samedi 31 août 2013

MOZART : Symphonies N° 40 & 41 "Jupiter" – JOSEF KRIPS – par Claude Toon



- M'sieur Claude, je ne comprends pas !! Les numéros des symphonies dont vous allez nous parler ne correspondent pas à ceux de la pochette…
- La pochette du CD commenté est tellement hideuse, et les photos en couleurs de Josef Krips tellement rares, que j'ai choisi une pochette vinyle des années 70' pour présenter le jovial maestro…
- Ah ! Donc il s'agissait d'une intégrale parue dans ces années-là…
- Presque Sonia, une semi-intégrale limitée aux 21 dernières symphonies, et c'est du grand Mozart…

1788 : depuis un an, Mozart est entré dans la période tragique de sa vie qui s'achèvera en 1791, avec les ébauches du Requiem. Son père Leopold vient de mourir. Deux de ses six enfants : Theresia Constanzia et Johann n'ont vécu que quelques mois. Les dettes s'accumulent, la maladie s'en mêle. Pour Mozart, exorciser le malheur consiste à composer. En moins de deux mois, le compositeur va écrire ses trois dernières symphonies, 39 à 41. Trois ouvrages qui vont clore son patrimoine symphonique. Par leur durée d'une demi-heure chacune, par leur ambition émotionnelle qui s'écarte résolument de la musique de divertissement, elles annoncent Beethoven et Schubert, en un mot : le romantisme.
Sa frénésie d'écriture, surtout à un tel niveau de génie, laisse sans voix quand on regarde le calendrier de l'été 1788 :
28 juin : Symphonie n° 39 en mi bémol K 543
10 juillet : Sonatine pour violon et piano
14 juillet : Trio avec piano K 548
25 juillet : Symphonie 40 en sol mineur K 550
10 août : Symphonie 41 en ut "Jupiter" K 551
La symphonie n° 40 débute par l'un des thèmes les plus connus de Mozart et de la musique tout court. Léo Ferré l'a utilisé dans l'une de ses chansons : Les spécialistes, en 1985. Un physicien allemand, Günter Nimtz, travaillant à Cologne sur l'effet tunnel et les évènements quantiques, a pu transmettre à 5 fois la vitesse de la lumière les premières mesures de ce thème. C'est dire la popularité de cette musique jusque dans la physique pointue. (Clic pour les amateurs de Stars Wars.)
Revenons en 1788. La symphonie est écrite en sol mineur, une tonalité sombre. C'est inhabituel chez Mozart (2 symphonies seulement sur plus de 50* sont en mineur). Oui, le thème initial, précipité et haletant, distille une sourde inquiétude. Bien que joliment rythmée, l'introduction semble portée par la tristesse, même si elle se conclut avec énergie. L'orchestration, le dialogue entre bois et cordes, est d'une richesse inconnue jusqu'alors même chez Mozart. Le tempo régulier et serein de Josef Krips apporte à cette page une belle souplesse. Les cordes graves se font plus discrètes que dans moult autres enregistrements. Même si Mozart pense métaphysique et état d'âme, il compose dans un registre classique au XVIIIème siècle, à savoir avec légèreté, et Krips dirige avec sobriété.
L'andante oppose à la gravité du premier mouvement une tentative de sourire. On discerne l'esprit d'une marche aux cordes au cours de laquelle interviennent de tendres solos de bois. [3'15"] Le développement gagne en dramatisme, les cordes soutiennent une pulsation obsessionnelle.
Le menuet et son trio sont pris à un tempo exceptionnellement vif (allegretto), habileté interprétative qui caractérise le panache de Josef Krips dans Mozart. Un mouvement faussement gai, sans frivolité. Cet intermède est indispensable dans la forme classique, mais est-ce une danse ? Non, trop martelé, presque vengeur, en aucun cas galant. Avec Josef Krips, nous sommes dans les années 70', beaucoup de grands chefs alourdissent encore par un jeu emphatique ce petit menuet nerveux de transition. (Je pense aux grands Böhm et Karajan par exemple.) Ici ce n'est pas le cas.
Le final commence avec la vitalité allegro du début de la symphonie, mais en plus furieux. Mozart voudrait-il chasser les noires pensées qui l'assaillent ? Par ces changements incessants de climat, la symphonie échappe à son époque. Même les 12 "londoniennes" de Haydn resteront, malgré leur écriture variée, en deçà de l'expressivité, de l'intimité que développe Mozart dans ce final (dans toute la symphonie pour tout dire). Un allegro tumultueux qui se veut interrogatif mais avec des enchaînements dramatiques [4'25"]. Il n'y a pas réellement de coda. Mozart savait-il que ses difficultés existentielles devenaient sans issue ? Pas besoin de préciser que le Concertgebouw d'Amsterdam est d'une beauté plastique superlative, aidé en cela par une prise de son large et équilibrée.

(*) Il existe une douzaine de petites symphonies de jeunesse qui ne sont pas inscrites au catalogue Keuchel qui n'en référencie que 41 (sans N°37 qui n'existe pas !).

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Josef Krips était né en Autriche en 1902 et fut l'élève de Felix Weingartner. Il commence très tôt (19 ans) une carrière de chef d'opéra et même de professeur à Vienne.
Son père étant juif, il fuit l'anschluss en 1938 pour Belgrade. L'invasion allemande et l'impossibilité de fuir aux USA le conduisent à un retour en Autriche. Il ne sera pas pourchassé, mais il lui est interdit d'exercer son art. Il travaille pour survivre dans une usine de conserves !
À la chute du régime nazi, il peut reprendre la baguette, n'étant pas suspecté de collaboration intellectuelle comme Karajan ou Furtwängler. Il assure la réouverture du festival de Salzbourg, c'est assez logique pour cet homme pour qui Mozart était au centre de son travail.
Bien qu'ayant enregistré plus d'une centaine de disques dès 1934, le legs discographique de Krips est mal réédité. C'est dommage que l'homme soit mort trop jeune, en 1974. La plupart de ses enregistrements datent de l'époque monophonique. Cela peut expliquer son manque de reconnaissance posthume. L'intégrale des 21 dernières symphonies de Mozart avec le Concertgebouw d'Amsterdam est un testament incontournable qu'il a pu achever malgré la maladie. Édité à l'origine chez Philips, le fossoyeur de la musique, l'ensemble a été racheté par le label Decca, et est donc toujours disponible.
Le disque de ce jour fait partie d'une collection des meilleurs enregistrements de Philips. Il semble facilement disponible. Hein... qu'elle est moche la jaquette !!!

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Si on regarde de nouveau le planning que s'impose Mozart, on voit que deux semaines s'écoulent entre le trait final de la symphonie N° 40 et celui de la "Jupiter" ! Ce surnom bizarre date de 1819 et j'avoue n'avoir trouvé aucun sens précis à ce choix ?! L'orchestration est riche : 2/2/2 (pas de clarinettes) ; 2 cors et 2 trompettes, timbales. La 40ème inclut 2 clarinettes, mais ni trompettes, ni timbales. La tonalité de la "Jupiter" est la plus usuelle qui soit : do majeur.
L'Allegro vivace ouvre la symphonie de manière martiale, voire grandiose. A quoi songe Mozart ? Au début d'un Te Deum ? Ça, c'est plutôt réservé à la pompe festive. Au tuba mirum d'un requiem que lui inspirent les temps difficiles, au sentiment d'une fin tragique qui se profile ? Mozart énonce des thèmes plus idylliques aux cordes. Tout cet immense mouvement joue sur cette dualité entre le solennel et l'intime. Josef Krips délie ce discours avec une rigueur et une fraîcheur conjuguées. Les bois et les trompettes du Concertgebouw se répondent sans faux pas. Exemplaire. La coda sonne comme le jugement dernier !
L'Andante cantabile est jouée sans timbales ni trompettes. Mozart était l'homme des mouvements lents. Ici, il nous invite à partager ses rêves, un regain de sérénité. [1'23"] Un motif plus sombre en ré mineur (une tonalité douloureuse) suit cette introduction, la nostalgie des temps heureux n'est pas loin. Ce thème sera repris à [3'37"]. Comment ne pas faire le rapprochement avec les douloureux mouvements lents des derniers concertos pour piano. La coda est bouleversante de désarroi. L'interprétation de Josef Krips conserve sa transparence, notamment le jeu des bassons rarement aussi présent au disque.
Comme dans la symphonie précédente, le Menuetto s'impose comme incontournable mais noté allegretto, il n'invite vraiment pas à la galanterie. Son écriture est par contre très élégante et colorée pour un intermède formel (timbales et trompettes sont de retour). Mozart ne négligeait rien.
Le final flamboyant est une forme sonate intégrant des fugues. Il est noté molto allegro. Comme disait un musicologue, on ne réussit pas cette prouesse tous les jours (ah ! si, Mahler dans la 6ème symphonie). Il est d'une alacrité opposant gaité (feinte ?) et dramatisme. C'est absolument extraordinaire qu'une forme relativement complexe soit aussi entraînante et aisée à écouter. Elle mêle quatre motifs mélodiques plus des citations des mouvements précédents. Dans l'interprétation de Josef Krips, l'équilibre entre les pupitres, la précision du legato aboutit à une forme de fête sonore aux éclats qui s'enchevêtrent à merveille, sans jamais se superposer. La coda est une folie, un tourbillon, un ultime hommage à la joie de vivre…

Pour une écoute complète sur le site Deezer, la symphonie N° 40 correspond aux quatre premières plages du CD (soit les plages 1 à 4 sur le minilecteur ci-dessous) et la N° 41 "Jupiter" s'écoute sur les plages 5 à 8 du CD... Deezer ne mentionne pas les n° des symphonies. C'est d'un pratique pour un néophyte...., il faut rechercher avec les indications de tempos !!!
- Heureusement que vous êtes là M'sieur Claude...


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Le monument de l'intégrale des symphonies mozartiennes, enregistrée au début de l'ère stéréophonique par Karl Böhm, n'a jamais quitté le catalogue (Dgg 5/6). C'est énergique et articulé. Je ne suis pas sûr que le remake à Vienne du diptyque 40-41 à la fin de la vie du maestro, avec un menuet alangui donc pataud dans la 40ème, soit indispensable. Otto Klemperer, toujours discutable par la rigueur peu chaleureuse du discours, entraîne le Philharmonia et les dernières symphonies de Mozart vers le romantisme. C'est d'une précision de Rolex mais un rien farouche ! (EMI 5/6). Si Klemperer flirtait avec le romantisme, Nikolaus Harnoncourt, pour le bicentenaire de la mort de Wolfgang, a gravé en concert aux accents baroqueux les trois ultimes symphonies avec l'orchestre de chambre d'Europe. Mémorable (Teldec 5/6)
XXX XXX

Les deux vidéo des interprétations de Josef Krips à Amsterdam.


1 commentaire:

  1. il est vrai que le molto allegro de la 40eme est archiconnu. A mon souvenir, le final a servit à une émission télévisé comme générique dans les années 60,mais impossible de dire laquelle (Souvenir de gosse). L'andante par J.Krips est très beau. De lui je n'ai que la huitième de Schubert et qui pour moi est la plus belle que j'ai pus entendre.

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