mercredi 4 mars 2015

HOWLIN' RAIN "Live Rain" (2014), by Howlin' Bruno


     San Francisco... Il fut un temps où cette ville du bout du monde, celle de la dernière frontière (pour les pionniers, les colons européens qui cherchaient une terre promise, pour tous ceux qui avaient traversé dans toute sa largeur le continent Nord Américain sans jamais trouver ce qu'ils cherchaient - le savaient-ils eux-mêmes ? -, bon nombre perdaient toutes leurs illusions en arrivant devant ce nouvel et immense océan), était une ville de sons et de lumières chatoyantes, porteurs de saines vibrations qui se voulaient parfois être des portes ouvrant sur de nouvelles dimensions. Une ville ouverte d'esprit, qui permit l'éclosion de nouveaux genres musicaux ou le renouveau d'anciens, refoulés, pas toujours appréciés dans d'autres comtés, et de multiples courants de pensée (malheureusement, brassant le bon comme le mauvais, parfois sans aucune distinction).
    Ce n'est pas par hasard si la scène Acid-rock californienne et le psychédélisme y émergèrent, si le "Flower Power" s'y épanouit (avant de flétrir), influencé par le mouvement beatnik, apparu quelques années plus tôt (lui aussi natif du comté) . Ainsi, cette ville relativement récente (fondée par des missionnaires Espagnols - de la confrérie de "St-François d'Assise" - vers 1776) enfanta une famille musicale multicolore, mélangeant sans a priori, avec l'innocence d'un enfant pas encore pollué par le consumérisme ou l'égocentrisme, le folk, le Blues et le Jazz des frères noirs, la Pop du Swinging London, souvent fusionné à l'aide de nouveaux sons électriques.

     Et puis, hérauts, visionnaires, missionnaires débarqués d'autres dimensions, disparurent, quand certains cédèrent à la tentation d'entités chthoniennes revenues sous l'apparence protéiforme du dieu Dollar. L'industrie récupéra le mouvement pour mieux le museler, faisant la vie dure aux résistants et aidant ceux qui avaient le cœur vide et l'appétit vorace. Plus les années passent, plus cette industrie contrôle les ondes, dictant au peuple ce qu'il doit aimer ou détester. Cycliquement, des mouvements de jeunes fous ruent dans les brancards, mais la majorité finissent par y laisser des plumes, les ailes brûlées d'avoir osé voler trop haut.


Hum... Hum... ... On parle de musique ou pas ?


     Ben si, justement, parce que ce "Howlin' Rain Live" évoque tout ça. Cet esprit libertaire et aventureux, voire communautaire, qui flottait dans ces contrées. Le groupe, Howlin' Rain, est un enfant de San Francisco, et il semblerait que par hérédité, il ait naturellement en lui ce souffle créé par ces groupes des années 60 et du début des années 70.

     Dès "Phantom in the Valley", le ton est donné : ça sent à plein nez un Revival West-Coast 60's foncièrement électrisé, suant et velu, et surtout bien imbibé du Heavy-rock psychédélique développé par des combos plus ou moins obscurs de 1969 à 1973. C'est que (malheureusement ?) le temps du Flower-power est depuis longtemps révolu, remplacé par une ère de désillusion, d'amertume et de désenchantement. Ce qui peut faire croire à un avenir inexorablement sombre. Ainsi, le chant d'Ethan Miller déborde de désespoir, il crie sa rage devant tant d'incompréhension et d'injustice. Un cri parfois plaintif, mais jamais larmoyant. Un appel à l'aide lancé aux divinités muettes ou aux anges disparus. Ethan Miller est un barde fou enivré par sa musique.
     Cette musique, quant à elle, mélange les émotions comme un maelstrom dans lequel il serait difficile de discerner les divers éléments et matériaux brassés.
Ainsi les guitares jouent avec les émotions, un peu comme un apprenti sorcier expérimentant, testant ses capacités, sans maîtriser  assurément  son art. Jonglant avec des forces qu'il peine à contrôler. L'apprenti pourrait ne pas ressortir indemne de ces expériences, néanmoins, le spectacle demeure magnifique à contempler. De là, sans théâtralisation, surnage une aura dramatique.


     Il y a aussi de la performance : sous leurs airs de hippies nostalgiques et perdus, de poètes aigris, de marginaux révolutionnaires luttant contre le consumérisme, ces quatre acteurs s'offrent sans retenue, ouvrent leur âme et déversent leur émotions dans un flot communicatif. C'est évident qu'il n'y a ici aucun calcul pour flatter l'égo, pour briller autrement que par la musique. C'est profondément humain. Et, en dépit de morceaux relativement longs, il n'y a pas de pauses entre chaque pièce ; pas de discours creux ou de babillages démagogiques pour remplir l'espace. Il est évident que ces gars-là mouillent leur chemise. Les chansons s'enchaînent sans temps morts, et en conséquence, les 66 minutes du CD s'avalent sans difficulté, sans accrocs, sans lassitude. On ne sent pas le temps passer !

     Avec ce live sulfureux et sans garde-fou, c'est la rencontre d'univers différents : celui de la Californie des années 60 (de 67 à 71), celui de la scène Rock des névrosés de Detroit, celui des groupes Heavy-psychédéliques (1), proto-Hard, du débuts des 70's, voire d'originaux comme Mars Volta. On peut même y déceler quelques réminiscences de Southern-rock tel que le pratiquait Outlaws sur ses deux premières galettes. Il y a parfois, lors des moments de joutes sidérales entre les deux guitares, quelque chose qui évoque l'essence de la furia électrique des pistoleros du MC5. Cette façon bien singulière d'être une indéniable émanation du Rock'n'Roll et de ne pas hésiter à partir, poussé par une fièvre électrique, dans des circonvolutions à la limite du Free-jazz. Des grattes (Fender Jaguar et Stratocaster) qui s'habillent de Fuzz puissantes et crachotantes, de flanger opulent (Maxom FL-9) d'Overdrive tuberculeuse (HAO Sole Pressure), de Delay généreux et d'écho vertigineux. Et, quelquefois, d'une belle wah-wah (Vox) charmeuse et terriblement expressive.
Une batterie nerveuse ayant pour modèle Mitch Mitchell et Corky Laing et une basse ronde et cossue qui ne s'en laisse pas compter, capable d'imposer un rythme à elle seule, avec un touché à la fois funky et mélodique (Gary Thain ?).
 

 A la moitié de "Calling Lightning Pt. 2", pendant quelques savoureuses longues secondes, les instruments se font discrets pour laisser la quatre cordes de Cyrus Comiskey imposer son rythme groovy et lourd (emprunté quelque part dans le catalogue 70's), s'octroyer quelques petites nuances, alors que, derrière, Raj Ojha part en transe.  We are only slaves, to our ghostly arms and legs, dancing in our graves, and laying in the ruins of the golden age.”
En Live, Howlin' Rain s'alourdit, se charge de plomb, même les ballades sont brutalisées par une envolée collective, une auto-hypnose qui engendre un voyage dans un monde parallèle psychédélique, multicolore. Certes, cela perd en définition, par rapport aux œuvres studio, mais au moins, il y a l'intérêt d'écouter une nouvelle lecture (ce qui devrait être, peu ou prou, le cas pour toutes œuvres Rock imprimées pour la postérité). Car ce ne sont pas des escrocs qui reprendraient en overbubs ou pire, qui incluraient des bandes pré-enregistrées.

Par exemple : "Satisfy Me Now" qui n'aurait dû être qu'un Slow-blues blues-eyed poignant, si la fébrilité palpable de la Strato d'Isahiah Mitchell (ex-Earthless) et le jeu épileptique de Raj ne faisaient pencher la pièce vers un Rock solide et habité, à la limite de la convulsion nerveuse. Et pour conclure, le solo presque Hendrixien avec son utilisation intensive du vibrato, déchirant l'air, enfonce le clou dans une noirceur apocalyptique. " I watched you disappear into a crowded gray line, you were shaking off the tears from woeful eyes, but you couldn't stop the shaking of your spine"
Une noirceur vite effacée par un "Beneath Wild Wings" miraculeux. Le mariage heureux de la West-coast et du Swinging London. Ce titre intense est une ode à la joie de vivre, à l'insouciance ; une extase portée par une guitare chantante.
"Lord Have Mercy" débute, lui aussi, comme un Slow-blues, bien qu'ici dans une optique nettement plus psychédélique, avec une wah-wah implorante, perdue dans un écho caverneux. Mais rapidement, inexorablement, le ton se durcit (Hard-blues), s'accélère, avec un final qui pourrait faire référence au "Double Live Gonzo" (!). D'ailleurs, certains moments, on pourrait croire qu'un Nugent, revenu de son époque barbue, torse nu et accoutrement en mode chasseur vêtu d'un pagne, s'est invité pour insuffler une bonne dose d'énergie supplémentaire.


Seul "Hung Out in the Rain" affiche de bout en bout sa solitude, son spleen aride et poussiéreux, même si Ethan finit par faire baver ses accords (Steve Earle et Mellecamp ne sont pas loin).

Et que dire de l'explosif "Dancer at the End of Time" qui manie sans précaution des ingrédients instables à base de concentrés de Mountain, d'Hendrix, de Josefus et de Cactus (et en parlant de ce dernier, HR reprend Evil à la mode Cactus) ; ça fuse dans tous les sens, et puis d'un coup, un court break sous forme d'interlude à la mode Clapton.

Le final, "Roll On...", possède même des couleurs propres à Foghat ; dans la rythmique notamment (surtout celle de l'intro), mais aussi dans le break (même si c'est un soupçon garage). Final dans un déluge sonique orgasmique. L'air crépite de Fuzz poussées dans leurs retranchements, Ojha se prend pour un punk, et au milieu, Ethan se fend d'un "Tu lu tu tu" à la Beach Boys. Seul Cyrus essaye de maintenir la cohésion.
Après une telle prestation, les belligérants ne peuvent être qu'éreintés, meurtris. Mais leur visage se fend d'un sourire, satisfait du devoir "accompli".

     Crénom ! Mes aïeux, ça c'est du live ! P[censuré] de b[censuré] de [censuré] ! Cela fourmille de décalage (que la batterie rattrape par d'habiles pirouettes ou que la basse cautérise par son groove implacable), ça larsen par-ci par-là, il y a des échos de cathédrale, il y a comme une odeur d'artisanat, mais putain que c'est vivant ! Il n'y a pas à tortiller du cul : avec ce "Live Rain", le terme LIVE reprend tout son sens.



Side 1 :
Phantom In The Valley (8:45)
Self Made Man (11:04)
Side 2 :
Can't Satisfy Me Now (8:45)
Beneath Wild Wings (4:19)
Lord Have Mercy (7:50)
Side 3 :
Hung Out In The Rain (6:07)
Calling Lightning Pt. 2 (8:16)
Dancers At The End Of Time (5:53)
Side 4 :
Roll On The Rusted Days (7:49)







Instant Howlin' Wolf



(1) Du genre de Josefus, Spooky Tooth, Jericho, Hot Tuna, Bob Seger System, Ashkan, Hurdy Gurdy, Fuzzy Duck, Morgen, Fraction, Morning Drew, Dragonfly, Damnation of Adam blessing, Captain Beyond, Andromeda, etc....

14 commentaires:

  1. Tout cela me paraît excellent! Que valent les disques studio du groupe? j'ai vu qu'il y en avait trois ou quatre dont un très récent. Dans le même créneau il y a Blues Pills et surtout un quatuor britannique que je viens de découvrir Cage the Gods et leur excellent "Badlands". Dans le même style mais un peu plus blues, un trio anglais également Absolution avec "Dusty Road". Tout ça sonne seventies en diable! Amicalement.

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  2. Blues Pills ? Blues Pills ?
    Voyons, ce ne serait pas ça par hasard : http://ledeblocnot.blogspot.fr/2014/09/blues-pills-25-juillet-2014-by-bruno.html

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  3. J'avais pas trop accroché à "Cage the Gods", par contre Absolution oui. (Mais écoute uniquement sur le net) A ne pas confondre avec le groupe de Heavy-MetÔl du même nom.
    Les disques studios de Howlin' Rain sont nettement plus travaillés que ce live brut, et moins "velus" (les guitares sont bien moins saturées). Il y a parfois quelques instruments additionnels. Comme, par exemple, une section de cuivres pour "Roll On the Rusted Days". Et puis, surtout, il y a des claviers. Ceux de Joel Robinow, également guitariste et trompettiste à ses heures.

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  4. Ah mais c'est bien sûr! C'est les mêmes pilules bleues! J'avais oublié, j'ai pas encore réussi à mémoriser tous tes écrits sur le Débloc! Ca va venir!

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    1. Je n'y aurais pas pensé à celle là. il y a tout de même une différence de poids, non ?

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    2. C'est quand il était jeune, du temps des aphrodite' s child

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  6. Shuffle.4/3/15 19:34

    Mmouais...J'accroche pas trop à ces trucs un peu "bordéliques". Blues Pills, c'est pareil, ça me laisse froid.

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    1. En fait, Shouffle, cela ne sonne pas "bordélique" ; il y a des instants où c'est sur le fil du rasoir, notamment lors des improvisations (ou semi-improvisations), mais jamais ça ne part dans la cacophonie (du moins à mon sens). "Roll On The Rusted Days" présenté ci-dessus (en direct live) doit être la pièce la plus échevelée de ce double-live. Et là encore, c'est plus centré et défini sur le CD.

      Par contre, en ce qui concerne Blues Pills, tu dis parce que tu es énervé (les vacances sont finies ?).
      C'est un des meilleurs trucs sortis l'année précédente (mais bon, les goûts et les couleurs).

      Heureusement que cette année il pleut des Gov't Mule...
      (Comment ? C'est de la provocation ? Mais non... simplement de l'info)

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    2. Fais gaffe Bruno! si tu dis qu'il pleut des Gov't Mule, Shuffle est capable de sortir sur sa pelouse et d'entonner "No rain, No rain!" comme à Woodstock! Remarque j'aimerais bien être là pour assister à ça!

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    3. Et bien nous n'en sommes pas loin : "Dark Side of the Mule" en décembre 2014 (avec un répertoire constitué majoritairement de reprises de Pink-Floyd, principalement de "Dark Side of the Moon" - pas mal du tout d'ailleurs -), "Sco-Mule" en Janvier ou février 2015 (extraits de la tournée qu'avait effectué la Mule en 1999 - soit avec Allen Woody - en compagnie de John Scofield et de Dan Matrazzo - bouah... je baille -), "Dub Side of the Mule" pour avril 2015 (la Mule en mode Dub [sic]) et Stones in the Mule (avec Jackie Green) de novembre 2014 qui devrait être réédité (car épuisé). Soit 4 en six mois.

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  7. Je subodore que Warren Haynes et Poppa Chubby ont parié lequel des deux sortirait le plus d'albums en 10 ans... Pour l'instant, qui gagne ?

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  8. Bonamassa, bonne réponse. Et je n'ai pas de pelouse, synonyme de gaspillage d'eau, de saloperies chimiques diverses et variés. J'ai écouté le Sco-Mule (si, si, dans un moment de désoeuvrement-les vacances...), c'est d'un ennui total.

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