samedi 31 janvier 2015

BEETHOVEN – Symphonie N° 6 "PASTORALE" – IVAN FISCHER – Par Claude Toon



- Tiens M'sieur Claude, encore une symphonie de Beethoven à votre actif, la "Pastorale", très romantique et poétique si j'en crois la documentation...
- Oui Sonia, après les 3, 5 et 7ème symphonies, je continue de parcourir le cycle complet en variant les interprètes…
- Petit nouveau ce Monsieur Ivan Fischer, je ne crois pas qu'il ait eu sa chronique dans le blog ?
- En effet, cité dans des gravures consacrées à Bartók sans doute, mais il y aura deux rencontres cette année, pour ce beau disque et pour la 4ème de Mahler…
- Vous n'avez pas retenu Furtwängler, Toscanini ou Karajan, les grands anciens…
- Non mais je les mentionnerai dans l'abondante discographie beethovénienne bien sûr. Mais avec ce disque l'inspiration et la plus-value sonore balayent tous les suffrages…

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Oui Sonia, les maestros, des plus célèbres au plus obscures, se sont confrontés avec le cycle des symphonies de Beethoven. On ne compte plus depuis l'invention du gramophone les intégrales ou gravures isolées. Je ne pense pas que mes chers lecteurs aient besoin de mes écrits pour apprendre que les noms que vous citez sont ceux des chefs qui ont atteint une forme de quintessence dans ce répertoire. D'où mon choix de cet enregistrement récent, récompensé par un diapason d'or, et qui me permet de parler d'un orchestre fabuleux mais mal connu : l'Orchestre du Festival de Budapest et de son chef et fondateur : Ivan Fischer.

On ne présente plus Beethoven. Le personnage est au programme des cours d'histoire tant son nom est synonyme de musique classique dans le sens historique du terme. Plusieurs chroniques nous ont permis d'aller à sa rencontre et d'apprendre que contrairement à des idées vieillottes, le maître était adulé de son vivant (Clic). Quelques dates : 1770 : la naissance à Bonn, 1827 : la mort à Vienne, la surdité dès 1803 et l'angoisse face à ce handicap. Et surtout 1805 : la création de la 3ème symphonie : œuvre immense, révolutionnaire, sauvage et tragique, première pierre du romantisme. Au dernier moment, Beethoven, qui l'avait dédiée à Bonaparte, biffe rageusement la dédicace pour… "Héroïque". (Clic) Ludwig van est un démocrate, il ne veut plus honorer un empereur autoproclamé qui a retourné sa veste contre la république naissante en France. Beethoven écrit ses symphonies par paire : une où se déchaîne les tourments de sa psyché, l'autre où s'épanche son amour de la vie, alternance entre la dépression et l'épicurisme. La 5ème et la 6ème symphonies forment un couple. La 5ème défie de destin par une immortelle suite d'accords pathétiques initiaux (Pa pa pa paaaam). La 6ème nous entrainent à la campagne, près des feuillages, des ruisseaux et des ruraux…
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Ivan Fischer ne m'a apporté que du bonheur lors des concerts auxquels j'ai pu assister ces dernières années salle Pleyel, avec SON orchestre du Festival de Budapest qu'il a créé en 1983 et dont il est toujours le directeur. Deux temps forts : une 4ème symphonie de Mahler (dont je parlerai cette année) et une 7ème de Bruckner inspirée et sans pathos…
Né comme moi en 1951 (toute analogie avec ce grand musicien s'arrête là), Ivan Fischer s'est imposé l'apprentissage de plusieurs instruments avant de prendre la baguette : le piano, le violon et le violoncelle. Pardon Sonia ? Heuuu oui c'est tout ! Pour la direction, il suit les cours de l'un des meilleurs pédagogues de son temps : Hans Swarowsky à Vienne. Puis il devient assistant de Nikolaus Harnoncourt. Il héritera de ce dernier le goût de la clarté et de la précision, mais sans la tendance à l'ascèse et à une légère froideur émotionnelle.
C'est donc en 1983 qu'il fonde le maintenant célèbre Orchestre du Festival de Budapest composé de jeunes et talentueux instrumentistes hongrois. L'ensemble trouve à la fois le soutien des institutions officielles et de grands maîtres comme Georg Solti qui sera chef honoraire jusqu'à son décès en 1997.
L'orchestre remporte un franc succès lors de tournée mondiale et de nombreux solistes et chanteurs de renoms n'hésitent pas à se faire accompagner par son chef charismatique.
Ivan Fischer inspire la bonhomie, possède un style subtil et fouillé et affiche un grand respect pour ses musiciens. La couleur globale de l'orchestre est chaleureuse et soyeuse. Dans un premier temps l'orchestre avait fait le mauvais choix imprévisible d'enregistrer chez Philips qui a par la suite euthanasié son catalogue. On trouvait des gravures excellentes du répertoire hongrois : Bartók, Kodaly… également un enregistrement d'une verve sans égale des danses hongroises de Brahms. On peut trouver encore des exemplaires neufs ou d'occasion chez les disquaires indépendants ou sur le web.
Depuis cette époque, le chef a rejoint le label Channel Classic et a constitué un catalogue très riche dont une intégrale des symphonies de Mahler en cours, et puis Stravinsky, Beethoven, Dvorak, Brahms
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Souvenir de Mortefontaine (Corot)
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Dans le corpus symphonique de Beethoven, la symphonie "pastorale" porte bien son nom et présente deux singularités. Tout d'abord, son plan ne respecte pas à la lettre celui d'une symphonie classique en quatre mouvements, plan rencontré chez Haydn, Mozart et Beethoven lui-même. Non, il y a cinq mouvements. Ensuite, chaque mouvement, en plus d'une indication de tempo habituelle, a reçu un sous-titre définissant les intentions descriptives et émotionnelles voulues par le compositeur face au spectacle de la nature : "Scène au bord du ruisseau", "Orage et tempête", etc. Ça ne vous rappelle rien ? Si bien sûr, les quatre saisons de Vivaldi où pour chacun des douze passages constituant les quatre concertos, le compositeur proposait un programme détaillé. (Clic).
Beethoven poursuit sa construction de l'univers romantique : la 3ème symphonie et l'héroïsme, la 5ème et ses interrogations tragiques et philosophiques, et enfin cette 6ème qui se veut une communion musicale avec la nature et les paysans. Berlioz parlera de paysage musical en comparaison avec l'art pictural qui commence lui aussi à évoluer vers le naturalisme. On note que la "Scène au champs" de la Symphonie Fantastique s'inspire en droite ligne du climat de la "Scène au bord du ruisseau". Berlioz apportant un dramatisme là où Beethoven optait pour une poésie bucolique.
Composée en 1803-1805, l'ouvrage est créé en 1808 à Vienne lors d'un concert fleuve de quatre heures comportant également la 5ème symphonie, le 4ème concerto pour piano, la fantaisie Chorale, de larges extraits de la messe en Ut… Hélas, un véritable fiasco pour des musiciens encore mal formés à l'exécution d'œuvres aussi ambitieuses et un public trop familier des simples divertissements. On se les gèle dans la salle en ce 22 décembre, et il n'y a eu qu'une seule répétition assurée par un Beethoven furieux de tant de négligences. Un rendez-vous historique manqué, pour le moins…
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Avant l’orage (Georges Paul Laugée)
L'orchestration est colorée et adaptée à la légèreté du propos (2 + picolo/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, 2 trombones, timbales et cordes).
1 - Allegro (Éveil d'impression agréable en arrivant à la campagne) : Les cordes entonnent un chant paysan populaire en bohème à l'époque. Le hautbois puis les autres bois énoncent un autre thème plus énergique qui, souligné par le groupe des cordes, sera répété plusieurs fois avec moult variations de son orchestration. Cette écriture suggère un Beethoven bonhomme marchant sur un chemin sous les ramures. Une écoute inattentive ferait penser à de la musique répétitive contemporaine, mais la richesse des variations et la débauche de couleurs sont totalement charmeuses. Ivan Fischer adopte un tempo moyen, fait briller chaque instrument de son bel orchestre. Il est fréquent que les symphonies de Beethoven souffrent d'une épaisseur des timbres due à une prépondérance du jeu des cordes bien plus nombreuses qu'à l'époque classique. Dans cette interprétation, pas de tutti pathétique hors de propos. On se laisse baigner dans une allègre poésie, dans les dialogues pittoresque des bois, notamment dans la coda avec ce passage si difficile des clarinettes. Lumière et brise orchestrales distinguent cette grande interprétation moderne… à ce stade de l'écoute.
2 – Andante molto mosso (Scène au bord du ruisseau) : Une douce ondulation aux cordes nous entraînent près d'un petit cours d'eau. Clarinette et bassons apportent une lumière diffuse dans un pré où le promeneur s'est allongé, peut-être pour une petite sieste rêveuse… Ivan Fischer prend son temps fait chanter avec sensualité les cordes dans le développement. (J'ai connu une amie qui discernait une forme d'érotisme latent dans cette musique !) Frémissement des cordes et mélodies lyriques des bois se lovent lascivement... en effet. Ivan Fischer articule avec génie cette page tout en contraste. Son phrasé se modernise (élève d'Harnoncourt), tourne le dos au romantisme parfois épais des décennies précédentes. Le chef développe chaque détail, détache chaque note des bois aux rôles si essentiels dans cette scène vespérale. Beethoven joue à l'oiseleur avec la flûte et d'autres bois dans la conclusion. Magique.
La Ronde paysanne (Rubens)

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3 – Allegro (Danse joyeuse des paysans) : Après une introduction staccato des cordes Beethoven nous entraînement dans une danse populaire énergique dans laquelle domine un extraordinaire et joyeux papotage des flûtes, hautbois et bassons, le tout coloré d'une mélodie chantante des cors (Merveilleux orchestre de Budapest). Cette partie chorégraphique est répétée deux fois et se conclut sur des tressaillements angoissants des contrebasses qui marquent l'approche de l'orage… les trois derniers mouvements sont enchaînés sans transition.
4 – Allegro (Orage et tempête) : Beethoven déchaîne les éléments, zèbre l'orchestre de coups de foudres et de tonnerre aux cuivres et aux timbales. Mais là où son génie s'exprime, c'est dans le naturel de cet orage estival. Point de déchirement wagnérien, quelques éclairs et rafales de vents, un petit orage pour animer une symphonie. L'homme se voit confronter aux éléments dans ce passage aux dissonances inquiétantes, aux sifflements stridents du piccolo… Le réalisme du discours nous projette dans les futurs poèmes symphoniques du milieu du XIXème siècle. Le calme revient…
5 – Allegretto (Chant des bergers. Sentiments joyeux et de reconnaissance après l’orage) : Quelque gazouillis d'oiseaux, de très lointains grondements marquent la fin de l'orage et le passage à un ultime mouvement moins descriptif, plus spirituel, un chant de reconnaissance des bergers et paysans. Ivan Fischer met bien en avant le court solo de violon qui énonce le thème central de ce mouvement d'une durée comparable à l'allegro initial et à l'andante. Une fois de plus, Ivan Fischer joue la bonne carte interprétative : pas de précipitation, plutôt une prière qu'un hymne survolté. Cette apparente lenteur rappelle qu'il s'agit bien d'un allegretto (pas un allegro) et permet d'apprécier ainsi les innombrables variations apportées par le compositeur. L'œuvre, dans cette interprétation se termine dans une  douceur onirique, une infinie délicatesse champêtre.
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Une discographie alternative n'aurait pas de sens pour ce monument enregistré des centaines de fois. Je passe sur les maestros allemands de la grande époque : Furtwängler, Boehm, Karajan (4 fois en studio pour ce dernier – préférer la dernière mouture en numérique à Berlin). J'ai sélectionné trois enregistrements moins connus et exceptionnels.
Tout d'abord Toscanini avec l'orchestre de la NBC. C'est énergique et italianisant. En un mot électrisant. Datant de 1939, le son est acceptable, le discours fluide. Un Beethoven échevelé mais sans les défauts des orchestres massifs de l'époque (Naxos 5/6). Le chant de reconnaissance est pris à un train d'enfer.(Beethoven avait envisager d'ajouter un chœur conclusif, il a bien fait d'abandonner l'idée...)
Carlos Kleiber détestait le studio. Ses rares gravures pour Dgg des 5ème et 7ème symphonies avaient fait la une dans le blog. Orfeo a publié il y a quelques années un concert en live à Munich. On retrouve l'incroyable sens de la clarté et de la mise en place malgré un son un peu terne (Orfeo - 6/6).
Une rareté et une surprise : le sévère et grincheux Evgeny Mravinsky a enregistré en numérique vers 80 ans une "pastorale" en état de grâce ! Avec son Orchestre de Leningrad (Saint-Pétersbourg désormais) aux couleurs subtiles obtenues après 50 ans de travail. La poésie est au rendez-vous de chaque mesure. Le solo de clarinette de l'allegro est le plus agile et poétique de cette sélection (Erato – 6/6). Disponible dans une anthologie de 12 CDs chez Erato ou en album simple aux USA.

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Interview d'Ivan Fischer ou comment l'alchimie beethovénienne assura la transition de la musique pour l'élite à celle pour tous les publics en… bousculant voire choquant l'esthétique établie. Un anglais assez clair, la fougue et la passion de Fischer… passionnant…
Pour ceux qui ne sont pas abonnés à Deezer, une très belle interprétation en live par l'Orchestre philharmonique de Vienne dirigé par Christian Thielemann. Une interprétation classique et viennoise, mais qui sait comme Fischer prendre son temps. Les cors sont magiques comme toujours avec cet orchestre mythique (3ème mouvement notamment). Christian Thielemann aura sa chronique dès que possible dans le blog (Strauss, Wagner ?). Le DVD est disponible avec les symphonies 4 et 5…




6 commentaires:

  1. La troisième et la septième oui ! la cinquième et la sixième m'oui !! ,la neuvième bof ! Mais la huitième... pas la plus connus avec la une et la deux, mais une de celle que je préfère, et comme je te disais, la sixième me fait toujours penser a "Fantasia" !!! ^^

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  2. Erudition une fois de plus impressionnante. C'est sûrement stupide, et je l'ai déjà dit, mais j'ai toujours le sentiment que cette musique n'est pas pour moi (comme le théâtre, la danse ou l'opéra). Je le regrette de plus en plus souvent.

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  3. Merci Shuffle.

    Nous avons tous des sensibilités très différentes, donc aucune raison de se culpabiliser de ne pas pénétrer facilement dans des formes de musique où des modes qui conduisent à des durées d'exécution très étirée (des heures parfois…)

    Tu sais, j'ai acheté sur les conseils de mes petits camarades un certain nombre de disques de Rock ou de blues. Bon, au départ je suis emballé, les musiciens sont excellents, les idées musicales aussi… et puis mystère, j'oublie un peu…ou plutôt j'écoute pendant les vacances... Alors que cette 6ème a été mon premier LP en 1965, et je ne m'en suis jamais lassé. Comprend qui pourra… Mes parents n'écoutaient pas de classique... après oui... donc c'est contagieux :o)

    Écoute et regarde des morceaux courts via Youtube, des lives, avec la vue des instruments, ça aide parfois à mémoriser…
    Bye

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  4. Crénom ! Mais c'est bien sûr !! J'connais bien !! J'écoutais ça le week-end, en famille, quand j'étais gamin.
    Ensuite... j'ai vite mal tourné.
    Il serait pas un peu Rocker sur les bords, le Beethov'. Et d'ailleurs, c'est bien le seul à avoir son nom qui apparaît sur des pièces Rock.

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    1. Et un prénom devenu une marque de batterie !!

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    2. Et un titre de Chuck Berry le roi du rock "Roll Over Beethoven"

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