vendredi 4 octobre 2013

MA VIE AVEC LIBERACE de Steven Soderbergh (2013) par Luc B.



Wladziu Valentino Liberace
De son vrai nom Wladziu Valentino Liberace (1919-1987) ce pianiste virtuose est un pur produit américain. Pas sûr que beaucoup d’entre nous le connaissait avant que le réalisateur Steven Soderbergh ne s’y intéresse. Qui était donc ce type ? Un show man, qui domina les scènes de Las Vegas pendant trente ans (à partir des années 50). Au piano, c’était un technicien exceptionnel. Il savait, et pouvait tout jouer, des ritournelles populaires, des boogie endiablés, ou des œuvres de Shubert. D’ailleurs, son grand truc était de jouer à la manière de. Une chanson des Beatles à la manière de Bach ou Mozart, inversement, des versions jazzy de Frantz Liszt. Pas sûr que dans un cas comme dans l’autre la Musique en sorte gagnante… mais ça plaisait, comme Richard Clayderman en son temps, ou André Rieux aujourd’hui, attirent les foules. Mais outre la musique, il y avait la dimension visuelle des shows, d’un kitsch totalement assumé, paillettes, grand orchestre, piano à queue incrusté de pierres, des entrées hallucinantes (en Rolls en or sur scène !!) et sorties acrobatiques (élevé dans les airs par un câble), des manteaux de fourrure avec des traines de 8 mètres ! Il possédait 5 résidences grandioses, une garde-robe qui ferait passer le dressing de Céline Dion pour une cabine d'essayage de Prisunic, ainsi que 18 pianos, dont ceux ayant appartenu à Gershwin et à Chopin !! (Bruno, t'as une guitare d'Hendrix, toi ?). 

Bien qu’il s’en défendît toute sa vie  (son public était plutôt âgé et féminin...) multipliant et gagnant ses procès, Liberace était homosexuel. Son statut (et l'époque) ne lui permettait pas de vivre sa sexualité au grand jour, et outre des amants de passage, il fréquentait clandestinement quelques backrooms glauques. Son goût pour les jeunes hommes aura hélas raison de lui, il meurt du sida en février 1987. Officiellement, il a fait une crise cardiaque, ou une intoxication alimentaire à la pastèque... On ne peut s’empêcher de penser à Rock Hudson, le film en fait une allusion en montrant la une d'un journal annonçant le décès du comédien, en 1985.

Matt Damon et Michael Douglas
Parmi ses amants, on compte ses secrétaires particuliers (des CCD en général…) et notamment Scott Thorson, qui raconta dans un livre les quelques mois passés avec le pianiste. C’est ce livre qui a été adapté au cinéma. Il ne s’agit donc pas d’une biographie de Liberace, mais d’une courte période de sa vie. Le film s’appelle LIBERACE BEHIND THE CANDELABRA, allusion au candélabre posé sur le piano de l’artiste. 
 
Steven Soderbergh, qui comme Luc Besson annonce son retrait du cinéma depuis 20 ans, sauf que lui, Soderbergh, on le regrettera, a un sacré CV : SEXE, MENSONGE ET VIDEO (premier long métrage et boum, Palme d’Or à cannes en 89), HORS D’ATTEINTE, ERIN BROCKOVICH, TRAFFIC (avec Michael Douglas déjà), OCEAN’S ELEVEN (avec Matt Damon déjà, qui en a tourné 6 autres avec Soderbergh), MAGIC MIKESoderbergh a du talent à revendre, il tourne beaucoup, vite et bien, mais est répertorié dans la catégorie cinéma d’auteur, ou indépendant. Il peine parfois à trouver le soutien des Studios dans des projets plus personnels. LIBERACE ne fait pas exception, qui a été refusé par les Studios !! Trop gay, trop sexe, pas assez familial… La présence de deux grands acteurs n’y change rien. C’est la chaine de télé HBO qui a financé le… téléfilm, qui sera projeté en salle en Europe, et qui avait fait sensation au dernier festival de Cannes.

C’est d’ailleurs un des arguments pour aller voir ce film, en salle, pour montrer à ces crétins de producteurs/distributeurs américains qu’un minimum d’audace et de confiance peuvent aussi faire de bons films, et qui marchent… Il est vraiment regrettable que Michael Douglas ne soit pas reparti de Cannes avec un prix, amplement mérité.

Dan Aykroyd et Michael Douglas
Le film commence en 1977. Extraordinaire scène d’ouverture, Scott Thorson, dresseur de chien sur des tournages, est invité à Vegas voir un show de Liberace. Soderbergh fait joliment monter la pression (les acclamations du public en off) et reconstitue un numéro de boogie-woogie incroyable, Liberace faisant chanter le public, rendant un hommage humide à sa petite maman (jouée par l'actrice Debbie Reynols, vue y'a des lustres dans CHANTONS SOUS LA PLUIE). Scott à l’opportunité d’aller saluer l’artiste en coulisse. Il est fasciné par le personnage, accepte une invitation à diner, passe rapidement à la casserole, et quelques jours après, prend le poste d’assistant à un malfaisant qui commençait à se rebeller contre l’autorité du maître.

Je vais commencer par les (petits) défauts du film, à mon sens… Bien que le film soit effectivement centré sur la courte liaison de deux personnages, on regrette l’absence seconds rôles plus étoffés. Des personnages qui viendraient éclairer la personnalité de Liberace : son avocat, joué par Dan Aykroyd, et son chirurgien esthétique joué par Rob Lowe. Ils sont là, mais très en retrait. Comme Bob Black, joué par Scott Bakula : qui est ce type ? Mystère…  Le problème c’est que vu de France, ce Liberace est un inconnu. Or ce qu’on découvre dans le film nous donne envie d’en connaitre plus, et on peut ressortir du film un peu frustré. Et puis cela aurait permis de collectionner les numéros d’acteurs, mais ça, on y reviendra plus tard… 

La mise en scène de Soderbergh reste assez classique comme s’il ne voulait pas en rajouter une couche de plus sur les kitchissimes décors et costumes du maître de cérémonie. Filmer sobrement les excès du personnage, c’est un bon choix, mais du coup on rate sans doute quelques moments de grand cinéma. Un peu d’extravagance n'aurait pas nuit.
 
Rob Lowe
Les qualités du film sont ailleurs. On peut y lire une satire d’Hollywood, les grosses machineries des studios dégoulinantes d’effets spéciaux et de violons comparées à ce personnage entièrement fabriqué. Soderbergh qui se bat contre le système des studios depuis des lustres a bien dû y penser… C’est aussi une histoire d’amour, fusionnelle, trans-générationnelle, et une histoire de solitude. Liberace, seul dans son château de pierreries, surprotégé, s’étant créé un personnage loin de sa vraie nature, confronté à ses mensonges. La scène où Liberace demande à Scott de se faire opérer, afin qu’on lui sculpte un visage à l’image du sien, en dit long. Liberace, replié sur lui-même, vivant de sa propre légende, et voyant dans le seul Scott un ami, un assistant, un amant, un fils, un « lui même » en plus jeune.  Et solitude sexuelle aussi, puisque Liberace était dans le déni, obligé de mener une double vie, intime et publique. 

Mais la première des qualités tient évidemment dans l’interprétation. C’est Michael Douglas qui joue Liberace. Oui, le Michael Douglas de BASIC INSTINCT, LIAISON FATALE, HARCELEMENT, l’hétéro dans toute sa splendeur, tombeur de femmes, et ici affublé d'un brushing hallucinant ! Face à lui, Matt Damon, le viril espion JASON BOURNE, maquillé comme un camion volé, coiffé comme la Farrah Fawcett de DRÔLES DE DAMES !!  Eh bien voir sur un écran de cinoche, Michael Douglas rouler des pelles (et plus si affinités...) à Matt Damon en lui empoignant les burnes, c’est… le truc le plus dingue depuis l’avènement de cinéma parlant ! Ils sont tous deux absolument exceptionnels, évitant le piège du sur jeu, à 100 lieues de Serrault-Poiret. Tout en retenu, Michael Douglas est précieux, affable, maniéré, avec sa voix nasillarde, trainante, on sent les failles du clown triste derrière ses regards. Quand on sait que l’acteur sortait d’un cancer, et qu’il joue là un artiste mourant du Sida, le parallèle est saisissant. Il y a d’ailleurs une allusion au « vrai » Douglas, lorsque Scott se fait refaire le visage, il demande au chirurgien de lui rajouter une fossette… Or, quelle est la fossette la plus célèbre au monde, si ce n’est celle de Kirk Douglas, le papa de Michael ?!

Le ton du film est parfois drôle (les paupières qui ne se ferment plus suite au lifting !!) trivial, cru, ou dramatique, comme cette très belle scène où Scott apprend à Liberace le décès de sa mère adoptive. Là, il n’y a plus de strass, de paillettes, de grandes folles, mais deux êtres perdus dans leur chagrin, dans leur amour qui se délite. Lorsque Scott apprend que Liberace a couché avec un p’tit nouveau, alors qu’il était à l’enterrement, est terrible. Comme la déchéance physique de Liberace, apparaissant dans toute sa nudité, c’est-à-dire... sans sa perruque.

Rob Lowe est absolument incroyable en médecin lifté, Dan Aykroyd en conseiller juridique est malfaisant à souhait, on regrette donc que ces deux-là n’apparaissent pas davantage. On pourra éventuellement regretter aussi de ne pas voir plus de numéros musicaux, mais ce n’est pas le sujet principal du film.
Sans être le chef d’œuvre claironné par certains, LIBERACE vaut vraiment le coup d’œil, pour ce personnage incroyable, et pour le couple Douglas / Damon, dont on se souviendra longtemps.

MA VIE AVEC LIBERACE
de Steven Soderbergh, scénario Richard Lagravenese.
Couleurs  -  2h00  -  1:1.85


Voici le vrai Liberace, filmé par la télé, et une de ses fameuses entrée sur scène. Le chauffeur est aussi le "vrai" Scott.


Et la bande annonce de film.

15 commentaires:

  1. Liberace, un grand mégalo ! Une ressemblance physique entre Johnny Cash et Presley vers la fin de sa vie.

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  2. Mais qui de Presley ou Liberace avait le plus de diam's cousus sur le revers des manches ?!!!

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  3. Et mis à part la ressemblance, Matt Damon sonne aussi creux que le film. Bien dommage, ce n'est pas faute d'avoir tous les éléments en main....

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  4. Luc, tu me donnes furieusement envie d'aller voir ce film.....

    Et ce type était un excellent pianiste, tout sauf un Clayderman. J'ai déniché une vidéo au son approximatif (hélas) avec un pièce de Liszt dans un décorum kitchissime à mort (le support de partition.... waouuuu)
    C'est lieberstraum ("rêve d'amour", ça colle bien avec le sujet).
    Nota : Liszt est l'un des pianistes les plus difficile à maîtriser techniquement et émotionnellement (c'est bien connu, mais je le souligne quand même)

    http://youtu.be/CQQXP9-kfRI

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  5. Après avoir regardé quelques vidéo de Liberace, le gars touchait son calot au pianoet comme tu le dis Luc, aussi bien en classique, en jazzy qu'en boogie, mais alors pourquoi avoir choisis les feux de la rampe de Las Végas ? l'avidité ou le besoin de reconnaissance ?

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  6. On en sait rien. Aucun élément biographique n'est donné, ce n'est pas un "biopic" mais une période courte, et adapté des souvenirs de son amant de l'époque. C'est une des choses que l'on peut regretter, d'où mon allusion aux seconds rôles qui n'apportent pas d'éclairage.

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  7. Ça fait longtemps que Soderbergh voulait faire un film sur Liberace. Il est parti du livre de son amant Scott pour parler et d'un que c'était un super pianiste, et de deux qu'il était difficile d'afficher son homosexualité à cette époque où le public était super conservateur.

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  8. Big Bad Pete7/10/13 13:21

    Las Vegas : Tout le mauvais gout américain...
    Un grand talent de pianiste au service d'une caricature de cirque pour mamies pré-Alzheimer...
    Quel gâchis pitoyable...

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  9. Faut que j'aille voir ça très bientôt. M.Douglas tournant le dos à son image d'éternel tombeur hétéro. Rien que pour ça, ça doit valoir le coup.

    J'observe Luc que Hollywood n'a pas toujours fermé ses portes aux cinéastes traitant (de près ou de loin) de l'homosexualité: "Brokeback Mountain", "Philadephia", ou plus récemment encore, l'étonnant biopic sur "Harvey Milk" avec un incroyable Sean Penn dans le rôle principal. Quant a l'improbable duo formé par Erwan Mc Gregor et Jim Carrey pour le film "I Love You Phillip Morris"... Celui là d'ailleurs, il faudra que je vous en dise un jour quelques mots.

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  10. Big Bad Pete8/10/13 00:01

    Je risque de passer pour un odieux homophobe, ben, lisez plutôt...

    Question zycos homos, je préfère 1 000 parsecs au dessus des gars comme : Rob Halford, Elton John (période 70's), Freddie Mercury.
    Ces gars-là, c'était peut-être des pédés, mais pas des tapettes (dixit Didier Lambrouille, période vintage, avant que De Caunes ne revienne émasculé sur Canal Moins...)

    Rob Halford est LE Metal God (sans jeux de mots foireux, plize... cette voix, hein, hé, ho, respect, comme disent les djeunz)
    Elton John, avec ses excentricités anglaises a écrit de fichues belles et magnifiques chansons.
    Et Freddie... ah ... quel showman, quel compositeur, quel chanteur !!! La Classe...

    Ce que je vois de Liberace, je persiste, est un gâchis typiquement showbiz amerloque... Comment un mec aussi bon a-t-il pu se complaire à faire le singe devant des mémés aux cheveux "bleu schtroumpf" ?

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  11. Sans doute pour faire plaisir à sa maman qui avait aussi les cheveux bleu...

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  12. Vincent, tu as raison, de nombreux films "hollywwodiens" traitent de l'homosexualité désormais, "Brokeback" a certainement joué un rôle, au sens où il traite avant tout d'une rencontre, d'une histoire d'amour, qui se trouve être entre deux personnes de même sexe. Mais avec quelques nuances... L'homosexualité y est souvent vu comme une déviance, une erreur de parcours, qui implique une "rédemption" ou qui se termine mal, les protagonistes étant comme punis de leurs errements... Comme "Loin du paradis" de Todd Haynes, magnifique mélo. "Liberace" est beaucoup plus cru, ce n'est pas un conte fleur-bleue... Et même dans les années 50 ou 60, il y avait forcément des tourments psychologiques voulant expliquer ceci cela. "Liberace" ne s'embarrasse pas de telles questions.

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  13. Je suis, en ce qui me concerne, tout à fait raccord avec toi BBP (sur tout !). Je n'irai d'ailleurs absolument pas voir le film pour sa musique. Mais j'avoue que ce genre de personnage, pour le moins extravaguant, m'intéresse et m'interpelle toujours assez.

    Luc, tu soulèves un point sur lequel je me suis souvent interrogé. Il s'agit du fait qu'effectivement, les films traitant de l'homosexualité se finissent souvent dans le chagrin, la perte, la punition, etc. Ou alors on passe directement à la comédie (potache ou non): "Tootsie", "La cage aux folles" pour ne citer que ces 2 là.

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  14. Ouh la ! Je vais me fâcher très fort !!! "Tootsie" n'est pas un film sur l'homosexualité (Hoffmann se travestit pour avoir du boulot, et se retrouve bloqué dans son personnage, mais il court les filles et Jessica Lange en particulier) mais surtout, c'est une comédie quasi exemplaire, à cent lieues du potache et lourdingue "Cage aux folles" !!!

    Si les films américains grands public (pour la plupart) traitant de ce thème se finissent "mal" c'est du à la culture américaine. Ne pas oublier qu'un film à gros budget ne doit pas perdre d'argent, et donc, on doit y faire adhérer le plus de spectateurs. Il faut être consensuel, ne pas brusquer le public, ne pas lui imposer des comportements qu'il juge en marge, sinon, le public ne se reconnait pas dans le héros. Et s'il n'adhère pas à l'histoire, il ne viendra pas voir le film... Or, l'homosexualité est encore vue par beaucoup comme une déviance, voire un pêcher (on ne plaisante pas avec la religion là-bas...) et si le héros s'égare, il doit retourner sur le bon chemin... ou alors, il devra le payer.

    Comment le public de 2013 pourrait-il s'identifier à un personnage comme Liberace ? Aucune chance, donc on ne produit pas le film. Point barre. Une chaine du câble peut le faire, elle. Mais le film sera condamné à passer directement en DVD. ce qui est le cas pour celui-ci. C'est d'autant plus courageux pour les interprètes, moins Michael Douglas qui est disons... en fin de carrière, que pour Matt Damon, lui, en pleine ascension, et jugé "bankable" par les Studios.

    Et résultat, Soderbergh, écœuré en fois de plus, pense se tourner vers la télé ou le théâtre, mais arrêter le cinéma...

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  15. Toutes mes confuses Luc à propos de "Tootsie". Je ne sais pas pourquoi une telle erreur de ma part ? Merci d'avoir corrigé et... Pardooooon !!!!

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