- Oui Sonia...
- Les lecteurs appellent par milliers, fous de rage de ne pas lire une chronique sur "Le jour le plus long" en ce 6 juin... qu'est ce que je réponds ?
- Que tout célèbre qu'il soit, "Le jour le plus long" ne mérite sans doute pas un article, que le débarquement allié a été évoqué avec "D-Day", d'Antony Beevor, un bouquin formidable et facile à retrouver dans notre index, et que... euh... guerre... débarquement... libération... donc délivrance... donc John Boorman !!
- C'est capillo-tracté (tiré par les cheveux) comme explication...
- Je sais...
J’aime
beaucoup John Boorman. 80 balais, et son dernier film sortira cette année. Nous
en avions parlé à propos de son deuxième film, et coup d’éclat : LE POINT
DE NON RETOUR, [un clic ici] polar en acier trempé avec Lee Marvin. L’univers de Boorman
tourne autour des thèmes de la guerre (il avait 10 ans pendant le conflit
mondial) les mythes, l'Homme et la Nature. EXCALIBUR (1981) étant le parfait exemple de
la réunion des trois, les rivalités entre royaumes, la quête du Graal, la forêt
magique. Si la guerre est absente de DELIVRANCE (1972) la nature et les mythes
sont bien là.

Le
mythe qui en prend un sacré coup dans l’aile, dans DELIVRANCE, c’est le mythe
du Bon Sauvage. Comme le dit Louis à ses compagnons, il cherche à « se
réincorporer à la nature ». Pour Louis, ce voyage est un retour aux
sources. Et ça se mérite, il faut souffrir. La promise ne se laisse pas prendre facilement... Boorman filme le départ en voiture
vers la rivière comme un combat, les quatre mecs ballotés dans leur 4X4 sur
une piste cabossée, Louis prêt à en découdre. Mais avant cela, Boorman montre un dernier petit instant d’humanité,
avec une rencontre musicale, entre la guitare d’André (Drew en VO) et le banjo
d’un jeune garçon. Le morceau bluegrass « Dueling banjo » écrit par Arthur Smith et Don Reno (1955) est
devenue une séquence culte, le faciès du gamin n’y étant pas étranger.

La
première journée se passe bien, ça rigole, ça descend des rapides, et sans
doublure, ce sont les acteurs qui effectuent toutes les cascades (y’a d’ailleurs
eu de la casse !). Ce qui apporte une véracité au film, et davantage de
tension. On remarque deux choses. Boorman ne filme que des petits bouts de ciel. On pourrait
croire que les plans larges magnifieraient la nature, les montages, les espaces,
comme chez John Ford. Non, pas d’horizon ici, pas de lumière, partout un rideau
des arbres épais. Et Boorman met souvent des arbustes en amorce (premier plan)
pour filmer ses personnages. Impression d'être épiés, observés. La nature environnante est vue comme le cinquième personnage de l'équipée.
Et
on arrive au cœur du film. Constitué de deux longues séquences qui se
répondent. Le viol, scène éprouvante, dont tout le début est un long plan
séquence depuis que Bobby et Ed débarquent sur une rive (ils sont seuls,
paumés) et que deux types patibulaires, armés, commencent à leur tourner
autour. Lourdingues, pénibles, puis franchement agressifs. Ed assiste
impuissant à l’horreur. Louis et son arc y mettront fin. Image célèbre encore,
de Burt Reynolds à l’arrière-plan, visant très lentement sa proie. Dans cette
séquence, Boorman laisse éclater la violence sauvage, les plus bas instincts
humains.
Puis il filme une longue discussion entre les quatre amis. Que faire du cadavre ? On y confronte la loi naturelle à celle des Hommes. Seul André plaide pour une voie réfléchie, juridique, digne. Bobby et Ed, victimes de l’agression, suivent Louis dans son idée d’enterrer le cadavre, et laisser la nature reprendre le dessus. L’eau larguée du barrage s’occupera de nettoyer les saloperies. Et regardez ensuite comment les trois creusent une tombe, à genoux, avec les mains, comme des bêtes furieuses, et André hésitant, qui se jette finalement avec les autres, comme des hyènes sur une charogne.
Puis il filme une longue discussion entre les quatre amis. Que faire du cadavre ? On y confronte la loi naturelle à celle des Hommes. Seul André plaide pour une voie réfléchie, juridique, digne. Bobby et Ed, victimes de l’agression, suivent Louis dans son idée d’enterrer le cadavre, et laisser la nature reprendre le dessus. L’eau larguée du barrage s’occupera de nettoyer les saloperies. Et regardez ensuite comment les trois creusent une tombe, à genoux, avec les mains, comme des bêtes furieuses, et André hésitant, qui se jette finalement avec les autres, comme des hyènes sur une charogne.

DELIVRANCE
se conclut sur un mensonge, celui de Louis, Ed et Bobby, qui malgré les rancœurs,
les doutes, la peur, se tiennent les coudes et servent une version très
édulcorée de leur voyage au shérif local. Et puis il y a cette dernière image, que l’on suppose
quelques semaines plus tard, une fois le barrage sauté. Une main qui sort de l’eau.
Le doigt pointé de la justice ! Une image que l’on reverra dans EXCALIBUR, la main qui tient l’épée
d’Arthur s’élevant du lac. Pour le moment, c’est celle de l’agresseur
assassiné, qui refait malencontreusement surface, comme un reflux de mauvaise conscience, un
signe qui nous dirait, ça s’est passé ici. Il y avait six hommes au bord d’une
jolie rivière, à l’arrivée ils se sont plus que trois.
Les
acteurs sont Burt Reynolds, Jon Voight, Ned Betty (son premier grand rôle, tu
parles d’un baptême !) et Ronny Cox. John Boorman réalisera ensuite l’étonnant
ZARDOZ (1974) avec Sean Connery, EXCALIBUR, LA FORET D’EMEURAUDE, RANGOON, LE
GENERAL, LE TAILLEUR DE PANAMA… Pratiquement un sans-faute. DELIVRANCE est un
film superbe, privilégiant les plans longs, larges, un découpage intelligent,
baigné de bruits d'une faune invisible. Film éprouvant aussi, qui a grandement
marqué les esprits. Beaucoup de metteurs en scène s’en souviendront, Michael
Cimino dans VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER, Coppola, mais aussi toute une flopée de film dit « de
survie ». La comparaison s’arrête là, car John Boorman ne confronte pas de bons
p’tits gars et filles à une horde de tueurs sadiques, mais des hommes mûrs, lettrés,
éduqués, confrontés à eux-mêmes.
DELIVRANCE (1972)
prod et réal : John Boorman
scénar : John Boorman et James Dickey d'après son roman
Couleur - 1h50 - scope 2:35
La bande annonce originale, format et images bien pourris... Merci Youtube !
Et cadeau, le duel fameux "dueling banjo"...
A l'époque de sa sortie, la critique dominante (les crétins néo-marxistes, maoïstes et autres abrutis du même tonneau, ne pas oublier qu'on est en 72) avait descendu le film avec l'argument imparable; fasciste. Avec Excalibur, c'est le meilleur de Boorman. A la réflexion, la critique évoquée plus haut n'a pas disparu et fait encore des ravages.
RépondreSupprimerComme la peinture bien "rustique" de l'arrière pays américain n'a pas fait plaisir à tout le monde. Les traits caricaturés se retrouvent dans les deux camps. Les 4 mecs qui descendent la rivière ne sont pas à exonérer non plus. En regardant l'extrait du duel de banjo, on entend à la toute fin, dernière réplique de Ned Beatty, un truc du genre : "give him 2 dollars..." C'est terrible comme manière de conclure cette séquence !
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