vendredi 10 avril 2015

ELECTRA GLIDE IN BLUE de James William Guercio (1973) par Luc B.




     ELECTRA GLIDE IN BLUE est le premier et unique film de James William Guercio. Le cinéma n’est pas son métier, puisqu’il est producteur, compositeur, et manager du groupe de rock CHICAGO. Et c’est à Chicago qu’il grandit. Son père est projectionniste d’une salle de cinéma, dont le gérant irlandais rediffuse sans arrêt L’HOMME TRANQUILLE de John Ford. Le cinéma est la passion du jeune Guercio, qui, parait-il, voit 200 fois LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT. Quand en 1972, le patron de United Artists lui propose de réaliser un film, Guercio se lance dans l’aventure. 

Il n’aura qu’un million de budget, production minimale, et tant mieux, car Guercio souhaite garder le contrôle total sur son film et ses troupes. Dans son esprit, il suffit de trois camionnettes pour les acteurs, les techniciens et le matos, un peu de pellicule, et basta ! Guercio obtiendra la collaboration du grand directeur photo Conrad Hall (BUTCH CASSIDY ET LE KID, MARATHON MAN, DUEL DANS LE PACIFIQUE) à qui il cède son salaire. Et où embarque-t-il son petit monde ? A Monument Valley, lieu mythique des westerns fordiens. Le scénario reconstitue un fait divers, l’assassinat d’un… par un... ah bah non, je n’vais pas vous le dire, c’est la fin de film !

Electra Glide, c’est une série de moto Harley Davinson, celle des flics américains. Car le héros est un motard. Oh la, en 1973, en pleine contreculture, en plein Nouvel Hollywood, faire de son héros un flic ? C’est pas un peu réac ? C’est ce que pensaient les spectateurs à Cannes, sifflant le film, alors que les choses sont plus complexes que ça. C’est justement l'intérêt du film. Le monde n’est pas blanc ou noir. Il y a des nuances.

Le début est superbe, suite de gros plans très courts, un fusil de chasse qu’on charge (tiens, serait-on dans un western ?), un steak jeté dans une poêle, un dentier dans un verre, des chaussures qu’on lace, le steak qui est cuit, une cordelette qui entoure des orteils, reliée à la gâchette du fusil, et… PAN. Tache de sang. Qui, pourquoi, où… Et la musique, signée Guercio lui-même, explose en cuivres et violons.
 
Générique, avec de nouveau des gros plans, le drapeau américain en guise de tête de lit, un couple qui y baise, un type qui s’habille, méthodiquement, bottes, ceinturon, flingue, casque, badge… un flic. Une entame presque martiale, qui rappelle le fétichisme de KILLER JOE de William Friedkin. Et on découvre John Wintergreen, petit flic (au sens propre comme au figuré, l'acteur doit mesurer 1,60m) qui rêve de devenir inspecteur à la criminelle, mais pour le moment il fout des PV avec son collègue, Zipper

John est un mec droit, il espère encore en son insigne, son pays. Mais contrairement à Zipper, qui aime bien se faire quelques hippies de temps en temps, John ne fait pas chier les gens. Quand on retrouve un mort dans une cabane (la scène pré-générique), John y voit là le moyen de briller aux yeux du shérif local, Harve Poole, en charge de l’enquête. Pour John, ce n’est pas un suicide, mais un meurtre…

ELECTRA GLIDE s’inscrit dans cette série de films bien ancrés dans leur époque, films indépendants, invisibles ou presque, cultes pour certains, comme le POINT LIMIT ZERO de Richard C. Sarafian. En quelques scènes, Guercio peint l'arrière plan social. Exemple quand il arrête un routier, vétéran du Vietnam, qui paume tous ses boulots, et le supplie de ne pas le sanctionner, John, vétéran lui-même répond : je vais faire pour toi ce que le pays a fait pour moi les six premiers mois de mon retour de la guerre : rien. 

ELECTRA GLIDE prend à rebrousse poils la (contre)culture dominante, du moins dans l'esprit des européens. Car aux USA, en 1973, on commençait déjà à tourner la page. John et Zipper s’entrainent au tir sur une affiche d’EASY RIDER… On y pense au road movie de Dennis Hopper, forcément, des mecs à moto... Mais le temps a passé et John Wintergreen est un personnage paumé sur une longue route déserte, qui croit en ses valeurs, rêve de costards et de bottes bien cirées, mais trouve sa place nulle part. Le shérif Harve Poole le prend son aile (comme chauffeur d’abord), mais John va vite déchanter, et lui dira à la fin : vous êtes un nul, et un con.  Et les gentils hippies ? Pas si cleans que ça… Dans le monde décrit par Guercio, l'autorité est violente, incompétente et corrompue, et les jeunes vivent dans la fange, mentent et trafiquent de la dope.

James William Guercio brouille les pistes. Y’a du rock dans son film, un concert du groupe Madura (qu’il produisait) mais c’est aussi pour montrer John dans le service d’ordre, puis la salle vide, immense, et le balayeur qui ramasse les merdes des spectateurs. Il y a de sacrées scènes dans ce film, la visite de Harve Poole à sa maîtresse, qui tient un rade, et complètement saoule, ou la discussion entre John et le vieux Willie (joué par Elisha Cook, formidable acteur dont tout le monde connait la trogne, vu dans LE FAUCON MALTAIS, LE GRAND SOMMEIL, L’ULTIME RAZZIA, PAT GARRETT et même 1941 de Spleilberg), filmé de nuit, noire, avec juste les gyrophares rouge de la police.

C’est bien réalisé, magnifiquement cadré. Parfois brouillon, des boulons à resserrer pour que la charpente tienne mieux, et quelques scènes de cascades un peu poussives, clin d'oeil aux productions de Roger Corman, comme LES ANGES SAUVAGES (1966). Soyons honnête, Guercio était un novice, et la présence de Conrad L. Hall a sans doute fait beaucoup pour la maitrise technique de film. Guercio avait donné comme consigne de retrouver le technicolor flamboyant de LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT. Ce qui fit hurler son chef op’, adepte d’un rendu plus brut, inhérent aux années 70. Le deal fut le suivant : les scènes intérieures seront filmées comme Conrad Hall l’entend (courte focale généralement, sombres, contrastées) et les extérieurs comme Guercio le veut. Et c’est magnifique, Monument Valley, l’Arizona, on pense à THELMA ET LOUISE, on en prend plein la vue. 

Les dernières scènes sont sublimes, le tragique s'invite, renvoie directement à EASY RIDER. Le tout dernier plan est un travelling arrière, très long, sur cette route droite, mythique, qui conduit à Monument Valley. Je ne peux pas vous dire ce qu’il s’y passe, mais on y entend "Tell me" une chanson écrite par Guercio, chantée par Terry Kath, le chanteur et guitariste de CHICAGO, qui questionne : comment avoir un monde meilleur ? ELECTRA GLIDE IN BLUE est un film désabusé qui décrit  des idéaux en friche, des repères brouillés. D'où le malentendu à son sujet.

Le rôle de John Wintergreen est joué par Robert Blake. Qui ça ? Mais si, vous connaissez. Il a joué une série TV à succès des 70’s, BARETTA, et avant ça, jouait dans DE SANG FROID de Richard Brooks, d’après Truman Capote. Il avait commencé gamin, dans des LAUREL ET HARDI, et on l'a revu récemment dans LOST HIGHWAY de David Lynch. Il a été le héros d’un fait divers sordide, en 2002, accusé d’avoir fait tuer sa maitresse d’un coup de flingue dans la tronche, sur le parking du restaurant dans lequel il dinait... Les membres du groupe CHICAGO font des apparitions, dont Terry Kath qui y joue de la gâchette. Il mourra 5 ans plus tard d'une balle accidentellement (sic) tirée dans la tête... Et le jeune Nick Nolte fait une figuration.

Couleurs  -  1h35  -  scope 2:35
 
   


ooo

3 commentaires:

  1. Avec Leroy Powell, à gauche, deuxième photo.

    En visionnant le trailer, j'ai d'abord cru que c'était un film gay.

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  2. Tu es sensible aux grosses cylindrées ?

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    1. J'ai pas compris la question...

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