoir à faire avec cette guerre
commencée là-bas, si loin, en Europe. A la suite d’une fusillade dont il est
témoin, Morgan est entendu par la police, qui lui confisque son passeport et
son fric. Dès lors fauché, il accepte d’aider la Résistance…
Pas
de pavés luisants ni de néons clignotants, LE PORT DE L’ANGOISSE tient
davantage du film d’aventures, que du polar. La plupart des protagonistes sont
français, et l’action se déroule en majorité dans un même lieu. Une intrigue
qui en rappelle une autre : CASABLANCA (Michael Curtiz, 1943). Humphrey Bogart
y jouait déjà un américain en territoire français occupé par les allemands,
mêlé malgré lui à des actes de Résistance, dont l’action se déroule en partie
dans un café restaurant, avec un pianiste omniprésent et quelques chansons… De
même que l’inspecteur Renard, de la Gestapo (sic), a le tour de taille de
l’acteur Sydney Greenstreet, qui aurait parfaitement pu tenir le rôle. Autre
point commun, un scénario plus ou moins improvisé en cours de tournage.
Walter Brennan, Bogart |
Bon,
CASABLANCA et LE PORT DE L’ANGOISSE ne boxent pas dans la même catégorie. Vous
enlevez Bogart, et c’est une série B. Et c’est ainsi qu’il faut le prendre,
comme un bon film, divertissant, réalisé très efficacement par un grand
connaisseur de la chose. Howard Hawks sait parfaitement gérer son rythme, et
surtout mêler drame, aventure et humour, parfois dans une même scène, un même
plan. On retrouve ses figures favorites, le héros masculin qui se déballonne en
présence du beau sexe, une femme forte, intelligente et séduisante (Hawks
disait : "le secret est de changer le sexe des personnages"), le vieil ami
et complice, l’amitié, l’honneur, une certaine idée de la justice face à toute
forme de tyrannie. Pourtant, pas de parti-pris politique ici, Hawks avait ça en
horreur. Les héros de Hawks sont des individualistes, qui agissent en fonction
de leur instinct, de ce qu’ils croient juste, ou non.
Mais
alors pourquoi le film est-il si célèbre ? Le hasard d’une rencontre. Parce
qu’il scelle la rencontre pour de vrai de Lauren Bacall, et Humphrey Bogart. C’est ce qui fait tout le sel du
film. La timidité de Bacall est palpable, son fameux regard de biais pour
éviter de croiser la caméra. Mal à l’aise, elle n’a pas le métier d’Ingrid
Bergman dans CASABLANCA, ni le sex-appeal de Rita Hayworth dans GILDA,
lorsqu’elle pousse la chansonnette. Mais quand Hawks s’aperçoit qu’il se passe
un truc entre les deux acteurs, toutes les scènes d’intimité vont prendre un
tout autre relief. Les sous-entendus pleuvent, une spécialité des films de
Hawks.
Carmichael (au piano) et Bacall |
Mince,
y’a une scène où Bogart est crevé, c’est le petit matin, il s’écroule sur un
canapé, il veut dormir. Bacall lui propose de l’aider à se déshabiller, elle est
à genou devant lui, lui lance un regard-braguette au moment de la réplique "t’as vraiment pas envie d’un p’tit déjeuner maintenant ?". J’ai
l’esprit tordu où elle lui propose une ‘tite pipe pour se remettre de ses
émotions ? Le film regorge de
scènes de séduction, pince-sans-rire, dialogues affûtés, parties de ping-pong
verbal ("si vous avez besoin de moi, vous n'avez qu'à siffler. Vous savez
siffler, Steve ? Vous rapprochez vos lèvres comme ça et vous soufflez !"). Il faut voir la tête de Bogart face aux répliques que lui
balance la débutante de 19 ans ! Et surtout, regardez le visage illuminé
de bonheur de Lauren Bacall, au bras de Bogart, sur le dernier plan du film.
Aucune actrice ne peut jouer ça ! Parce qu’elle ne joue pas…
Pour
l’anecdote, Bacall et Bogart mesuraient tous les deux 1,74m. Dans les plans
d’ensemble, elle parait légèrement plus grande, à cause des talons.
Curieusement, dans les plans rapprochés, c’est lui qui la dépasse ! Le
coup des planchers inclinés, permettant à l’acteur, en s’approchant du premier
plan, de grandir un peu ! Artifice largement utilisé dans CASABLANCA,
Ingrid Bergman étant aussi très grande.
Il
faut parler des autres rôles. Eddie, joué par Walter Brennan, vous savez, le
petit vieux de RIO BRAVO. Brenann est un fidèle de Hawks, jouant les
faire-valoir, truculent, boiteux, ici alcoolo. Ce type est génial. Il y a
Marcel Dalio qui joue Frenchy, prodigieux acteur chez Jean
Renoir, en exil à Hollywood pendant la guerre. Et Hoagy Carmichael, à l’origine
pianiste et chanteur de jazz, immortel compositeur de « Giorgia on my
mind », qui fait ici ses premiers pas devant une caméra – il s’en sort
bien - et aura droit à plusieurs numéros musicaux, légers, cocasses. Et bien
sûr, Humphrey Bogart, très à l'aise, qui fige pour la postérité le mec cool mais à
qui il ne faut pas chercher les noises, ceinturé dans son jean et coiffé de sa
casquette
Il
est certain que par rapport à SCARFACE (1932), LE GRAND SOMMEIL (1946), LA RIVIÈRE
ROUGE (1948), LA CAPTIVE AUX YEUX CLAIRS (1952) pour ne citer que ceux-là, LE
PORT DE L’ANGOISSE parait plus dilettante. Imaginé et conçu comme tel, il est
resté à la postérité davantage pour ce qu’il s’est passé hors caméra…
The bande-annonce...
000
Oui le film serait presque moyen tant il y a des invraisemblances mais le duo mythique rattrape à lui seul ce scénario un peu bancal. Quand au reste je confirme, t'as vraiment l'esprit tordu !!
RépondreSupprimerC'est pas un vrai chef-d'oeuvre comme Casablanca, c'est sûr, mais je serai moins sévère (ou plus indulgent) que toi sur l'appréciation globale ...
RépondreSupprimerUne anecdote que tu connais peut-être : quand Hawks a subodoré qu'il se passait quelque chose entre Bacall et Bogart, il a demandé à Bacall à la fin de chaque scène de tourner le dos à Bogart (pour qu'il soit encore plus excité) ... Esprit tordu, vous disiez ?