samedi 28 septembre 2013

DVOŘÁK : Quatuor n° 12 "AMÉRICAIN" – Quatuor de Jérusalem - par Claude Toon



- Tiens, M'sieur Claude, Antonin, si je puis me permettre cette familiarité, est de retour dans le blog ?
- Oui Sonia, j'ai parlé pas mal de musique symphonique ces dernières semaines, on va écouter de la musique de chambre "haut de gamme" pour se rafraîchir…
- "Américain", il y aura des thèmes des traditions afro ou indiennes des USA vers 1900 dans cette musique, si je me rappelle bien ce que vous disiez pour la symphonie du "Nouveau Monde" ?
- Oui et non Sonia ! Oui, des influences bien sûr, mais c'est quand même une œuvre slave, celle d'un compositeur qui pensait à son retour en Bohème…

Sonia a bonne mémoire en effet. Nous sommes déjà allés à la rencontre du très populaire Dvořák trois fois : d'abord pour écouter son œuvre phare, la symphonie N°9 dite du Nouveau Monde dirigé par Karel Ancerl, (clic) puis pour le commentaire d'un DVD comportant la 8ème symphonie dirigé par Marris Jansons (clic) et, j'allai dire, évidement, le concerto pour violoncelle sous l'archet de Mstislav Rostropovitch. (clic) Et puis dans les concerts des chroniques estivales, nous avions pu réécouter la symphonie du nouveau Monde une nouvelle fois, sous la baguette du regretté Yakov Kreizberg… (clic).
Revenons à ces années passées par le compositeur Tchèque comme Directeur du Conservatoire de New-York de 1892 à 1895. Avant son départ de l'Europe, Dvořák est déjà très célèbre. Il fréquente Brahms et les musiciens les plus en vue à l'apogée du romantisme. L'homme est modeste et bon père de famille. Il est très attaché à intégrer des thèmes populaires et campagnards dans ses œuvres "savantes". Il a ainsi composé deux recueils de danses slaves pour immortaliser le patrimoine culturel de sa bohème natale.
Et cette attention pour le folklore (au sens noble) se retrouvera dans ses compositions écrites lors de son séjour aux États-Unis. Sa première partition sera la Symphonie du Nouveau Monde opus 95. Cette symphonie faisait déjà appel à des thèmes empruntés à la musique afro-américaine qui deviendra le blues et à celles des "Peaux-rouges", hélas déjà en voie d'extinction à l'époque. Face au succès qui ne s'est jamais démenti de cet ouvrage symphonique, sa création suivante, le quatuor N°12 "américain" va adopter les mêmes principes. Des mauvaises langues ont suspecté Dvořák de composer de la musique tchèque mêlée à des thèmes "ethnologiques" pour flatter le public yankee. C'est absurde ! Certes le cœur de Dvořák demeurait en bohème en ces années d'exil, mais le compositeur se passionnait avec sincérité pour la découverte d'un univers sonore différent, même et surtout si "exotique".

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C'est en 1993 que le Quatuor Jerusalem a vu le jour soutenu par le Jerusalem Center et la fondation culturelle Israël-Amérique. Les quatre jeunes musiciens ont consolidé leur art auprès d'Isaac Stern, Gyorgy Kurtag et autres grands noms du violon ou du quatuor comme l'Amadeus quartett. Les premières années de leur carrière sont jalonnées de prix notamment au concours international de Graz.
Le quatuor connait une carrière internationale dans les salles les plus courues : l’Herkulessaal de Munich, la Tonhalle de Zurich, Carnegie Hall... Pour les formations en quintette, on trouve à leurs cotés des grands noms comme Daniel Barenboïm ou encore l'altiste Tabea Zimmermann rencontrée la semaine passée dans son enregistrement d'Harold en Italie de Berlioz dirigé par Colin Davis. Leur discographie comprend de nombreux titres de Schubert à Chostakovitch en passant par Mozart
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Directeur d'un conservatoire à New-York (classe de composition) n'étant pas de tout repos, Dvořák passe l'été 1893 en vacances dans l'Iowa, l'un des états du grenier à blé et maïs des USA. Il y retrouve de nombreux tchèques de la première vague d'immigration vers l'Amérique. Comme Mahler, le compositeur met à profit ces quelques semaines pour composer, tâche souvent impossible pendant les périodes d'enseignement ou de concert. Dvořák se sent bien dans les verts pâturages qui lui rappellent sa terre natale. Très motivé, il achève le quatuor en moins de 3 semaines, un record pour une œuvre de presque 30' et qui plus est, se révèle la pièce maîtresse et la plus populaire du cycle de 14 quatuors que le composteur va nous léguer. Il rejoint ainsi Schubert, Mozart et Beethoven dans le groupe restreint des musiciens ayant maitrisé aussi parfaitement cette forme.
De forme classique, le quatuor comprend quatre mouvements.

1 – Allegro ma non troppo : Quelques trilles du violon, de l'alto puis une première mélodie heureuse jouée par le quatuor, une mélopée survolant les grands espaces du Middle-West… Ce qui est fabuleux avec la musique de Dvořák c'est la facilité avec laquelle on peut se l'approprier : des thèmes simples, chaleureux, pas de contrepoint ésotérique, bref une mémorisation immédiate. Il se rapproche en cela d'un Beethoven d'une certaine 5ème symphonie ou d'un Ravel du Boléro… Une écoute superficielle nous laisse entendre une musique heureuse aux accents européens. Mais le flot musical se fait tellement chantant et festif, que l'on distingue ici et là des sonorités ou rythmes tout à fait inhabituels. [1'39] un thème grave et nostalgique peut être associé à des complaintes afro-américaines mais transcrites dans des notations occidentales ou pentatonique, un mode typiquement "exotique". Le quatuor Jérusalem offre vie et gaîté dans cette succession d'images colorées. Le phrasé est magnifiquement équilibré. Attention à ne pas se méprendre, Dvořák n'écrit pas un quatuor classique de plus, non, il joue sur les tonalités, [6'18"] les cassures de rythme. Ajoutant même un dernier motif pour épicer la coda. Par ailleurs, certains ensembles de chambre jouent souvent la carte du pathétisme slave, la mélopée un peu déchirante (voyez le genre). Ici rien de tout cela, le Quatuor Jérusalem préfère la vivacité, une mise en place claire et nerveuse, bref une œuvre bien dans le positivisme que traduisait Dvořák en couchant ses notes sur les portées par un bel été yankee…

2 – Lento : Été en Iowa : le soleil brille, les oiseaux chantent et transcendent le génie de Dvořák pour l'écriture de ce lento de rêve (un peu plus lent qu'adagio). C'est l'une des pages les plus tendres et émouvantes de la production du compositeur qui ne manque pourtant pas de moments idylliques (second mouvement de la symphonie du Nouveau Monde). Comme j'ai la chance de pouvoir proposer une vidéo de ce mouvement, je ne m'attarde pas trop à détailler. Une intro sur un rythme marqué, une pulsation, le violon puis les autres cordes vont se relayer pour nous bercer avec poésie. Quel mot employer ? Cantilène nostalgique, frémissements de feuillage, bruits de nature rappelant ainsi à la bohème si lointaine. Ou encore une "berceuse blues" comme lu sur le web. On retrouve le jeu plein de jeunesse du Quatuor Jérusalem, une articulation marquée mais élégante qui ne nous laisse jamais gagner par la torpeur sous-jacente. Vraiment très émouvant…

3 – Molto Vivace : Dans un quatuor classique, le troisième mouvement est souvent un scherzo de forme symétrique (vivace – trio – vivace da capo) écrit à la va-vite et d'intérêt moindre. La politique du "il en faut bien un" prédomine chez les compositeurs en mal d'inspiration. Bien entendu, Dvořák le veut court mais chez ce compositeur toujours en recherche d'innovation, il devance Olivier Messiaen de 60 ans en utilisant un chant d'oiseau de l'Iowa : la fauvette "locale". Ce chant très élaboré (pas un simple cuicui) anime ce mouvement. Que l'on ne me parle plus du "classicisme" de Dvořák !! Le Quatuor Jérusalem redonne toute sa vivacité et même un soupçon d'humour à ce scherzo.

4 – Finale Allegro : Ce dernier mouvement est la preuve absolue pour ceux qui en douterait encore que Dvořák passe des vacances de grand bonheur en Iowa. De forme rondo, les thèmes joyeux, dansants, agrestes s'entremêlent en laissant la place à quelques pages méditatives et sereines. Le Quatuor Jérusalem confirme son aisance à donner libre court à la féérique bonhomie de ce bref final. Le jeu staccato et bien rythmé des quatre instrumentistes est au diapason de la vitalité requise dans ces ultimes mesures..

Cet album est complété par le quintette avec piano opus 81 "Dumka". Le pianiste Stefan Vladar s'est joint au quatuor Jérusalem pour interpréter brillamment ce chef-d'œuvre qui mérite sa propre chronique. (Rockin' et Luc vont me gronder si j'écris un roman…)
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On ne sera pas surpris de trouver d'autres enregistrements marquants réalisés par des ensembles tchèques. Le quatuor Tallich, comme souvent, adopte un jeu avec un élégant legato. C'est très slave, et le résultat a ses adeptes (Calliope – 5/6). À noter que le quatuor est complété par le quintette avec alto opus 97, encore un morceau de bravoure composé juste après le quatuor "américain" lors de cet été dans l'Iowa. Il avait la pêche Antonin Dvořák !
Plus extravertis, les membres du Quatuor de Prague font preuve d'une fougue et  d'une poésie inégalées. Je considère l'intégrale gravée dans les années 70 comme la plus aboutie, la plus vivante du catalogue. Je ne crois pas que le quatuor "américain" soit édité en album isolé, hélas ! (Dgg - 6/6).
Dans les années 80-90, le jeune Quatuor Hagen a réalisé de très belles gravures dont l'enregistrement du quatuor N°12 de Dvořák mais le couplage est un peu insolite. Ne disposant pas de l'enregistrement complet par le quatuor de Jerusalem, je propose aux amateurs d'écoute en live cette interprétation pleine de vie (Dgg – 5/6).
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Le quatuor en playlist par le Quatuor Jerusalem (2006)


2 commentaires:

  1. Je ne connais pas les quatuors pour cordes de Dvorak. Une belle découverte pour moi que ce N°12. Merci Claude !

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  2. Pour tout avouer, je connaissais très bien ce quatuor "américain" qui est le plus connu, mais pas les autres. L'intégrale par la quatuor de Prague étant dispo sur Deezer, j'ai été surpris par l'incroyable qualité des 14 quatuors et cela dès le premier.... Je vais commander ce coffret à prix très abordable. C'est cool... une découverte !

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