samedi 21 juin 2014

Henryk GÓRECKI : Symphonie N°2 "Copernic" – Antoni WIT – par Claude Toon



- Et bien dites donc M'sieur Claude… On ne s'entend plus dans votre bureau… C'est la fin du monde en musiiiique ?
- NON !! Plutôt le début, le big bang, attendez Sonia…  je coupe…..
- Ouf, vous allez rendre jaloux M'sieur Vincent, le chevalier du Hard Rock… De qui est cette musique à l'intro féroce ?
- Seconde Symphonie d'Henryk Górecky, une œuvre écrite pour le 500ème anniversaire de son compatriote polonais, l'astronome Nicolas Copernic…
- Vous avez déjà parlé de ce compositeur il me semble…
- Oui, peu après sa disparition en novembre 2010, à propos de sa Symphonie N° 3 "Chants plaintifs", dont des millions de disques furent vendus dans les années 1990-2000…. (clic)
- Ouah ! C'est rare en classique, surtout en musique contemporaine…
- En effet, donc aujourd'hui épisode II…

En composant cette symphonie en 1972 Henryk Górecky répond à une commande de la fondation Kosciuzko de New-York qui réunit des émigrés polonais de la Grosse Pomme ; la fondation caritative se fixant pour but de promouvoir la culture polonaise. Henryk Górecky choisit d'écrire une fresque pour solistes (soprano, baryton), orchestre et chœur célébrant le 500ème anniversaire de la mort de l'astronome et philosophe Nicolas Copernic. Pour mémoire, Copernic, à l'aube de la renaissance est le premier astronome à remettre en cause le sacro-saint modèle du cosmos de Ptolémée qui place la terre au centre de l'univers planétaire et stellaire. L' héliocentrisme copernicien place enfin le soleil au centre du cosmos, la terre n'étant plus le centre du monde, le concept bouscule bien évidement nombre de règles philosophiques et théologiques en vigueur depuis le début de la chrétienté. Il ne sera jamais inquiété par les autorités ecclésiastiques, bien que chanoine, au contraire de Galilée et Kepler qui dans le siècle suivant consolideront par les mathématiques ce nouveau modèle cosmologique.
Ce qui fascine Górecky dans la personnalité de Copernic est une dualité : celle de la volonté d'une réflexion scientifique rigoureuse au bénéfice du progrès, par la remise en cause d'un modèle conçu et maintenu pour valider au sens stricte les écritures saintes, sans pour autant que l'homme de science renie sa foi en une Présence divine et un Créateur de toute chose. Comme son compatriote et compositeur Penderecki, Górecky est un homme de foi, mais dont les recherches en termes de formes musicales sont très avant-gardistes. Copernic aurait pu participer au courant de pensée intitulé gnose de Princeton.
Pour montrer cette facette de la pensée de Copernic, Górecki utilise dans les deux mouvements de sa symphonie des extraits des psaumes 145 et 135 et une citation tirée de l'ouvrage du savant expliquant son nouveau modèle :
Psaume 145 : Dieu, créateur du ciel et de la terre
Psaume 135 : Il créa le soleil et la lune, le soleil régnant le jour, la lune et les étoiles régnant la nuit… 
Copernic : Qu'est-ce qui est plus beau que les cieux, depuis qu'ils contiennent tant de choses aussi belles…
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Le chef d'orchestre polonais Antoni Wit a déjà fait la une du blog par son interprétation de la symphonie de noël de Penderecki (clic). Pour ce chef né en 1944 et engagé dans la gravure d'une intégrale de l'imposante production symphonique de Penderecki, il est assez normal de le retrouver dans des enregistrements consacrés à d'autres compositeurs contemporains de son pays comme Górecky et Witold Lutoslawski ou encore Karol Szymanowski… La gravure de la 2nde symphonie de Gorecki avec l'orchestre de la radio polonaise date de 2001.

Inutile de se perdre en conjectures sur le sens de la musique imaginée par Górecky pour sa seconde symphonie : musique pure, à programme ou encore spirituelle ? Sans doute un peu de tout si on considère la simplicité pourtant explicite des versets utilisés dans les parties solistes et chorales. Si je peux me permettre, j'attribuerais deux sous titres aux deux mouvements d'un quart d'heure chacun qui composent l'ouvrage : "la puissance de la création" et "enivrement face à la beauté du cosmos".
Premier mouvement : pour Górecky, quand Dieu crée le cosmos, il le fait à coup de marteau de bâtisseur, avec une énergie apocalyptique. Un marteau devenu timbales et grosse caisse appuyés par des clusters polytonaux à l'harmonie. Sous la baguette d'Antoni Wit, le big bang surgit du chaos primitif. Cette titanesque création orchestrale des astres est répétée après un passage contemplatif évoquant le calme interstellaire aux cordes. Le chef polonais taille à la serpe avec une clarté surprenante dans ce matériau sonore mégalithique ; étonnant et passionnant ! La seconde partie du mouvement voit se développer une furie de cuivre, un tsunami de sons acides qui suggère l'expansion déchaînée de l'univers, les étoiles et galaxies qui s'entrechoquent, se dévorent entre-elles, explosent ou se font engloutir dans les trous noirs… Une musique gagnée par la folie. L'écriture explosive au sens premier submerge l'auditeur. Un bref chœur énonce le verset du psaume 145 quasiment en hurlant pour achever cette création de démiurge.
Second mouvement : Górecky rend grâce à la création par un long chant contemplatif assuré par le baryton, qui graduellement gagne en vigueur pour donner la parole à la soprano. Côté orchestre, nous sommes proches de ces longues phrases lentano qui feront le succès de la 3ème symphonie écrite en 1976. Pour marquer le lien avec la musique que pouvait entendre Copernic en son temps, Górecky puise des motifs méditatifs dans un antiphonaire du XVème siècle. L'orchestre adopte cette douce polyphonie caractéristique du style de la musique de la pré-renaissance. Un monde enchanteur de cordes et quelques notes au piano. Une musique qui se fait lumière. [12'00] Le chœur intervient dans des sonorités divinement slaves. Ceux qui ont aimé la musique du compositeur Howard Shore pour la saga Le Seigneur des anneaux seront surpris de trouver une analogie entre des partitions écrites à 30 ans d'intervalle. [14'30] Surgi de l'infiniment lointain, un thrène aux cordes annonce une coda qui semble ne pouvoir s'achever que par un nouveau cataclysme. En fait, c'est un piège, l'œuvre s'achève dans la plus pure sérénité… À noter que la direction fluide et scintillante d'Antoni Wit est servie par une belle prise de son et un excellent baryton du nom de Andrzej Dobber. Le passage confié à la soprano Zofia Kilanowicz (*) est bref mais bien tenu par une voix sans fioriture hors de propos…
(*) Pfff, pas évident les articles avec l'orthographe polonaise, n'est-ce pas Soniawicz et Rockinsky ?
J'ai découvert ce chef d'œuvre "sidéral" avec un disque de Tamas Pàl nettement moins abouti et de toute façon plus difficile à trouver que ce CD Naxos (livret en Français).
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L'intégrale du CD sur le site Deezer : attention, la symphonie est précédée par Beatus Vir, un complément d'essence plus religieuse.



La symphonie N° 2 par Antoni Wit  :



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