samedi 7 septembre 2013

Modeste MOUSSORGSKI :-Une nuit sur le Mont Chauve (Versions 1 & 2 ) - REINER vs ABBADO – par Claude Toon



Non, ce n'est pas une pochette de Hard-Rock allumé !!

- Bonjour M'sieur Claude, encore au travail si tard ?
- Tiens, tiens, ma petite Sonia, vous tombez à pic ! Vous faites quoi ce soir ?
- Ms's's'sieur Claude, je vous trouve bien indiscret et entreprenant… ben heuuu pas grand-chose à vrai dire….
- Ca vous dirait une sortie nocturne sur un thème disons… genre messe noire, je cherche une partenaire pour un rituel…
- Hiiiiiii, au secouuurs, M'sieur Toon veut m'offrir en sacrifice à Satan… hiiiiiiiiiii, c'est un démoooonnn, hiiiiiiiiii…..
(C'est rigolo mon sens aigu de la persuasion… Enfin, je n'ai plus qu'à courir après Sonia pour m'excuser de mes blagues nulles à propos de la chronique….)


Un génie stimulé aux drogues dures ?


La nuit de Sabbat de la symphonie Fantastique de Berlioz (clic) sonne comme de la musique de chambre à côté de la danse satanique imaginée par Moussorgski. Bon, j'exagère, mais le prénommé Modeste déchaîne les démons dans sa féroce et courte partition avec une frénésie qui a assuré sa popularité. Reprenons l'affaire à son début…
L'armée est là pour former des hommes, des vrais, n'est-ce pas ? Modeste Moussorgski, qui y passera 3 ans, en reviendra si bien imbibé, que l'alcoolisme restera son compagnon d'infortune, je devrais dire d'insuccès, et l'emportera dans la tombe à seulement 42 ans, en 1881. Le tableau hyper-réaliste de Repine ci-contre, peint une semaine avant la mort du compositeur russe, montre sans conteste que le bonhomme négligeait son hygiène de vie (hirsute, nez bien rouge, yeux bouffis). Comme Edgar Poe, l'opium faisait aussi partie de ses petits plaisirs coupables, et là, sans modération. Et oui mes amis du blog, les musiciens n'ont pas attendu les temps modernes du Pop-Rock pour se déglinguer à coup de stupéfiants. D'ailleurs, le héros malheureux de Berlioz ne plonge-t-il pas dans ses délires en pleine nuit de Sabbat, car lui aussi s'est shooté au laudanum. Mêmes causes, mêmes effets !!! Bon, je m'égare un chouia.
Initié au piano par sa mère, l'autodidacte Moussorgski se tourne vers la musique après avoir abandonné l'ambition d'une carrière militaire. Comme Berlioz, autre "compositeur instinctif", son génie de l'innovation l'emporte sur un talent académique que lui auraient apporté des études en conservatoire. Il devient l'ami de Nicolaï Rimski-Korsakov (clic) qui le soutient face au mépris des inconditionnels d'une musique plus formaliste, même si excellente (Tchaïkovski, ou le groupe "des cinq" avec Borodine entre autres). Rimski-Korsakov réorchestrera avec brio nombre d'œuvres de Modeste Moussorgski pour faciliter leur exécution publique, mais en atténuant leur modernité. Il existe ainsi trois orchestrations de La nuit sur le Mont Chauve. Dans le travail originel de Moussorgski, le style et ses recherches lorgnent vers Debussy, et même Bartók par le souci d'utiliser la musique populaire russe.
Les ouvrages de  Moussorgski, peu nombreux, demeurent des jalons essentiels du passage de la musique russe à l'ère moderne. Il commence, sans l'achever, un opéra inspiré de Salammbô de Flaubert. Ce projet témoigne de l'attirance de Moussorgski pour des sujets hors du commun : la violence, la sensualité, les univers sulfureux. L'opéra Boris Godounov met en scène l'histoire terrible d'un homme, qui, pour assoir son trône, fait assassiner le tsarévitch, l'enfant futur tsar légitime. Le sujet, shakespearien, inspiré par Pouchkine, fait scandale par sa liberté avec la réalité historique ! À ce chef d'œuvre de l'art lyrique russe, on ajoutera La Khovanchtchina, autre opéra célèbre, les tableaux d'une exposition pour piano (qui sera orchestré par Ravel) et la Nuit sur le Mont Chauve, poème symphonique, sujet du jour.

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La Nuit sur le Mont Chauve


Moussorgski compose La nuit sur le Mont Chauve en 1867. C'est un poème symphonique inspiré d'une nouvelle de Nicolas Gogol, l'auteur de Taras Bulba, et pour tout dire l'une de ses rares compositions orchestrales. Rien d'étonnant à ce qu'un personnage aussi tourmenté que l'écrivain maudit et dépressif ait donné du grain à moudre à Moussorgski par ses écrits sur un sabbat de sorcières.  Gogol se croyait pourchassé par le démon, brulait ses manuscrits et se laissa mourir de faim (bien aidé dans son agonie par des charlatans qui le saignaient à blanc).
Le programme de cet ouvrage parle de lui-même : transportons-nous sur une montagne lugubre de la Russie… J'avais une analyse bien commentée que… j'ai paumée ! Mais en résumé, voici l'argument :
- Les esprits du mal arrivent sur le lieu du Sabbat, grondement souterrain ;
- Regroupement et invocation des sorcières ;
- Cortège diabolique pour inviter le malin ; Messe noire ; Sabbat ;
- Une cloche chasse les esprits…
- Lever du jour, retour à la sérénité.
En 1867, la partition est terminée et orchestrée par Moussorgski lui-même. L'œuvre n'est hélas pas jouée en l'état et en 1886, après la mort du compositeur, Rimski-Korsakov la crée avec sa propre orchestration, excellente mais plus sage et moins "barrée" que l'originale. En fait, à l'époque on a perdu l'orchestration de Moussorgski (ça n'arrive pas qu'à moi les égarements) qui sera retrouvée en 1968. Claudio Abbado en sera un ardent défenseur dans ses concerts des années 70, j'y étais… C'est néanmoins l'édition de 1886 revue en 1906, qui est la plus jouée, et que l'on va parcourir en premier avec un grand demiurge : Fritz Reiner avec l'orchestre de Chicago… Je parlerai de la version originale de 1867 en quelques mots plus loin…
[0"] les esprits malins et les sorcières arrivent au son des grincements des cordes (c'est noté "Presto feroce" de mémoire). Les traits des contrebasses et violoncelles, très sollicités, évoquent des grondements souterrains, un vent violent et mauvais. Pour noircir le tableau, les trombones font entendre leur voix puissante [13"]. Ce n'est pas terrifiant, plutôt amusant et cocasse. Je me demande dans quelle mesure Rimski-Korsakov n'a pas pensé à une utilisation lors d'un ballet. Berlioz avait déjà exploité l'esprit sarcastique tout à fait légitime dans cette magie noire de théâtre dans sa symphonie fantastique. [38"] réexposition. [1'05] le cortège accompagnant le grand bouc chemine. L'orchestre semble se prosterner dans ce qui annonce la messe noire. Les motifs brutaux s'entrechoquent frénétiquement. La musique rugit, mais l'habilité de la partition et de l'orchestration évite tout charivari un peu vain (Reiner n'y est pas pour rien). [3'04"] La messe noire se déroule dans des chuintements staccato des violons. Jusqu'à la sonnerie de la cloche [6'25"], la folie démoniaque s'empare de l'orchestre où tous les thèmes virevoltent dans une ronde instrumentale et furieuse. Cette petite œuvre d'une douzaine de minutes est un exemple rare de la richesse et de la fantaisie des couleurs que l'on peut obtenir d'un grand orchestre symphonique romantique, sans se répéter à longueur de mesure. Cela explique sans doute sa popularité et l'intérêt que porta Disney pour l’illustrer dans Fantasia, hélas dans une adaptation au désordre bien dommageable. Après la sonnerie de la cloche, esprits et sorcières de dispersent au son d'une jolie mélodie lascive des cordes rejointes par les harpes. La sérénité est revenue après la fureur. [8'20"] les harpes accompagnent un solo de clarinette qui symbolise le lever du soleil, le retour de la lumière. Une flûte reprend ce thème de paix. La douceur de cette conclusion frappe par son contraste avec la démence symphonique qui l'a précédée.
Nota : en anglais, le titre de la partition mentionne que ce rite diabolique se déroule la nuit de la Saint-Jean.
L'écoute de la version originale de 1867 dirigée par Abbado est une belle expérience. Le climat est âpre et violent dès le début où les timbales martèlent l'arrivée des esprits, tandis que toute l'harmonie est utilisée comme un kaléidoscope sonore pour créer une ambiance de folie démoniaque. C'est totalement fantasque et beaucoup plus moderne que le travail esthétisant de Rimski-Korsakov. Moussorgski fait appel à un staccato sautillant et à des timbres étranges voire malsains. Il recourt à de nombreuses percussions comme le Tamtam encore peu utilisé vers 1867. C'est cette sauvagerie que Rimski-Korsakov a gommé. L'ami orchestrateur avait compris qu'un tel modernisme aurait troublé le public. Par moment on semble entendre du Bartók ou du Janacek ! Moussorgski avait des dizaines d'années d'avance sur son temps. Les deux éditions ne se font pas concurrence, mais j'avoue un faible pour l'imagination débridée de Moussorgski, sacré bonhomme ! Le final n'est pas évanescent comme chez Korsakov, mais joyeux comme si une guillerette fête de village chassait les cérémonies démoniaques…


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Quelques disques d'enfer


Tous les chefs ont enregistré ce morceau de bravoure un jour ou l'autre. Ce n'est pourtant pas une musique si facile à mettre en place. Le mauvais goût guette les chefs un peu trop hédonistes. Pour la discographie, la chronique répond déjà au sujet. Fritz Reiner à Chicago reste un modèle pour l'édition de Rimski-Korsakov de 1906 par sa nervosité, sa clarté, bref toutes les qualités que l'on a déjà reconnues à ce chef dans ce blog. Un disque RCA de la grande époque proposant aussi une version magique des Tableaux d'une Exposition (5/6). Pour la version originale de la main de Moussorgski, Claudio Abbado l'a enregistrée au moins deux fois. La vidéo ci-dessus est issue d'une gravure Sony réalisée à Londres en 1984, difficile à trouver. Une interprétation sous amphétamine. Le chef italien a récidivé chez Dgg. Dans les deux cas, les CD sont passionnants car complétés d'œuvres de Moussorgski peu connues qui font donc le bonheur des mélomanes curieux (Dgg 5/6).
Enfin, quitte à me fâcher avec les puristes, j'aime beaucoup le CD de Valery Gergiev enregistré avec le Philharmonique de Vienne (rien de moins). Le chef russe, à défaut de jouer les sorciers déjantés, offre une lecture acérée et en relief, bien servie par une prise de son live fabuleuse de 2002. Un beau programme Moussorgski complète le CD. A oui, j'allais oublier, c'est l'orchestration de Rimski-Korsakov. (Philips - 4/6)

XXX XXX


Fritz Reiner et Abbado (RCA)

2 commentaires:

  1. J'ai toujours trouvé en regardant le portrait de Moussorgski que Gille Servat lui ressemblait. Mais même si le breton est reconnus pour bien lever le coude, la comparaison s'arrêtera au korrigans, pas de nuit sabbatique! "Une nuit sur le mont chauve", une chronique qui n'est pas tiré par les cheveux.

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