vendredi 11 octobre 2013

SUR LA ROUTE de Jack Kerouac (1957) par Luc "on the road" B.



KEROUAC ET LA BEAT GENERATION

Jack Kerouac
C’est un des livres les plus célèbres de la littérature moderne, et le roman phare de son auteur, Jack Kerouac (1922-1969). Kerouac, c’est l’écrivain baroudeur par excellence, l’homme libre, le mythe, l’icône contemporaine. Chez nous, on a Rimbaud. Ce n’est pas facile de suivre chronologiquement la carrière de Jack Kerouac entre les romans écrits mais non publiés, ou plus tard, les rééditions, les œuvres posthumes. Kerouac a beaucoup écrit, poésie, essais, romans. Il rêvait d’être journaliste sportif, dans un beau bureau à New York, et se choisira finalement une vie itinérante, de vagabond, de hobo, s’abreuvant de livres et de drogues, festoyant au son frénétique du Jazz Be-Bop avec ses nouveaux amis Allen Ginsberg et William Burroughs, traversant le pays en bus, ou les océans dans la marine marchande. Il fait tous les métiers du monde, y compris le plus vieux… et fait de la taule pour complicité de meurtre (il n’a tué personne, juste planqué le cadavre…). Toute cette vie défiant les conventions, menée à cent à l’heure, se retrouve annotée dans des carnets. De ces notes naitra SUR LA ROUTE, rédigé au fil de l’eau entre 1945 et 1956, et publié l’année suivante. On a dit que SUR LA ROUTE était un bouquin sans chapitre ni paragraphe, sans guillemet ou tiret. Oui et non. Le tapuscrit original est effectivement écrit sur des feuilles scotchées entre elles, ce qu’on appelle « Le rouleau ». Mais aucun éditeur ne peut sortir un truc pareil ! Le texte a été redécoupé classiquement, édulcoré (trop d'allusions au sexe et à la drogue) et les prénoms de vrais protagonistes remplacés par des pseudos. Au grand dam de Kerouac, qui pensait que la forme radicale de son roman en était aussi la clé, sur quoi il n’avait pas tort… sauf que c’est tout simplement illisible !! (où qu’c’est qu’on met le marque-page, hein ?)


Le "rouleau" tapuscrit de Sur la route
Célébré comme nouveau génie de la littérature (SUR LA ROUTE fut un grand succès de librairie, et le reste encore) on lui colle aussi sur le dos la responsabilité du mouvement de la Beat Génération. Il fallait une figure de proue, ce fut lui. Il s’en serait bien passé. Son style de vie ne le prédestine pas à être une idole médiatique. La Beat Génération, est un mouvement littéraire et social, qui repose sur le rejet d’une société conformiste, bourgeoise, et promeut l’expérience à tout-va, via les voyages, les rencontres, le sexe, les drogues. Beat pour le cœur qui bat, ou pour le tempo musical. Il préfigure le mouvement hippie et les premières expérimentations psychédéliques. Kerouac, Ginsberg, Burroughs, Gregory Corso, John Clellon Holmes, Neal Cassidy en sont les représentants. Des personnalités qui avaient comme point commun d’afficher leur homosexualité (ou bisexualité) pour la plupart, ce qui dans ces années-là constituait déjà une forme de rébellion. Ces personnages réels se retrouvent donc dans SUR LA ROUTE. Ainsi, le personnage Sal Paradise représente Kerouac, et Dean Moriarty, Neal Cassidy. Kerouac finira par se fâcher avec cette communauté, devenue trop mondaine à son goût. On aura aussi voulu faire de Kerouac un étendard de gauche, alors qu’à l’instar d’un Bob Dylan, il se fichait éperdument de la politique. Grand mystique devant l’Eternel, le bouddhisme avait sa préférence. Très amoché par l’alcool et la dope, il eut quelques dérapages verbaux (lassé par le barnum et les sollicitations de ses amis), passant du statut de dieu gauchiste à celui de sale facho ! Raccourci hélas classique, si t'es pas l'un, t'es forcément l'autre...  Jack Kerouac meurt d’alcoolisme en 1969. 

LE LIVRE

Si célèbre soit-il, SUR LA ROUTE est parfois qualifié de chiant, longuet, répétitif, et au style pas toujours maîtrisé. Je vous le dis tout net : me concernant, j’ai trouvé ce bouquin formidable. J’ai été happé dès les premières phrases, et emmené jusqu’à la dernière ligne. Ca raconte quoi ? L’histoire de Sal Paradise, écrivain en herbe, qui pour oublier la mort de son père, se met en tête de traverser le pays en stop, partant de New York. Son rêve tourne court (le froid, la faim, la fatigue) il rebrousse chemin, en bus ! Il rejoint ses potes, fait la connaissance d’un type dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est incroyable : Dean Moriarty. Un mec plein de vie, d’une aura exceptionnelle, qui a tout vu, tout connu, qui vit à cent à l’heure, en perpétuel enthousiasme. C’est le coup de foudre. Sal Paradise et Dean Moriarty repartent sur les routes, vers Denver, San Francisco, rejoindre une femme ici, une maîtresse là-bas, et des copains partout ! Les trajets sont prétextes à de multiples rencontres…
  
Cassidy et Kerouac
Si Sal Paradise (alias Kerouac) est le narrateur, le personnage central du roman est Dean Moriarty. La première qualité du livre, le premier talent de Kerouac, est effectivement de rendre Moriarty réellement fascinant. Insupportable, vulgaire, grossier, mais fascinant. Ce type est un ouragan (qui laisse donc derrière lui des âmes désœuvrées) qui brûle sa vie, assoiffé de connaissance, de rencontres, attire vers lui tous les regards. Et le roman perd de sa superbe lorsque Moriarty est absent des pages, ce qui arrive souvent, puisque Sal, Dean et les autres passent leur temps à se quitter et se retrouver. Comme les personnages, le lecteur aussi le réclame.

C’est Dean Moriarty qui tire le bouquin en avant, en donne le tempo, la forme, la dynamique. Allons retrouver Untel à Denver, et pis non, allons voir Machin à la Nouvelle Orléans, retrouvons nous dans six mois à Frisco, non, rentrons à NY, partons pour l’Italie, et pis non, descendons au Mexique… Epuisant ! Comme le leader d’un orchestre de Be Bop (cette musique est au cœur du roman) qui part dans un chorus improvisé, toujours en recherche, en équilibre instable, et qui retombe miraculeusement sur ses pieds à la fin du morceau. Moriarty parle de « it », (le « ça », le « truc ») le point culminant d’un solo de saxophone, le motif musical définitif qui fait partir le groupe dans la stratosphère. Moriarty est en recherche de son « it », comme Kerouac dans son écriture (on perçoit évidemment son admiration pour LF Céline), qui cherche, digresse, triture, malaxe les mots avec une gourmandise infinie et une soif de décrire, raconter, témoigner.

Voyages sur carte, dessinée par Kerouac
C’est l’autre aspect intéressant du livre : les multiples histoires et personnages qui le hante. Pour voyager à moindre frais, un conducteur prend des auto-stoppeurs qui contribuent à l’achat du carburant. On croise donc beaucoup de monde, parfois juste trois lignes, parfois quatre chapitres, mais tous sont parfaitement incarnés. Tous les personnages de ce livre ont des histoires à raconter, sur un pote, un cousin, un oncle, un voisin. C’est fascinant ! Une galerie de personnages, de tranches de vies, qui témoignent de l’époque, cabossés par la vie le plus souvent. Procédé répétitif, comme les haltes dans les hôtels, les restaus, les stations-service. Mais qui fait justement l’essence du livre, et de la Beat Génération, c’est-à-dire la rencontre de l’autre, l’écoute et l’attention portée aux marginaux, aux Clochards Célestes (titre d’un autre roman de Kerouac). La parole d’un taulard, d’un junkie, d’une pute, vaut autant que les autres, et Kerouac s’en délecte.

Un livre sur le voyage, sur la route, implique aussi que l'auteur nous fasse vivre le mouvement, les traversées. Là encore, Kerouac sait faire vivre les décors, les paysages, secs, montagneux, les grandes et petites villes, avec parfois un style ampoulé, mais toujours vivifiant. Scènes nocturnes ou sous le soleil, dans le vent, sous la pluie, l'arrivée dans une ville, la découverte d'un territoire, d'une région, ses changements de climats, d'horizons, tout cela est toujours rendu du point de vue des personnages, par le prisme de leur enthousiasme à bourlinguer.  
  
SUR LA ROUTE est aussi un livre sur l’expérimentation (on comprend son impact sur la jeunesse d’alors). Dean Moriarty n’a pas de tabou. Certains diraient, pas de conscience. Par certains aspects, c’est un sacré salopard, malsain. Marié (à Camille, entre autre…), il entretient une maitresse (Marylou), père de famille, il néglige ses enfants, il cherche la jouissance où elle se trouve, dans le thé (car le mot marijuana est rarement prononcé), la benzédrine, l’héro, l’opium, l’alcool, dans le lit des femmes ou des hommes, pour le plaisir ou pour l’argent, par curiosité, pour pouvoir dire : je l’ai fait. Et malgré tout, Moriarty et les autres aiment aussi à se retrouver dans un giron familial (la tante), un cocon apaisant, un confort aux antipodes de la philosophie affichée. Personnage ambigu, entier, hydre aux multiples visages. On se prend même parfois à se demander s'il existe réellement ou s'il est une incarnation, un double fantasmé de Sal Paradise. 

Sur la dernière partie, les nuages s’amoncellent. Des petits détails inquiétants (le papi de Stan qui supplie son petit-fils de ne pas repartir, le pouce mal soigné de Dean, la piqure d'insecte au bras laissé pendu par la portière...) une ambiance plus sombre, une dureté nouvelle, la fatigue qui s'accumule, qui nous font dire : ça va mal finir. L’ombre de la mort plane, menaçante, la course effrénée de Dean Moriarty vers le « it » inaccessible finit par un voyage hallucinant vers Mexico. Scène d’orgie dans un lupanar, attaque de moustiques, flic pas clair, on frise le fantastique, les visions de cauchemars déformées par la dope, la chaleur, la maladie. Le roman est riche, de situations, de personnages, je n’ai pas le temps de tout évoquer, comme les personnages féminins, et Marylou en particulier. 

Un récit, des personnages et un style qui ne laissent pas indifférent. 

 440 pages en format Poche






LE FILM 
    
Réputé inadaptable au cinéma, le scénario de SUR LA ROUTE traine dans les tiroirs de Francis Ford Coppola depuis 1968. Il en avait acquis les droits, et l’insolence du style Nouvel Hollywood (à partir d’EASY RIDER) aurait pu convenir au roman. Sauf qu’aucun réalisateur, avec deux sous de jugeote, ne s’y serait risqué ! C’est chose faite en 2012, avec le brésilien Walter Salles. Evitons l’étude comparative, fastidieuse (et ce n’est pas mon sujet !). Mais j’ai souhaité voir le film, juste après avoir lu le bouquin. C’est un bon film. Voilà ce qu’on peut en dire, et je vous invite à le visionner, si vous en avez l’occasion. Intrigue raccourcie, moins de route et plus de scènes d’intérieur, amalgame entre personnages et situations afin de concentrer sur un seul des péripéties qui en concernent plusieurs, bref, travail classique d’adaptation pour réduire 450 pages à 2h00. Sauf que la force du livre ne tient pas dans son intrigue, mais dans ses personnages. Leurs modes de vie en 1945-50 détonne, mais visionné en 2013… Et la force du roman, c’est surtout son style, son écriture. La mise en scène de Salles, dynamique et parfois inventive, reste académique dans sa forme, et ne parvient pas à traduire visuellement les élans lyriques et frénétiques, la musicalité de la plume de Kerouac.
   
D’un roman nouveau et célèbre de Marguerite Duras, HIROSHIMA MON AMOUR, Alain Resnais a tiré un film célèbre, et nouveau. D’un roman perturbant et controversé de Burgess, ORANGE MECANIQUE, Kubrick a tiré un film perturbant et controversé. De SUR LA ROUTE, Walter Salles a juste fait un (bon) film…     

Dont voici la bande annonce, car je ne peux pas vous mettre des extraits du bouquin !


6 commentaires:

  1. Saloperie d'informatique.

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  2. Là, c'est passé...

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    1. Et non, ce n'est pas passé !!!!
      Retente ta chance !

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  3. C'est le Maître du Shuffle qui est passé ?

    Excellent ... comme j'ai pas lu ce foutu bouquin, merci de l'avoir résumé ....

    Sinon, Hiroshima mon amour n'est pas un bouquin de Marguerite Duras, c'est au départ un scénario pour Resnais, qui est devenu un bouquin très peu retouché par rapport au scénario ... le film est sorti avant le livre ...

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    1. Un peu comme "2001" finalement... Mais ça m'ennuie de corriger, je trouvais cette fin pas mal, sauf si je trouve un autre exemple !!

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  4. Moi je connais que cette version :

    http://www.youtube.com/watch?v=MsOVdriAFDk

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