samedi 22 mars 2014

Ludwig van BEETHOVEN : 4 Sonates : "au clair de Lune", etc. – Wilhelm KEMPFF – par Claude Toon



- Oh Oh M'sieur Claude, après des compositeurs un peu confidentiels comme Roussel et Chausson, retour aux fondamentaux : Beethoven…
- Et oui Sonia, Beethoven est un monde infini. J'ai parlé symphonie et concerto, il nous reste les quatuors, les trios, que sais-je et les 32 sonates pour piano…
- Un commentaire sur 32 sonates, vous ne craignez pas d'écrire un roman et non une chronique ?
- Mais non, c'est pour cela que j'ai retenu ce disque avec un choix de quatre sonates qui portent toutes un titre comme la célèbre sonate "au clair de Lune"…
- Et comme toujours un grand pianiste…
- C'est certain, car si j'essaye moi-même, ça craint !… Disons que je n'ai absolument pas le niveau… mais alors pas du tout !

Je ne reviens plus sur l'homme Beethoven, l'enfant surdoué né d'un père violent, le drame de la surdité, le personnage révolté et humaniste, et la gloire. Tout cela a été évoqué plus en détails dans les chroniques consacrées au 5ème concerto pour piano, celui pour violon et les symphonies 3, 5, et 7. (Voir les liens vers ces articles dans l'index classique – CLIC.)
Si on connaît bien le Beethoven symphoniste, pam pam pam paaaam, ce diable d'homme a excellé dans tous les genres et notamment dans la musique de chambre (ses quatuors novateurs). La sonate pour piano n'échappe pas à la règle, et elle aussi va franchir avec brio la frontière entre l'âge classique et le romantisme au fur et à mesure de sa carrière.
La composition des sonates se déroule sur toute la carrière du musicien, des trois premières écrites par le jeune Ludwig de 25 ans en 1795 jusqu'au deux dernières, les N° 31 et N° 32 qui datent de 1820. Le premier triptyque porte le numéro d'opus N°2 et les deux dernières, les opus 110 et 111. Le catalogue chronologique beethovénien se conclut par l'opus 135 (quatuor N°16) en 1826. De 1795 à 1827, année de sa mort, 32 années et 32 sonates… Ce cycle, une référence dans le genre avec celui de Mozart, permet de découvrir pas à pas les innovations musicales de celui que l'on considère comme le dernier classique et le premier romantique. La transition ayant lieu lors de la symphonie "Héroïque" en 1805… Le programme de ce disque rassemble les sonates N° 8 op. 13 (1798-1799), 14 op. 27 (1802), N° 21 op. 53 (1804) et pour finir, la N° 23 op. 57 (1805). Sept années pendant lesquelles Beethoven commence sa lutte contre le drame de sa vie : la surdité.
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Oui Sonia, un grand, un immense pianiste du XXème siècle, Wilhelm Kempff. Il est vrai que je parle le plus souvent possible de jeunes talents du clavier : Yuja Wang (que les crétins estiment forcément médiocre car elle est très jolie), Lang Lang (que les fâcheux n'aiment pas car il fait de l'esbroufe sur scène, comme si la chose était rare dans le monde de la musique), Fazil Say (contesté parce que d'allure rustique de par ses origine turques, mais divin dans Tchaïkovski), sans oublier quelques séniors comme Martha Argerich ou Kristyan Zimerman (Heuu, dont personne ne contestera plus le talent). En résumé, des personnalités bien vivantes. Au début de mes chroniques, j'avais commenté deux enregistrements du concerto l'Empereur de Beethoven sous les doigts de Edwin Fischer (1886-1960) et Arturo Benedetti Michelangeli (1920-1995). Le disque permet aussi de nous léguer les patrimoines musicaux d'artistes géniaux du siècle passé. Et puis pour les mélomanes de ma génération, ceux qui ont découvert la musique avec l'avènement de la stéréophonie, du son réaliste, Wilhelm Kempff reste une référence.
Kempff est né en 1895. Cela paraît bien lointain et sent le 78 tours… Et bien pas du tout car le pianiste vivra 96 ans et ne disparaitra qu'en 1991 sans vraiment avoir cessé de jouer puisque les dernières années, il animait encore des master class. Comme pianiste allemand, il sera l'interprète inspiré de Beethoven, Schumann, Schubert, Brahms
Dans les années 60, au faite de son art, Kempff va marquer l'histoire du disque en publiant chez Dgg l'une des premières intégrales des sonates pour piano de Beethoven en stéréo (il avait déjà gravé l'ensemble, mais à l'époque de la mono). Il avait également enregistré, toujours pour Dgg, une intégrale des concertos de Beethoven avec la Philharmonie de Berlin, mais l'accompagnement par un Ferdinand Leitner en petite forme (au lieu de Karajan) n'a pas laissé l'empreinte attendue (quoique réécoutez les concertos 3 et 4, ça le fait quand même). Toujours dans les années 60, il entreprendra une intégrale des 21 sonates de Schubert, encore un must. Tout cela est réédité et disponible en permanence au catalogue !
Wilhelm Kempff se voulait aussi compositeur. Il est un peu oublié à ce titre, mais l'une de ses symphonies fut créée par Wilhelm Furtwängler en 1929. C'est tout dire. Kempff était un penseur, presque un mystique, le regard mélancolique. Quand on regarde la vidéo, il semble assoupi ! Non il est en communion avec le compositeur et l'œuvre. On va en reparler…
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Donc quatre sonates parmi les plus connues grâce à leurs sous titres. La sonate "au clair de Lune" op. 27. Un nom donné après la mort de Beethoven. La sonate au célèbre rythme obsédant que connaissent toutes les oreilles. Et n'oublions pas le sketch hilarant de Bernard Haller, pastiche d'un pianiste à deux balles en récital qui soliloque en "off" ses soucis et commentaires délirants ("il a du payer demi tarif le cul de jatte"). Il pose une question profonde : que fait un pianiste qui a le nez qui le démange ?
- M'sieur Claude, vous digresser il me semble… On écoutera ce sketch assez prometteur, mais…
- Ah, heuu… oui Sonia, désolé… Je vais me faire gourmander par M'sieurs Luc et Rockin'…
Trois autres sonates sont proposées : La "Pathétique" op. 13, la "Waldstein" op. 53 et l'"Appassionata" op. 57…
1 – Sonate N° 8 "Pathétique" : Murement travaillée de 1798 à 1799, cette sonate est la première où Beethoven impose son style libéré des enseignements de ses maîtres et modèles : Haydn et Mozart. Elle ne comporte d'ailleurs que trois mouvements, à l'instar des 3 autres figurant sur ce disque. Beethoven supprime le 3ème mouvement, un menuet la plupart du temps, qui sert de pause (pour meubler ?) avant le final.
Autre nouveauté, le mouvement initial débute par un "Grave" avant que le tempo ne se mue en habituel Allegro. Des accords farouches donnent un ton dramatique voire pathétique, d'où le titre de la sonate. Et dès ces premières notes, la magie du toucher de Wilhelm Kempff opère. Une puissance contenue sans pathos. Chaque note se détache, joue son rôle avec légèreté mais sans pour autant survoler le clavier. La main gauche ciselle les graves. Certains reprochent à ces enregistrements un manque de grave !? C'est oublié que Beethoven écrivait pour un pianoforte et non un Steinway D 274, et cela Kempff le sait, et sa main gauche se refuse à toute brutalité hyperromantique. [1'34"] L'allegro se lance dans une folle cavalcade. Le pianiste ne quitte jamais cette distinction qui caractérise son jeu, sa hauteur de vue. Le compositeur n'a pas trente ans. Il entend encore bien. Le jeu de Kempff reste donc juvénile.
On retrouve une fraiche sérénité dans l'adagio cantabile. La transition du do mineur de l'allegro "pathétique" au la bémol majeur justifie d'effacer tristesse et mélancolie dans ce passage central. Kempff affirme cette tranquille méditation par un staccato raffiné, presque sans pédale. Je risque de me répéter en soulignant l'allègre  dynamique dans le jeu du Rondo allegro final. La musique oublie les sombres accords du début de la sonate pour un jeu entre les tonalités. Un jeu aérien et facétieux sous les doigts de Kempff.

2 – Sonate N° 14 "Au clair de Lune" : Composée avant la seconde symphonie, Beethoven commence à prendre conscience de l'infirmité qui va le ronger. La tonalité est sombre : l'ut dièse mineur. Qui n'a pas entendu cette marche Adagio sostenuto - attacca obsédante avec quelques notes qui jaillissent par ci par là. C'est le poète Ludwig Rellstab qui attribuera en 1832 ce titre "au clair de lune" en songeant à une barque oscillant sans cesse au gré d'un clapotis, sous un ciel nocturne. Kempff poétise cette page. C'est nostalgique certes, mais sans lamentation. Il est si facile de sombrer dans de lugubres ténèbres avec ces mesures et ce mouvement perpétuel…
Le très court Allegretto attacca garde un ton secret mais avec un soupçon d'humour. Beethoven s'interroge-t-il ? Faut-il s'apitoyer ou en rire ? Le final, un rondo allegro distille puissance et volonté. Kempff trouve le tempo idéal, martèle les notes pour évoquer la colère intérieure.

3 – Sonate N° 21 "Waldstein" : Composée en 1803-1804 pour son ami et protecteur, Le comte Ferdinand von Waldstein, la sonate présente un premier mouvement allegro con brio très long et vivement animé. Beethoven vient d'acquérir un piano Erhard au registre plus étendu. On l'entend dans la profusion d'accords graves et l'exploitation des écarts et registres extrêmes. Rémission de sa surdité ? La sonate se veut allègre avec une tonalité gaie et brillante : do majeur. La musique virevolte jovialement sous les doigts de Wilhelm Kempff. Le discours est énergique mais jamais hédoniste. Kempff redonne la parole à un pianiste qui a retrouvé l'espoir pour un temps.
Le très court adagio central noté Introduzione - Adagio molto sert de transition méditative entre le long premier mouvement et le final. Il ne comporte que 28 mesures ! C'est une simple respiration que Kempff traverse avec sérénité, portant une attention à chaque note. Car dans un passage aussi bref, inutile de préciser que chaque note se doit de trouver sa place, son émotion individuelle réduite à un bref événement sonore. On retrouve l'énergie de l'allegro dans le presto agitato final Avec une telle indication, on pourrait s'amuser à déchirer l'espace sonore Non ! Kempff trouve le ton juste, laisse venir Beethoven vers nous grâce à une virtuosité sincère, une virtuosité souple et vigoureuse à la fois.

4 – Sonate N° 23 " Appasionata" : Elle est dédiée à son ami le comte Franz von Brunswick et publiée en 1805, c’est-à-dire pendant la période dépressive que traverse Beethoven, entre la composition des 3ème et 4ème symphonie (Ludwig van pense un temps au suicide). Sa tonalité dominante est anxieuse : fa mineur. Le sous titre "passionnée" est une idée de l'éditeur. Cette sonate est plus développée que ses sœurs proposées dans cet album avec une durée d'interprétation de 25' environ.
L'Allegro assai initial cherche sa voie… L'écriture est plus complexe que dans les sonates qui précèdent. Beethoven tente, et réussit, à s'échapper de la forme sonate traditionnelle ; par exemple, il ne fait pas la reprise de l'exposition. On pense à nous même quand des idées inquiètes s'entrechoquent dans notre tête lors d'un coup de blues. Le jeu de Kempff libère une grande intériorité à ce mouvement bouleversé par les questions et les hésitations de la pensée du compositeur. Le jeu est limpide. Kempff nous a épargné sur tout ce parcours l'emphase, l'extatisme, ou encore cette violence un peu vaine que certains interprètes imposent à cette musique si intime. À noter dans la coda, la citation du thème universellement connu "du destin" de la 5ème symphonie "pa pa pa paaam" en gestation [8'40]. Beethoven travaillait toujours sur plusieurs partitions en même temps à partir d'une multitude de motifs musicaux qu'il voulait "frappants".
L'Adagio attacca en ré bémol majeur offre un moment de détente avec sa forme "thèmes et variations". Son climat paisible nous prépare à la furie du final. Kempff campe un Beethoven songeur et contemplatif par son toucher aérien au legato d'une fine précision. Il y a une fidélité au texte, un respect de l'esprit et la lettre qui explique pourquoi ces enregistrements restent indémodables. L'Allegro, ma non troppo – Presto est enchaîné directement sans pause. Kempff nous entraîne dans une course folle, un désir féroce de croire en la vie. Il est notoire que la "passion" est présente à chaque mesure, chaque transition épique. Je vais peut-être faire hurler certains, mais dans ce passage, Kempff, c'est la limpidité virtuose d'un Gould… avec l'intelligence en plus ! Beethoven aimait beaucoup cette sonate si secrète et pourtant si couillue. Il attendra 5 ans pour écrire la 24ème sonate dédiée à la comtesse Thérèse von Brunsvik. (Témoignage de Czerny.)
Il reste 28 sonates à explorer. Ce commentaire est centré sur un pianiste, Wilhelm Kempff, nous aurons l'occasion de reparler d'autres pianistes qui ont brillé dans ces pages… Donc pas de discographie alternative cette semaine…
- Heuu... M'sieur Claude, et Alfred Brendel…
- SONIA ! Qu'est-ce que je viens d'écrire bon sang !!!!
- Désolée…
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L'intégrale des quatre sonates. Enfin pour s'amuser le sketch de Bernard Haller





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