samedi 22 février 2014

Albert ROUSSEL : Symphonie N°3 – Charles DUTOIT – par Claude Toon



- Et bien dites donc M'sieur Claude… Ça déménage ce matin dans votre bureau, c'est quoi cette musique volcanique ?
- Le début de la 3ème symphonie d'Albert Roussel, un contemporain de Maurice Ravel…
- Pas très connu, mais ce nom me dit quand même quelque chose, un de vos commentaires dans un site web je crois…
- En effet, sur son atypique, originale et euphorisante musique de chambre, j'avais inventé le mot de Rigoluminothérapie, merci de lire mes entrefilets Sonia…
- Et puis ça m'a l'air très facile à écouter pour une musique du XXème siècle…
- Oui, c'est vrai, surtout pour cette symphonie, la plus célèbre et la plus jouée des quatre qu'il a composées…

Albert Roussel fait partie de ses compositeurs pittoresques et de grand talent qui ont été un peu éclipsés par le génie de Debussy et de Ravel. La semaine passée, j'avais eu envie de réhabiliter à mes propres yeux Camille Saint-Saëns pas si ringard que cela, et aujourd'hui, je me fais le défenseur assidu de l'un des musiciens français les plus originaux du tournant du XIXème et du XXème siècle. Imaginatif, oui, mais d'une écoute accessible a contrario de certains compositeurs plus avant-gardistes qui avaient tourné le dos brutalement au postromantisme (disons de Bartók à Schoenberg en passant par Stravinsky).
Le petit Albert qui deviendra grand(*) naît à Tourcoing en 1869 dans une famille aisée d'industriels. Orphelin à 8 ans, son grand-père puis son oncle assurent son éducation. On ne parle pas encore de musique. Le jeune homme suis des études classiques puis intègre l'école navale en 1887. Il va naviguer comme élève officier pendant 5 ans, mais l'appel de la musique va l'emporter sur celui du large… Au gré des escales, il compose en autodidacte et fera même jouer un Ave Maria dans l'église de Cherbourg. Il quitte la grande muette en 1893.
(*) Clin d'œil aux férus d'occultisme
C'est à Paris qu'il va enfin suivre des cours de piano, de contrepoint et d'harmonie auprès de l'organiste Eugène Gigout. Ayant démissionné de la marine en 1894, il complétera sa formation d'orchestrateur auprès de Vincent d'Indy à la Schola Cantorum. Il sera volontaire pendant la Grande Guerre malgré une santé fragile.

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Influencé en cette fin de siècle par Debussy puis d'Indy, Albert Roussel va rapidement trouver son style très particulier. L'œuvre de Roussel se distingue par un quasi abandon des formes classiques (sans renoncer à la tonalité cependant) et un talent de coloriste qui fait songer aux éclats des peintres impressionnistes et fauvistes. Dans sa musique de chambre, Roussel adopte des combinaisons instrumentales les plus fantasques : Trio pour flûte, alto et violoncelle, quintette pour cordes, flûte et harpe ou encore pour vents et piano. La flûte, instrument de nature guillerette, est omniprésente dans son écriture.
Et puis il y les quatre excellentes symphonies, un cycle sans guère de concurrent dans la musique française de l'époque. (Exception : Albéric Magnard.) Enfin, deux ballets bien connus : Bacchus et Ariane et Le festin de l'araignée, sans compter l'extravagant opéra-ballet Padmâvatî dont l'intrigue nous entraine dans une inde féérique. J'ai vu l'ouvrage au Châtelet dans une mise en scène assurée par des troupes venues de bollywood, avec un éléphant, un boa et un tigre blanc sur scène ! Un régal kitchissime. Malgré un décès prématuré en 1937 à Royan, sa production fût abondante.
Le chef d'orchestre suisse Charles Dutoit, âgé de 77 ans, est surtout connu pour avoir dirigé d'une main de fer pendant 25 ans l'orchestre symphonique de Montréal. Réputé ombrageux, il a hissé l'orchestre canadien à un rang qui lui permet de rivaliser avec les meilleurs phalanges US : clarté, énergie, transparence. Le chef, également violoniste, altiste, pianiste et percussionniste a eu comme mentor Ernest Ansermet, et parmi ses conseillers : Munch et Karajan entre autres. Il a fait des passages remarqués auprès de l'Orchestre National de France et celui de Philadelphie.
Côté people, Charles Dutoit a été marié à Martha Argerich de 1969 à 1973. C'est court, mais leur collaboration artistique a duré bien plus longtemps…
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La période de création du corpus symphonique de Roussel s'étend de 1906 à 1934. Il permet de comprendre l'évolution radicale de son inspiration et de son écriture. Si la 1ère symphonie "Le poème de la forêt" s'apparente à un poème symphonique impressionniste, la 2nde, écrite en 1921, s'écarte de toute velléité descriptive pour un climat plus grave, une réflexion philosophique et austère sur la tragédie des tranchées ; Roussel venait juste d'être démobilisé. Sans doute son œuvre la plus difficile d'accès par ses dimensions et son austérité. Composée en 1930, la 3ème symphonie revient également à la musique pure, sans programme, mais recourt à une grande concision et surtout à une fougueuse énergie communicative. En 1934, naîtra sa petite sœur, la 4ème symphonie d'un style similaire, qui fait que les deux œuvres sont souvent gravées ensembles…
En 1930, on célèbre le cinquantième anniversaire de la création de l'orchestre symphonique de Boston. Son directeur de l'époque est Serge Koussevitzky, un chef d'orchestre de grand talent mais également un mécène éclairé qui passera commandes sur commandes au gotha des compositeurs du XXème siècle. La liste serait infinie. Il va diriger cet orchestre prestigieux de 1924 à 1949, soit un quart de siècle. (Charles Munch lui succédera.) Pour l'évènement, il sollicite des créations originales à, rien de moins que : Arthur Honegger, Serge Prokofiev, Igor Stravinsky et Albert Roussel. La 3ème symphonie de Roussel est créée le 24 octobre 1930 sous la direction du commanditaire. Le compositeur, pour la structure, opérait un retour aux formes classiques et l'œuvre comporte 4 mouvements.

1 - Allegro vivo : Ça décoiffe !! Un staccato opiniâtre des cordes et des mugissements des cors lancent l'assaut ! Quelques coups de grosse caisse et de cymbales pour enfoncer le clou et nous voilà plongés dans la rugueuse mécanique musicale du Roussel des années 30. Si le compositeur souhaitait nous faire savoir qu'il est plus un marin qu'un homme de salon, c'est réussi. De la violente tempête des premières mesures émerge un chant ludique de la petit harmonie et des cordes avec un solo de flûte féérique. C'est d'une rare vivacité. À [3'10], on peut sans hésiter esquisser quelques pas de valse. Cette musique sautille joyeusement et sans frénésie dramatique. On pourra penser, pour ceux qui connaissent, à la suite Scythe de Prokofiev, aux Métamorphoses sur un thème de Weber de Paul Hindemith ou encore au style saccadé de Martinu. Dieu que c'est couillu, si je puis me permettre. La coda se fait bacchanale : Tarata tsoin tsoin pam pam !!! Waouh, Charles Dutoit est admirablement à son aise, soulignant avec gourmandise les traits acérés de cette musique. L'Orchestre National de France (sans doute le meilleur orchestre de nos contrées) est dompté avec férocité, et la prise de son, bien dynamique et claire, sert à merveille les riches couleurs de la partition.
2 – Adagio : Ce beau mouvement est le plus long avec sa dizaine de minutes. Le flot des cordes nous baigne dans une nuée nocturne. C'est vraiment une musique pure, propice aux sensations les plus intimes, voire contradictoires suivant la sensibilité de l'auditeur, de l'élégie à la sensualité… On retrouve comme dans toute la partition ce leitmotiv scandé et obsédant. La partie centrale est une double fugue très animée. Les blocs sonores richement orchestrés se poursuivent de pupitres en pupitres. Pas une note pour rien, pas de reprise de forme sonate, mais un tissu symphonique d'une grande cohérence, ce qui évite de se perdre dans les méandres des développements des plus imaginatifs. Charles Dutoit accentue avec une belle souplesse les contrastes de cette page d'un lyrisme fascinant.
3 – Vivace : Les 3 minutes hilarantes du scherzo nous renvoient à l'humour d'un Chabrier ou d'un Satie. Les traits staccato des cuivres, et de tous les instruments en fait, se poursuivent comme dans un cartoon. Une caisse claire et un tambourin fouettent cet orchestre pris de folie.
4- Allegro con spirito : Une flûte volatile (au sens oiseau) introduit le final. Les festivités symphoniques continuent avec quelques pauses et un solo de violon enchanteur. La variété de l'orchestration et les changements de rythme laissent pantois. La coda se déchaîne avec une reprise de cet air initial d'oiseleur. Certains auront l'impression que ça part dans tous les sens. Ce n'est pas faux et c'est de cette impression que naît la magie drôlatique de ce chef d'œuvre…
Si la musique peut avoir un effet stimulant sur vous (Rock, Folk…), écoutez cette symphonie, c'est de la vitamine C !!

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En 1965, Charles Munch grave pour Erato les 3ème et 4ème symphonies avec l'Orchestre des concerts Lamoureux. Le vieux chef dirige sous amphétamine. Il ressort de ce disque (écouté par le Toon en vinyle stéréo non compatible – le must) une jubilation et une vitalité inégalées, voire de l'humour (Adagio de la 3ème). Cette pierre angulaire de la discographie a été rééditée chez  elatus avec la pochette la plus hideuse et hors de propos qu'il ne m'a jamais été donnée de voir (des tournesols cramés par une déflagration nucléaire ?) (elatus - 6/6). T'en penses quoi Vincent ?
Côté intégrale, en 1994, Marek Janowsky, alors directeur de l'orchestre de Radio France, entreprend l'enregistrement des 4 symphonies. La presse spécialisée s'enthousiasme (diapason d'or). Écoutée juste après Munch, le discours semble bien sage. Certes le chef d'origine polonaise, mais vivant en Allemagne, soigne comme toujours son souci du détail et de la transparence, mais c'est au détriment de la spontanéité joviale de cette 3ème symphonie dans les mouvements vifs. Bien sûr le solo de violon de l'allegro final est superbe et la prise de son aérée. C'est très français dans l'esprit, donc d'une belle élégance. Une alternative au punch de Dutoit (RCA - 4/6).
L'enregistrement d'Ernest Ansermet avec l'orchestre de la Suisse Romande n'est hélas plus disponible qu'en MP3. Certes le son d'origine assez ingrat pourrait s’accommoder de ce format mais… non !

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Un diaporama et la 3ème symphonie d'Albert Roussel dans son intégralité par l'Orchestre National de France dirigé par Charles Dutoit :
À noter que l'intégralité des quatre symphonies est disponible sur le site Deezer (CLIC).


2 commentaires:

  1. Un beau deuxième mouvement, un quatrième mouvement trop court à mon gout ! Il est exacte que c'est une musique tonique, qui ne laisse pas indifférent.

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  2. J'ai un faible pour la suite en fa et sa gigue finale, à la rythmique irrésistible. Il ne faudrait pas oublier aussi les Evocations, l'œuvre la plus ambitieuse de Roussel en matière de musique symphonique, œuvre autobiographique puisqu'il avait visité l'Inde alors qu'il était officier sur la Melpomene.
    Dommage qu'il ne soit plus guère joué en France…

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