mercredi 16 avril 2014

MALTED MILK "On Stage Tonight" (2014) by Bruno




     Cela commence à faire un bail qu'Arnaud Fradin arpente les clubs et les salles de concert avec son groupe Malted Milk. Assez de temps pour peaufiner et affuter son funky-blues percutant. A un point où il ne s'agit plus désormais de maîtrise mais bien d'une incarnation. Ni plus, ni moins. La preuve : ce live tout frais, issu d'une prestation au Stereolux (La Fabrique à Nantes) du 10 octobre 2013.


     Bien qu'à ses débuts le groupe Nantais, alors sous forme d'un duo (guitare-chant-harmonica) cultivait un Blues roots, progressivement il a mué en une machine bien huilée générant une mixture de Funk, de blues et de Soul de qualité. Une évolution qui a également suivit le développement du groupe pour arriver à maturité sous une formation de sept musiciens avec cuivres rutilants à l'appui.

     A l'heure où nombre de formations américaines sonnent surannées, multipliant les clichés et se vautrant parfois dans des pseudos improvisations lourdes et manquant cruellement de spontanéité, Malted Milk fait la différence en affichant une fraîcheur telle, que l'on pourrait croire avoir affaire à des vétérans de l'écurie Stax alliés à de jeunes recrues ayant fait leur classe auprès de ténors dans un périple formateur, partant du Texas, pour aller à Chicago en passant par Memphis et finir à la Nouvelle Orléans. 
C'est assez troublant de savoir que le collectif est un pur produit hexagonal tant il donne l'impression de sonner authentiquement américain. Et même parfois nettement plus afro-américain que Blues et/ou funk blancs. Ainsi, quand Arnaud donne quelques commentaires en français, on est presque choqué. La langue de Molière dénotant alors avec l'ambiance chaleureuse nimbée de Funk et de Soul vivifiantes que l'on jurerait captée dans un haut-lieu, un temple sacré où l'on célèbre ces musiques. J'exagère ? Si en 2007, Malted Milk parvient à être finaliste à l'International Blues Challenge de Memphis, ce n'est certainement pas le fruit du hasard.
De plus, sa bonne réputation scénique a depuis franchit les frontières, et en conséquence les portes des divers festivals européens lui sont grandes ouvertes.


     Si Malted Milk a réalisé de bons albums chiadés (les deux précédents ont pratiquement fait l'unanimité), c'est sur scène qu'il prend toute sa dimension. Un lieu où le collectif ne semble jamais pris en défaut, jouant avec une aisance déconcertante, donnant même à leurs compositions un surcroît de mordant et de vivacité. Est-il nécessaire de préciser que la troupe n'a nullement besoin de chorégraphie, d'écran géant, de fumigènes ou tout autre artifice pour faire bouger son public ? De même que le simple auditeur, toute ouïe devant sa chaîne.

     Pour ceux qui en douteraient encore, ainsi que pour ceux qui n'ont pas toujours la possibilité se rendre aux concerts, Malted Milk publie un témoignage. Et pas du type trafiqué, ou encore du genre reconstitué à partir d'extraits de dizaines de concerts. Non, ici, c'est sans filet : une soirée, un concert, un enregistrement. Point. Ces lascars semblent bien sûr d'eux-mêmes.

     À la manière de nombreux groupes de Blues et de Funk, Malted Milk ouvre le bal par un instrumental laissant la place aux musiciens pour s'exprimer et chauffer le public par la même occasion, avant d'attaquer les choses sérieuses. Ainsi « Introducing »... introduit (trop rapidement peut-être) « Touch You ». Du Funk-Rhythm'n'blues porté par des cuivres clinquants et des chœurs charmeurs. La voix d'Arnaud est chaude, légèrement graveleuse dès qu'il appuie ses mots, et ses petites interventions de guitare en soliste ont cette empreinte « Telecasterienne » descendant tout droit d'Albert Collins. On remarque aussi une basse féline, sourde et profonde, foncièrement groovy.
« Easy Baby » s'enchaîne rapidement à la suite, avec son funk-blues de la Nouvelle-Orleans porté par un superbe riff (en picking hybride ?) entre Texas et Louisiane. Et au moment où l'on pourrait croire que le titre s'installe dans une confortable routine, ne s'embarrassant d'aucune rupture, tournant en boucle,  Arnaud part sans crier gare dans un solo au groove démoniaque doublé par sa propre voix, dans le pur style d'Albert Collins (oui, encore lui), avant de prendre des intonations flirtant plus avec Stevie Ray Vaughan encouragé par des cuivres exaltés.



« Human Waves », bien que composé par le précédent trompettiste Franck Bougier, semble tout droit sorti de la Soul des 70's, entre les Temptations et Donny Hathaway, tandis que la guitare d'Arnaud, elle, reste profondément attaché au Blues, ici avec des bends vertigineux d'inspirations « Albert King ».
C'est fluide, sans la raideur que l'on peut parfois ressentir avec des groupes de Soul, Funk, et/ou Blues blancs.


La participation – première invitée – de la jeune et très prometteuse Nina Attal (-> lien) permet d'élargir la palette musicale ; une touche féminine bienvenue sur une pièce Soul plus douce et tempérée.

Arnaud annonce intelligiblement la couleur : « Are you ready to makin' Funk ? ». Repris immédiatement par « Est-ce que vous êtes prêts à funkyser avec nous ? » (au cas où on aurait pas compris). « Let's go to New-Orleans ! ». Et ça le fait ! Le bien nommé « Nola Dance » incite à se lever et à se remuer, à gigoter en rythme avec la pulsation du tandem basse-batterie ou des cuivres. Malted Milk nous offre un voyage dans les clubs du French Quarter. 
 Karl W.Davis prend le micro sur un « Sunshine » inondé d'une Soul moite et d'un Funk enjoué.

« True Love » débute pratiquement dans un idiome proche de la version de « Tin Pan Alley » de Stevie Ray Vaughan avec un petit truc du Buddy Guy de « Man and the Blues » et mue insidieusement en ballade Soul 60's exsudant James Brown avec des cuivres évoquant par contre plus deux des ballades d'Otis Redding. Une bien belle pièce.


     Kévin Double est invité à s'époumoner dans son harmonica torride sur la reprise de « Down the Road ». On craint le pire lorsque cette bonne intro, aux effluves de bayou avec Johnny Winter en guest, est coupée net par des « scratchs » (sic !). 20Syl se fraye un chemin à coup de samples et de scratch, bousculant sans s'excuser un bon blues si bien entamé. Et pourtant, s'adaptant au rythme, il procure un petit air mutin, coquin. Et confiant va jusqu'à aller défier l'harmonica de Kévin (où il peine rapidement).
Autre reprise, « That Wiggle » de Syl Johnson.
« Da Bump » fait renaître l' Albert Collins de « Cold Snap » et de « Don't loose your Cool ». C'est à nouveau l'occasion pour Arnaud de faire chanter sa guitare en duo avec sa voix à la manière du Grand Albert. C'est sensé être le final, alors on en profite pour faire durer le plaisir et les deux guitaristes s'en donnent à cœur-joie. Même Igor Pichon s'octroie un solo de basse noyé de saturation (Bootsy Collins ?), simple mais bien groovy.

     Si à l'écoute de certains plans, de certains mouvements ou encore quelques sonorités les noms de Bryan Lee et de Stevie Ray Vaughan, voire de Tommy Castro, arrivent sur le bout des lèvres, d'autres tels que les Meters, Albert Collins, James Brown, Sharon Jones, et Albert King se font clairement plus pressant. Voire, à la limite, Tower of Power, The Ohio Players, Elie Paperboy Reed. La Telecaster d'Arnaud, de par son attaque et son timbre, ressuscite souvent le fantôme d'Albert Collins. Plus rarement, c'est celui d'Albert King qui surgit, notamment dans les bends. Et c'est cette guitare incandescente qui, le plus surement, permet au groupe de garder un solide ancrage avec le Blues.

     Depuis, « Sweet Soul Music », Malted Milk a collectionné les éloges de la presse et du web. Avec ce live, il devrait convaincre les derniers récalcitrants.


     Ces Nantais s'exportent, en Europe donc, mais même aux Etats-Unis (en première partie). C'est fort, très fort même, alors que pendant ce temps, en France, on continue à promouvoir les produits interchangeables de la télé-réalité, généralement avide de gloire, même furtive, et sans réelle et pure passion de la musique ; ou encore à faire l'apologie de musiciens ou d'interprètes dès lors qu'ils sont soutenus par une grosse maison de disque (jusqu'à être nommé (sic!) chevalier des arts et des lettres (lien ici - pour mémoire -)). C'est d'autant plus regrettable qu'il y a aujourd'hui sur le territoire assez d'artistes authentiques et intéressants pour leur consacrer une émission sérieuse hebdomadaire.


Arnaud Fradin : chants et guitares
Igor Pichon : Basse et chœurs
Yann Cuyeu : guitare et chœurs
Richard Housset : batterie
Timothé Bakoglu : claviers
Pierre-Marie Humeau : trompette
Vincent Aubert : trombone
Sylvain "Sly" Fetis : saxophone ténor
Laurence Le Bacon et David "Muppet" Allain : chœurs


5 commentaires:

  1. Eux, c'est vraiment des très bons. Dans l'indifférence générale, comme d'habitude, alors que comme d'habitude la critique, la presse, et le grand public les ignorent. Vaut largement bon nombre de groupes anglo-saxons, c'est exact.

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    1. Heureusement, pas dans vraiment dans l'indifférence générale car certains magazines ont déjà fait l'éloge de (certains de) leurs disques ; notamment depuis "Sweet Soul Blues", mais je me souviens, vaguement, avoir lu une ou deux bonnes chroniques sur "Easy baby". Même le très critique Soul Bag en a dit du bien.
      Toutefois, jamais vu passer un article autre qu'une petite chronique sur un disque. Un peu regrettable. Même les mags de guitares pourraient se pencher sur le cas Arnaud Fradin, et même sur celui de Yann Cuyeu. C'est sûr, pas de tapping, de legato de la mort et de descente de manche vertigineuse (pas d'esbroufe en fait), mais, indéniablement, des musiciens qui savent tenir et faire sonner une guitare.

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  2. Super live! Ce groupe est devenu une référence dans son genre. Sur le début de "Da Bump", la ressemblance avec Albert Collins est vraiment frappante!
    Habitant à Nantes, je suis un peu frustré de ne pas avoir su que le groupe passait en octobre 2013. Heureusement, le groupe repasse dans le secteur le 28 juin au festival Paille en Son.

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    1. Pas que sur "Da Bump", Knud. Et c'est pas plus mal. Au contraire. Et je ne me souviens de quelqu'un réussissant à reproduire aussi bien la signature sonore d'Albert Collins (pourtant, j'ai quelque part un titre hommage où ça le fait mais je ne parviens pas à me souvenir de qui...).

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  3. A propos des mag qui en ont parlé n'oublions pas le remarquable Deblocnot fin 2010 (déjà!) (http://ledeblocnot.blogspot.fr/2010/11/nina-attal-malted-milk-en-concert.html )..........
    sans rire, les ayant vu en concert, je confirme tous les propos élogieux!

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