samedi 4 mai 2013

BACH : Suites pour violoncelle – BRUNO COCSET – par Claude Toon



- M'sieur Clauuude, M'sieur Claude, l'album Bach promis par M'dame Cat est arrivéééé……..
- Hein, heuuu, oui Sonia, mais ne courrez pas comme cela. Bon, voyons, les suites de Bach, le 500ème enregistrement au bas mot, Bruno Cocset ? J'connais pas…
- Mais si M'sieur Claude, vous avez déjà des enregistrements avec son ensemble "les basses réunies"…
- Ah oui maintenant que vous le dites… Boccherini, un truc génial… pas les idées claires c'matin… Ça peut être une idée de chronique, tiens…
- Mouais, enfin si vous arrivez à vous réveillez si je puis me permettre…
- Ah ça oui Sonia, surtout avec ces suites. Soit c'est captivant et donc une réussite discographique, soit c'est l'inverse, et vous viendrez me secouer, hi hi hi…

Blague à part, 500 est une ellipse. Mais si vous parcourez un site de vente web bien connu, vous trouverez facilement une quarantaine de versions différentes et disponibles de ce cycle de suites pour violoncelle. À l'évidence, graver les BWV 1007 à 1012 semble une épreuve initiatique, ou un exercice incontournable, pour tout violoncelliste célèbre ou pas. Je n'ai vu que des grands noms. Pour certains, on note 2 voire 3 enregistrements au cours de leur carrière. Et il est assez amusant de chercher dans ma mémoire tous ceux qui ont disparu rapidement du catalogue… beaucoup ! Bizarre ?
On pourrait aussi parler d'études pour violoncelle, avec tout ce que le terme évoque de scolaire, didactique et ennuyeux. Ça serait bien mal connaître Bach qui, à des pièces théoriques et sans âmes, a préféré construire ses suites comme des œuvres de concert, à savoir pour chacune un prélude suivi d'une série de 5 danses typiques de l'époque : allemande, courante, sarabande, gigue et double menuets ou double gavottes. Cette conception assure une grande variété dans la succession des pièces. Cela dit, aucune musique, si élaborée et géniale par son écriture soit-elle, ne peut apporter du plaisir implicitement. À l'instar des sonates et partitas pour violon, ces 6 suites peuvent devenir très rapidement soporifiques sous les doigts d'un violoncelliste qui ne se jette pas avec son corps et son cœur dans ce défi instrumental. Donc je serai honnête en disant que j'attendais au virage Bruno Cocset, un artiste français qui n'a apparemment pas la chance de bénéficier (ou ne le cherche pas) des feux de la rampe médiatique, et que Cat Foirien m'a fait découvrir (merci). Ou alors, il faut que je renouvelle mes sources d'informations… Par "attendre au virage", il faut comprendre "me passionner et donner l'envie de continuer l'écoute". On pourra estimer que je m'instaure juge et arbitre du travail de Bruno Cocset, attitude bien présomptueuse ! Mais il est notoire qu'avec ces suites, et pour tous les mélomanes, c'est quitte ou double. La vision d'un artiste qui tente l'aventure enchante une grande majorité d'auditeurs ou… presque personne !?
-*-*-*-*-*-*-
Bruno Cocset a ou aura la cinquantaine cette année. Son parcours atypique explique sans doute son manque de notoriété dans le show-biz classique. En effet, il quitte le conservatoire de Lyon et la formation classique qu'on y pratique, pour suivre l'enseignement du violoncelliste baroqueux Christophe Coin, puis les master-classes de Anner Bijlsma et du violoniste Jaap Schroeder. Il devient membre des ensembles "sur instruments anciens" les plus renommés : 16 ans au sein de Il Seminario Musicale avec Gérard Lesne et, parallèlement, 15 ans chez Hesperion XX - XXI de Jordi Savall.
En 1996, il crée son propre ensemble "Les basses réunies" avec lequel il enregistre rapidement de très beaux disques de musique de chambre baroque, Vivaldi, Frescobaldi ou encore Boccherini. Ce dernier album cité, dont Sonia parlait en introduction, réunit des concertos et sonates somptueux de clarté. Très investi dans l'acoustique, Bruno Cocset impose une prise de son très proche : il nous invite dans son orchestre. On retrouvera dans tous ses enregistrements pour le label α la sonorité chaleureuse des instruments anciens, et une forme d'intimité avec les interprètes. Bruno Cocset est également passionné de lutherie ancienne et travaille avec le luthier Charles Riché à la reconstitution de violes et violoncelles du siècle des lumières, des copies des merveilles italiennes de Cremone : de Guarneri à Stradivari. Ils sont ainsi les parents de neufs instruments. On va en reparler.
-*-*-*-*-*-*-
Jean-Sébastien Bach est en poste à Köthen, auprès d'un prince calviniste, quand il écrit les suites pour violoncelle. Il va y rester de 1717 à 1723 avant de devenir Cantor de Leipzig de 1723 à 1750, date de sa mort. L'ultime période de sa vie lui permettra d'atteindre le statut de compositeur immortel (passions, art de la fugue, le clavier bien tempéré II, etc.). À Köthen, Bach va donner libre court à son génie créateur dans le domaine instrumental alors que pendant les dix années qui ont précédé, à Weimar, les obligations de sa charge l'ont conduit à composer ses 300  cantates religieuses et de la musique pour orgue. Lors de ces six années vont naître les Concertos brandebourgeois, le premier livre du clavier bien tempéré et de nombreuses œuvres pour divers instruments et orchestre.
En ce début du XVIIIème siècle, le violoncelle n'est guère à l'honneur. Parent proche des violes de gambes possédant un nombre de cordes fort variable, son rôle se limite souvent à sa participation dans la basse continue ou continuo. Il faudra attendre encore plus d'un siècle pour que les romantiques exploitent les richesses de cet instrument qui a enfin acquis sa forme définitive à quatre cordes (double concerto de Brahms ou concerto de Dvořák...). Il n'est donc pas étonnant que le recueil des suites de Bach ne devienne que tardivement un ouvrage phare du répertoire pour violoncelle, et un incontournable du disque pour les grands solistes. Pablo Casals les enregistrera dès les années 30. Dans les années 60-70, le renouveau du baroque va entraîner pléthore de gravures, soit sur instruments modernes, soit sur instruments anciens comportant, si nécessaire, la fameuse 5ème corde de grave. Il est vrai que sur un tel instrument, les graves apparaissent moins gras, moins puissants. À partir de là, c'est suivant les goûts !
Six suites avec chacune un prélude et cinq danses. La difficulté technique augmente de suite en suite. La beauté, elle, est constante. Les durées varient de 15 à 30 minutes. On peut en écouter 1, 2, plusieurs, l'ensemble, avec une attention scrupuleuse ou bien en se laissant porter par la fantaisie. Le flot musical est enchanteur, brillant ou nocturne, jamais intello. Les pièces échappent à toute analyse métaphysique. Donc, on écoute juste quatre pièces parmi les suites pour voir ce qu'apporte la version de Bruno Cocset :
CD 1 - Playlist-1-1 : Suite N° 1 : Prélude : C'est la pièce la plus célèbre du corpus. Certains se rappellent sans doute d'une Pub' Mercédès, il y a une dizaine d'années, où l'on voyait l'élégante berline longer un bord de mer au son langoureux du violoncelle. On ressent souvent une certaine noblesse dans cette introduction, mais attention au pathos guimauve ! Ici, rien de tout cela, au contraire. Bruno Cocset semble vouloir ajouter une sixième danse par un jeu d'une ductilité joyeuse. Le legato est réduit à l'essentiel, chaque note respire. Enchaînant subtilement forte et piano, le violoncelliste nous entraîne dans une danse en 3D. La prise de son, très proche, exacerbe la couleur de l'instrument, le bruissement de l'archet, la course folle des doigts sur le manche. Bruno Cocset nous isole dans un jeu à trois, artiste, violoncelle et auditeur assis face à lui comme pour un cours (concert) particulier. Il écarte toute lancinance, fait virevolter son archet et nous conduit à une coda aux accents espiègles ! Ça se présente au mieux ce disque, ma chère Cat.
CD 1 - Playlist-1-10 : Suite N° 2 : Sarabande : La sarabande est une danse de cour, galante et souvent lente (la sarabande de Haendel dans Barry Lyndon de Kubrick). Bruno Cocset élève la mélodie au rang de songe, de méditation. La mélodie se déploie sans brusquerie, sans effet de virtuosité gratuite. Les notes graves qui ponctuent ce noble phrasé sont allégées. Quelle sérénité !
CD 1 - Playlist-1--3 : Suite N° 3 : Prélude : c'est d'une étonnante vélocité pour un prélude. Bruno Cocset se veut ludique, voire humoristique dans les dernières mesures. On imagine une prise de becs entre un vieux ronchon et un jeune chien fou, impression donnée par la vivacité et la clarté du jeu sur deux cordes (grave vs aigu).
CD 2 – Playlist-1-14 & 18 : Suite n 6 : Allemande et Gigue : La dernière suite est la plus longue et la plus virtuose. Bruno Cocset pour varier les plaisirs a utilisé des violoncelles différents choisis parmi les copies construites par Charles Riché. Pour cette dernière suite, il s'agit d'un violoncelle piccolo d'après un Amati de 1600. Le son est ainsi merveilleusement léger dans l'Allemande. Les graves sont graciles du fait de la petitesse de l'instrument. Là encore une danse lente, toute en douceur avec des trémolos malins par-ci par-là. L'équilibre des niveaux sonores est magnifique. La gigue finale est enlevée mais Bruno Cocset prolonge cet intimisme, ce phrasé léger dont il ne s'est jamais départi de toute cette magnifique interprétation…

Sur deux playlists : Suites 1 à 3 puis suites 4 à 6 :


-*-*-*-*-*-*-

Proposer un palmarès des versions disponibles est un non-sens. Il y en a pour tous les goûts, et bien au-delà du génie de Bach, c'est le tempérament d'un interprète que va révéler chaque interprétation, celui d'un instrument aussi… Quelques idées pour ceux qui raffolent du son baroque ou inversement, et en fonction des budgets aussi. Les quatre doubles albums suivants sont à prix doux. L'album de Bruno Cocset est d'un prix assez élevé, mais la commande en import avec quelques semaines de patience permet cette petite folie...
Les enregistrements historiques de Casals (EMI) sont toujours disponibles. C'est évidement sublime si on arrive à échapper au son d'un autre âge (celui du 78 tours). Les violoncellistes français sont à l'honneur avec les enregistrements de Paul Tortelier (EMI 2 enregistrements, 2 époques : analogique ou numérique), et de Pierre Fournier (Archiv) que je trouve un peu trop grandiose à mon goût. Enfin Anner Bylsma (Sony) sur le Stradivarius Servais est le concurrent unique de Bruno Cocset. Les tempos plus amples lorgnent vers la spiritualité.


La vidéo du disque "La Nascita del Violoncello" avec Bruno Cocset & Les Basses Réunies dans un extrait de Gabrielli. De très belles images des instruments défilent pendant le morceau. Puis, en concert, l'ensemble joue Giuseppe Jacchini. À noter la collection de violes et violoncelles posée derrière Bruno Cocset et, par ailleurs, on voit nettement le violoncelliste utiliser un archet ancien en forme d'arc…


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire