vendredi 4 avril 2014

LE ROCK AU CINEMA, partie 1, par Luc B.

 
Y'a pas que Philou qui donne dans la saga ! Nom de Zeus ! 

Je vous invite à suivre une petite histoire du Rock'nRoll au cinéma, depuis les premières apparitions de Bill Haley en 1955, jusqu'au portrait déconstruit de Bob Dylan par Todd Haynes, en 2007. L'excellent ouvrage de Thomas Sotinel, paru en 2012 aux éditions La Martinière, m'a servi de guide. Et comme le veut le genre, oui, y'aura des oublis, on ne peut pas parler de tout ! Bon voyage ! 

 
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Il n’a pas fallu longtemps pour que le Cinéma rencontre le Rock’n’roll. Dès la naissance de ce dernier, à vrai dire. En 1953, on avait raté le coche, quand sort sur les écrans L’EQUIPEE SAUVAGE de Laslo Benedek, avec Marlon Brando en bicker sauvage et rebelle. Las, quand le viril motard met une pièce dans un judebox, ce qui en sort évoque davantage les chansonnettes de Doris Day. Imaginez la réaction des gamins si les haut-parleurs avaient craché « Summertime Blues »… Sauf quand 1953, le Rock’n’Roll n'existait pas.

"Graine de violence" premier film au générique rock'n'roll
En 1955, oui. Un gamin de 10 ans achète un disque de Bill Haley, « Thirteen women » avec en face B « Rock around the clock ». Forcément, son paternel entend ça à la maison. Le père du gamin est l’acteur Glenn Ford, qui tourne avec Richard Brooks GRAINE DE VIOLENCE, qui n'est pas une bluette juvénile, mais une charge contre le système éducatif américain. La chanson de Bill Haley (écrite par Max Freedman) se retrouve au générique du film. Choix judicieux. Dans la salle, les minots sont fous de joie. Les producteurs pigent illico le potentiel commercial d'avoir un tube pop au générique. Et ils capitalisent sur la personne de Bill Haley : l’année suivante arrive sur les écrans ROCK AROUND THE CLOCK (ils ont gambergé pour trouver le titre…) réalisé par Fred F. Sears, sur un scénario insipide narrant comment un producteur découvre un certain Bill Haley et ses Comets, et en fait des stars. On y croise aussi The Platters. Le tout sous la baguette musicale du fameux DJ Alan Freed, animateur radio préféré des jeunes, qui serait à l'origine du terme rock'n'roll. Nouvel enseignement : pas besoin de talent pour que ça marche ! Le filon est lancé, et Freed, Bill Haley et Sears se retrouvent la même année dans DON'T KNOCK ROCK (1956) avec aussi Little Richard.

Avec des budgets de séries B, les studios sortent des productions pour teenager, à base de romances, courses de voitures, bikini, et des apparitions des nouveaux idoles. GO JOHNNY GO ! (1959) réunit Richie Valens, Eddie Cachran, Jackie Wilson et Chuck Berry. Gene Vincent dans HOT ROD GANG (1958) y va de sa chansonnette mais joue aussi quelques répliques, alors que Jerry Lee Lewis dans HIGH SCHOOL CONFIDENTIAL n’a droit qu’à son play back. Ce film au titre français de JEUNESSE DROGUÉE (sic!) parle des dangers de la... drogue ! Il est réalisé par Jack Arnold, qui avait fait L'HOMME QUI RÉTRÉCIT. C’est en 1956 qu’apparait la première BO, Bande Originale, un 33 tours issu du film ROCK ! ROCK ! ROCK ! et c’est le label Chess Records de Chicago, distributeur de Chuck Berry, qui tire le premier. Un coup de génie.

Le film qui a traversé les âges, c’est LA BLONDE ET MOI, riche production de Franck Tashlin, avec la plantureuse Jayne Mansfield. Si le film moque la génération Rock’n’Roll, cela n’empêche pas le public de s’y précipiter, pour y voir en scope couleur Gene Vincent, Little Richard ou Fats Domino. Les années 60 voient déferler une série de nanars sur fond de Surf Music, comme BEACH PARTY (1963) dont la vedette est Frankie Avalon, élevé aux grains par les écuries Disney. L’ancêtre des Selena Gomez, One Direction et High School Musical… Il récidive avec BEACH BLANKET BINGO en 1965. (Rockin' tu me les rendras quand, mes DVD ?) 

Le premier film d’Elvis Presley est un western, THE RENO BROTHERS (1956) de Robert D. Webb. Presley n’y tient qu’un second rôle. Influencé par James Dean ou Montgomery Clift, Presley souhaitait être vraiment comédien et il ne s’y prenait pas mal quand on lui en laissait l’opportunité. Le film sera rebaptisé opportunément LOVE ME TENDER et la chanson éponyme rajoutée à la va-vite au scénario. Triomphe. Dans la décennie qui suit, le pauvre Elvis sera contraint d’aligner trois nanars par an, cornaqué par le Colonel Parker, qui a vite saisi combien le cinéma était un vecteur de promotion pour son poulain. C’est sur les écrans de cinéma qu’Elvis Presley fait sa pub dans le monde entier. Il faut retenir de cette triste filmographie LE ROCK DU BAGNE (1958) solidement réalisé par Richard Thorpe, portrait acerbe du business du Rock, avec un Presley convaincant, et la fameuse chorégraphie des taulards sur fond de « Jailhouse rock ». On y voit aussi Elvis enregistrer un disque, et les musiciens du film sont Scotty Moore, DJ Fontana et Bill Black, le groupe historique formé chez Sun Records.

Pour le moment le cinéma n'utilise pas le côté subversif du rock, juste son aspect récréatif, décoratif, en incluant des scénettes musicales à des intrigues polycopiées. Chacun y trouve son compte. Les films coutent peu et rapportent beaucoup, le chanteur y fait sa promo, et la maison de disque sort le 33 tours, sur lequel les gamins se précipitent encore enivrés par les images. Les producteurs de cinéma se contrefichent du rock, une sous-culture. Le rock y sera vite aseptisé, remplacé par des ersatz, comme dans TWIST AROUND THE CLOCK d'Oscar Rudolph (1961) avec Chubby Checker, et son célèbre "Let's twist again", The Marcels, et la jeune Liza Blackwell   

Et en Angleterre…

Au départ, les anglais n'échappent pas à la règle, le clône d'Elvis, Cliff Richard (& The Shadows) illumine de sa présence des chefs d'oeuvres comme EXPRESSO BONGO (1960), THE YOUNG ONES (1961) ou SUMMER HOLIDAY (1963) qui se passe en été, et pendant les vacances... Traversons la Manche une minute : notre Johnny à nous chevauche en Camargue dans D'OU VIENS-TU JOHNNY (1963) réalisé par Noël Howard, sur des chansons de Eddie Vartan. L'année d'avant on le voyait dans LES PARISIENNES un film à sketches, il susurre "Retiens la nuit" à la jolie Catherine Deneuve. Dans un autre sketch, on voit Eddy Mitchell.

Si le cinéma a mis le grappin sur Elvis Presley, il ne pouvait rater les Beatles. En 1964, le producteur américain Walter Sheenan signe avec Brian Epstein (manager) une série de trois films. Plutôt que de confier la réalisation à un vétéran, c’est le jeune Richard Lester qui s’y colle. Lester fait partie de la Nouvelle Vague anglaise. Il a réalisé THE KNACK en 1964. Son idée n'est pas de faire jouer la comédie aux Beatles, qui, il l'a bien compris, lui, ne sont pas des acteurs. John, Paul, Ringo et George viendront pimenter une intrigue par leurs interventions loufoques. Le phénomène Beatles s'inscrit donc parfaitement avec le nouveau souffle des films de Lester. Le succès est foudroyant : HARD DAY'S NIGHT et sa bande-son aux petits oignons rapportera 22 fois sa mise. HELP ! (1965) du même réalisateur fait un moins bon score.

On évoque ensuite LES TROIS MOUQUETAIRES, qui ne se fera pas, comme LE SEIGNEUR DES ANNEAUX que John Lennon a tenté de vendre à Stanley Kubrick, qui déclina gentiment. En 1967, c’est MAGICAL MYSTERY TOUR, où Ringo Starr sort son épingle du (non) jeu. Mais comme c’est financé par la télé, il faut donc au groupe refaire un dernier film. Aux Etats Unis, ils sont déjà les héros d'un dessin animé. Fatigués de faire les gugusses devant une caméra, les Beatles optent donc pour un film d'animation, YELLOW SUBMARINE (1968), délicieusement psychédélique. 
 
A Londres, la culture Rock est prise au sérieux. Les réalisateurs en pointe, Godard, Truffaut, Antonioni, Kubrick, Boorman, y croisent le gratin de la pop musique. Curieusement les premiers films qui sortent sont des satires anti-rock, qui tournent en dérision cette contre-culture : SAUVE QUI PEUT (1965) de John Boorman avec le chanteur Dave Clark qui chatouille les Beatles dans les charts, ou PRIVILEGE (1967) de Peter Watkins avec Paul Jones ex-Manfred Mann. Si les Beatles donnaient dans la comédie foutraque, dans la grisaille sociale de l’après-guerre, les Rolling Stones se doivent de dissiper des parfums plus sulfureux et colorés. Nicholas Roeg convoque Mick Jagger pour PERFORMANCE (1967) où le lippu joue une star décadente qui se tape Anita Pallenberg et Michèle Breton. Le film tente d'opposer l'attitude conservatrice et des bourgeois, et leur déviances sexuelles (l'acteur James Fox vu dans THE SERVANT de Losey), à la franchise des rapports entre hippies hédonistes et sains. La BO est de Jack Nitzsche avec Ry Cooder et Lowell George aux guitares. Anéantie par le résultat, la Warner mettra 3 ans avant de sortir le film…

Les Stones accueillent en 1968 Jean Luc Godard en studio, pour l’enregistrement de « Sympathy for the devil » séquence phare de ONE + ONE. Les travellings circulaires du franco-suisse captent la création d'une des plus grandes chansons du siècle, et la mort à petit feu de Brian Jones. Cinéma et Rock copulent à tout-va, Kubrick courtise Pink Flyod, qui choisissent de travailler avec Barbet Schroeder pour deux films : MORE (1969), avec Mimsy Farmer blonde junkie à Ibiza (qui suite à cela deviendra un paradis hippie), puis LA VALLEE (1972) avec Bulle Ogier et Jean Pierre Kalfon. C'est pendant les séances de Dark Side of the Moon, que le Flyod compose la B.O., au chateau d'Hérouville. Si la musique de BLOW-UP (1966) d’Antonioni est signée Herbie Hancock, c’est Jeff Beck qu’on voit à l’image, détruisant sa guitare, recommandation du réalisateur qui avait vu Pete Townsend à l’œuvre. On commence à voir des reportages sur les tendances du Swinging London, comme dans LET’S ALL MAKE LOVE IN LONDON de Peter Whitehead, où se croisent peintres, poètes et chanteurs. 

A cette époque beaucoup de musiciens, fans de cinoche, mettaient la main à la poche pour financer des projets, Jimmy Page, Roger Waters, George Harrison, lui-même producteur, notamment de LA VIE DE BRIAN des Monty Python.   

Retour aux States :

Le rock est maintenant bien intégré au cinéma anglais, mais aux Etats Unis, ça traine les pieds. En 1964, un programme va faire fureur : le TAMI SHOW, un montage de bandes promos, d’extraits de concerts, diffusé dans les drive-in où les ados se pressent boire leur milk-shake et bécoter Peggy Sue sur la banquette arrière. Ils y découvrent des artistes dont ils ne connaissent que la voix, sans les avoir jamais vus réellement à l'oeuvre :  les écuries de Soul Music, Motown, Stax, les Beach Boys, les Stones et James Brown, qui écrase la concurrence avec son funk incendiaire. Le cinéma produit aussi ses premiers documentaires, ceux de D.A. Pennebaker (réalisateur du premier clip « Homestick blues ») sur Bob Dylan, DON’T LOOK BACK (1965) et EAT THE DOCUMENT (1966). Dylan rechignera à montrer ce dernier, illustrant son passage à la musique électrique.

C'est donc par le biais du documentaire que les cinéastes américains font connaissance avec le monde du rock. Et lancent la mode des captations de concerts : Blues Folk Festival, Woodstock (Oscar du documentaire), Monterey, Concert pour le Bangladesh... Pour rester dans le registre, citons le tristement célèbre GIMME SHELTER (1970) sur le festival d'Altamont, on y voit le meurtre de Meredith Hunter, spectateur poignardé par un Hell’s Angel pendant une prestation des Rolling Stones. Pour planer, je conseille le plus détendant PINK FLYOD LIVE AT POMPEI (1972) d'Adrian Maben, aux travellings somptueux, qui reste un des meilleurs trips qui soit avec l’épilogue de 2OO1 ! D'ailleurs, prenez le titre "Echoes" de Pink Flyod, et écoutez-le superposé à la dernière partie du film de Kubrick, ça colle, c'est synchrone, on crorait presque que c'est fait pour ! 

Rions un peu avec le balourd et pompeux THE SONG REMAINS THE SAME de Joe Massot et Peter Clifton, avec les zozos de Led Zeppelin, dont Bonzo sur son tracteur, et Jimmy en Père Fourras... Les images datent de 1973, le film sort 3 ans plus tard... Observons de près un divorce à quatre dans LET IT BE (1969) de Michael Lindsay-Hoog, avec les Beatles Arrêtons-nous sur ce Hoog, qui serait selon la rumeur le fils caché d'Orson Welles (!!) réalisateur de clips pour les Stones, et celui qui fut aux manettes pour le ROCK'N'ROLL CIRCUS, l'émission musicale orchestrée par Mick Jagger pour Noël 1968, et jamais diffusée... SOUL TO SOUL est un témoignage d’une tournée de Wilson Pickett, Ike et Tina Turner au Ghana. WATTSTAX de Mel Stuart revient en 1973 sur un méga concert de l'écurie Stax. Marc Bolan est impressionné sur pellicule par Ringo Starr lui-même, dans BORN TO BOOGIE (1971). Le batteur des Beatles y apparait avec Bolan dans des scénettes pseudo-comiques, des prises en concerts, et un "Children of révolution" avec Starr à la batterie et Elton John au piano. Les Stones déchantent en découvrant le montage peu glorieux de COCK SUCKERS BLUES (1972) de Richard Franck, Sodome et Gomorrhe rock’n’rollien, finalement planqué au fond des tiroirs de Mick Jagger soudainement pris de pudeur...

Passons sur les expérimentations audio-visuelles d'Andy Warhol et Paul Morrissey, avec le Velvet Underground, qui aura une grande influence sur les futures scènes Glam et Punk, et un certain cinéma dit underground. Une tendance raillée dans le très beau MACADAM COWBOY de John Schlesinger (1969), classé X à sa sortie pour cause de pornographie (une scène d'orgie psychédélique où apparait Paul Morrissey, cité plus haut), film auréolé de la merveilleuse chanson "Everybody's talkin" par Harry Nilsson et Toots Thielemans à l'harmonica. Et comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, certains musiciens prennent eux mêmes la caméra. Franck Zappa réalise 200 MOTELS (1971) avec Ringo Starr – encore lui – dans le rôle du moustachu, et l'autre batteur rigolo Keith Moon. Neil Young se filme dans JOURNEY THROUGH THE PAST (1972). Bob Dylan, en 1978, donnera dans la fresque de 4 heures de RENALDO ET CLARA, (normal, quand on sait que la moindre de ses chansons fait 9 minutes !) co-écrit par Sam Sheppard, montage approximatif de concert, interview et fictions... 

La donne va changer avec l'apparition d'une nouvelle génération de cinéastes, qu'on surnommera plus tard le Nouvel Hollywood. Du rock, ils en écoutent tous les jours. Alors pourquoi pas en mettre dans leurs films ? Parmi eux, un acteur black-listé, instable et junkie : Dennis Hopper. Son film : EASY RIDER (1969). 

Qui fera l'objet d'un prochain épisode... vendredi prochain !



Les bandes annonces de "la Blonde et moi" (format incorrect, désolé), puis du TAMI Show (imaginez les gamins découvrir ça pour la première fois !! Hé, y'avait pas de Youtube à l'époque...), et de "200 motels" de Franck Zappa.








4 commentaires:

  1. Zappa c'est le Coluche du Rock !

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  2. Shuffle.6/4/14 12:56

    A part Graine de violence et Macadam cow boy, on ne peut pas vraiment dire que la qualité soit au rendez-vous. Beaucoup ont assez mal vieilli, y compris Easy Rider avec ses passages chaotiques (le cimetière entre autres).

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    1. Je confirme... aussi pour Easy Rider, dont on parlera la semaine prochaine. Il apparait que le but du jeu n'était pas de faire de grands films, mais de réunir un max de gus dans les salles de cinéma... Mais le Live in Pompéi est tout de même une expérience musicalo-visuelle assez osée.

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    2. Shuffle.6/4/14 20:35

      Je me souviens l'avoir vu en nir et blanc à la télé vers 75. Un choc, en effet. Ça changeait des Carpentier.

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