mercredi 24 avril 2013

TEN YEARS AFTER "Recorded Live" (1973) - By Bruno



     Le 7 mars dernier, en arrivant le matin à la rédaction, on m'apprend la triste nouvelle : Alvin Lee est décédé.
Bizarre comme on peut parfois éprouver de la tristesse pour une personne que l'on a pourtant pas connue. Enfin, il faut bien reconnaître que certains (vrais) artistes réussissent à toucher émotionnellement les gens ; dans ce sens, il peut être normal que l'on ne soit pas totalement insensible à l'annonce de leur départ.

     Un départ soudain et surprenant, car Alvin donnait l'impression d'un homme assez robuste, en bonne santé, équilibré, préférant se mettre au vert, fuyant l'effervescence des grandes villes, et menant désormais sa carrière en toute sérénité, sans vraiment se soucier des retombées financières de ses derniers enregistrements (de toute façon, ses concerts – même si les salles se sont considérablement rétrécies - attiraient encore du monde, et les disques de Ten Years After se vendent encore). On sait que certaines stars, déchues ou pas, ayant maintenant dépassé un certain âge, sont bien diminuées ou présentent des signes de faiblesses (certaines ont même annoncé que leurs jours étaient comptés). Mais pas Alvin...


   Pour le coup, de vieux souvenirs sont subitement remontés à la surface.
- Les premiers disques piqués aux frangins et frangines pour les écouter religieusement, en cachette, pendant leur absence.
- Le 45 tours de « Love Like A Man » (une face studio, une face live) présenté fièrement à l'institutrice en primaire (CE.2) – avec entre autres ceux de Jethro Tull, Rolling Stones, Suzi Quatro, Deep-Purple, The Osmonds – lors d'une après-midi consacrée à la « musique ». Sur l'insistance de camarades, elle le prit avec une mine boudeuse, d'un air mi-horrifié mi-dégoûté, et le plaça sur le Teppaz de luxe, en lieu et place du 33 tours de Titi & Gros minet, pochette au fond bleu, qui trônait crânement sur un banc voisin (ouf ! On l'avait échappé belle).
- Et puis ce « Recorded Live » que j'ai usé jusqu'à la corde, essayant parfois de comprendre comment on pouvait être aussi véloce.

     Ce « Recorded Live » qui surprenait par sa qualité d'enregistrement (étonnant comme les lives des années 70 sonnent généralement bien mieux que ceux de la décennie suivante), ensuite par les sons que délivrait le guitariste. Quant à la vitesse d'exécution de certains soli, elle nous donnait le tournis. N'ayant, pour la plupart, encore jamais touché d'instrument, on n'arrivait pas à concevoir comment on pouvait être aussi rapide sur un manche de guitare. Même sur le manche à balai, ou la raquette de tennis, on n'arrivait pas à la cheville d'Alvin. 
« M'enfin !?! Ils auraient pas accéléré les pistes, des fois non ? ».
Écoute en comité ou en solitaire, toujours avec le même bonheur.
De nombreuses années plus tard, Ten Years After peut paraître désuet, voire ronflant ou ampoulé, pour les plus jeunes ; toutefois, à l'époque, son British-blues était plutôt novateur.
 

   Comme bon nombre de live de cette décennie, ce double a été réalisé en réponse aux nombreux pirates qui circulaient, tant sous le manteau que chez les disquaires. Généralement enregistrés avec du matériel de fortune, ils ne pouvaient pas rendre justice aux prestations des groupes.
Résolu à laisser pour la postérité une meilleure image de leurs concerts, le quatuor part sur la route avec le fameux Rolling-Stones Mobile, semi-remorque transformé en studio d'enregistrement à la pointe.
Quatre concerts sont enregistrés : Frankfort, Amsterdam , Rotterdam et Paris. L'Allemand gagna la palme avec sept titres retenus, contre un pour Amsterdam et Paris (plus deux interludes pour ce dernier), et rien pour Rotterdam.
La note succincte de la pochette met cartes sur tables : c'est un authentique (truthfull) enregistrement, sans overdubs ni autre séquence ajoutée. Ce qui n'est nullement synonyme ici d'un fatras sonore exempté de dynamique et de définition ; le son est suffisamment bon pour qu'aucune remasterisation ne soit justifiée quarante ans plus tard. Bon nombre de leurs compatriotes et collègues n'ont jamais pu retranscrire sur scène un son sinon équivalent, au moins approchant.

     L'album commence fort, très fort. « One of These Days », un des meilleurs titres de TYA. L'intro est saisissante ; son dépouillement et sa simplicité ajoutent de la force. Un Blues qui gagne progressivement en intensité pour se muer rapidement en titre Heavy-rock bluesy de bravoure. Évidemment la voix puissante d'Alvin et le son majestueux de sa ES335 y sont pour beaucoup. Toutefois, il serait inconvenant de négliger le travail de Rick Lee à la batterie (qui n'a aucune parenté avec Alvin) et de Leo Lyons à la basse. Tous deux n'ont rien de faire-valoir, à la rigidité métronome, comme ils le prouvent dès le break où conjugués à l'harmonica plaintif et robuste à la fois d'Alvin, ils insufflent un air de chevauchée ferroviaire, variant même leur jeu sans sortir du tempo. Chick Churchill est en soutien et apporte une force qui amène la formation au-delà du Blues et du Blues-rock.

   « You Give Me Loving » qui suit est bien plus anodin avec son riff binaire par trop répétitif. Alors qu'en introduction il plombe une ambiance crépusculaire nimbée de nappes d'orgue, dès la prise du chant il manque de force de caractère. Le break
psyché-jazzy redonne quelques couleurs plus attrayantes. Pas mauvais, mais un peu étonnant que sur quatre concerts, et vu le riche répertoire du quartet, il n'y ait rien eu de mieux. Par contre, la simplicité du morceau permet d'apprécier le travail de Leo Lyons.

   Le Chicago-blues à l'honneur avec le classique « Good Morning Little Schoolgirl » de Sonny Boy Williamson. Certainement une des meilleurs versions (celle de Johnny Winter comprise). Bien sûr le son par rapport à l'original a été épaissi, boosté, la batterie y est plus lourde et il y a l'ajout des claviers qui donne du corps. Le côté sautillant a été gommé par une radicalisation qui est à deux doigts de faire basculer cette version dans l'antre du Hard-Blues. Au bout d'à peine deux minutes trente, Alvin part dans un long solo (trois minutes) qui allie feeling et vélocité. Alvin parcours son manche en explorant la gamme Blues dans différentes clefs. Effectivement, à l'époque, peu de guitaristes de Blues et de Blues-rock étaient capables de balancer des soli à cette vitesse en gardant fluidité et musicalité.

   Autre reprise de Sonny Boy Williamson (qui avait la côte auprès des Anglais depuis les 60's) avec cette fois-ci « Help Me » qui commence à pas feutrés, tel un chat se mouvant à l’affût d'une proie éventuelle. Ambiance à la « Fever ». Chick Churchill donne le ton avec un gimmick blues en boucle. Alvin chante réellement comme un bluesman, criant, rugissant, variant son approche du micro pour nuancer l'impact, pour donner l'impression d'être submergé par l'émotion. « If you don't help me, darliiing !! I'll have to find myself somebody else ! ». Graduellement la tension monte et le quartet se fait plus mordant, plus lourd. Chick écrase ses touches, Ric finit les dernières mesures sur une crise d'épilepsie en frappant frénétiquement sur ses fûts (un peu à la manière de Mitch Mitchell), pendant qu'Alvin martyrise sa gratte.

   Après deux petits et sympathiques interludes, qui permettent à Alvin de démontrer qui est capable de sortir des gammes et des phrasés de Blues (et pour le classique avec « Classical Thing » c'est fort court mais non sur-joué), arrive la reprise d'Al Kooper « I Can't Keep from Cryin' Sometimes ». Dès les premières notes, le public parisien manifeste son approbation et, enthousiaste, claque même des mains. Un pur moment de bravoure du quatuor. Démarrant comme un Slow-blues introspectif que n'aurait pas renié Tony Joe White, cette pièce prend progressivement des allures d'offensive terroriste œuvrant pour la gloire d'un Blues-rock sur-électrifié. Elle devient polyforme, alternant entre des passages d'improvisation de guitares lourdes et déjantées et de retour au calme ; clin d'œil à Cream avec l'extrait de « White Room ». Jamais jusqu'alors une Gibson ES335 n'avait sonné de cette manière (même celle de Marty McFly). Il y a aussi ce fameux passage où Alvin détend ses cordes pour jouer dans des fréquences assez graves pour faire croire à un solo de basse (assez réputé pour que l'édition CD en fasse une piste à part). Cela dégouline de toutes parts de fréquences graves et médium délivrées par des cordes en chewing-gum. Après cet assommoir de cordes distendues, où, entraîné par le piano, il reprend « Peter Gun », il se réaccorde tout en jouant. Loin de la cacophonie, cet instant psychédélique a la couleur du Pink-Floyd de Syd Barret. Une escalade vers la folie sonore, le point de non-retour. Slide stridente (avec le pied du micro) et... retour au calme, comme le soleil après l'orage, le calme plat et reposant de la neige fraîche après le blizzard givrant.


   On annonce clairement la couleur : « Slow-blues in C ». 

Ce qui aurait pu, aurait dû, n'être qu'un Blues dans une de ses formes les plus classiques - ce qui l'aurait certainement été avec une majorité de groupes issus du British-blues, ou même d'ailleurs - devient ici une belle démonstration de feeling. Alvin est souvent à la limite de la démonstration, du pathos, oui, à part qu'à chaque fois cela sonne bien, que cela ne donne jamais l'impression d'être en complet décalage. C'est toujours dans le ton. Entre autre parce que le groupe suit, comme un équipage fidèle et expérimenté suit le moindre signe de son capitaine. Bien sûr, les compositions de TYA prévoient des plages pour qu'Alvin puisse faire son show, et une bonne partie de ses improvisations ne sont désormais plus vraiment spontanées.
Enfin un petit solo de Churchill, dont la bonne tenue nous fait regretter de ne pouvoir l'entendre un peu plus souvent en avant. Du coup, Alvin (jaloux ?) reprend les commandes par un chorus, dont le tempo, hélas, un tantinet trop rapide n'apporte rien.

Pour en revenir à Chick Churchill, il faut souligner que bien qu'il soit un musicien discret, - tant par son jeu qui ne s'embarrasse d'aucune échappée grandiloquente à la Jon Lord ou Ken Hensley, que par sa prestation scénique des plus humble – , au point d'être la personne la moins connue de la formation, il en demeure pas moins une des clefs du son de Ten Years After. Toujours avec justesse et retenue, il épaissit le son de TYA, soit en soutien des riffs d'Alvin, soit en nappes nébuleuses d'un orgue éduqué et respectueux.

« So.... I'm going home » et les Teutons exultent. Et c'est parti pour onze minutes de Rock'n'Roll frénétique, avec "I'm going Home". Leur grand succès. L'exploit de Woodstock qui a scotché des milliers de hippies qui n'auraient jamais cru que l'on pouvait délivrer autant d'énergie positive, et être autant d'actualité en interprétant un patchwork de vieux Rock'n'Roll fifties avec l'énergie du désespoir (en incluant également "Baby, Please Don't Go").
Alvin chante, crie, rugit, feule, miaule, et il est transcendé, possédé par l'esprit qui animait Chuck Berry, Carl Perkins, Jerry Lee Lewis. Un esprit lui-même transformé par la vision multi-couleurs d'une jeunesse en pleine libération sexuelle, avide de sensations électriques et de fantaisie.

Final, rappel, sur le Rock'n'Roll aux parfums de rencontre entre Chuck Berry et Little Richards, « Choo-Choo Mama ». Un peu précipité peut-être (le groupe accusant peut-être la fatigue en fin de concert), mais rondement bien mené.

     Voilà, « Recorded Live », malgré ses défauts, fait dorénavant partie du club des live incontournables des 70's. Ainsi que de celui de ceux apportant un plus à la discographie d'un groupe, ou d'un artiste, parce que ces derniers ne se sont pas contenté de recracher un répertoire en tout point conforme aux versions studio. 
  1. One Of These Days - Frankfurt - 6:26
  2. You Give Me Loving - Frankfurt - 6:02
  3. Good Morning Little Schoolgirl - Frankfurt - 7:35
  4. Help Me - Amsterdam - 11:06
  5. Classical Thing - Paris - 0:55
  6. Scat Thing - Paris - 0:54
  7. I Can't Keep From Cryin' Sometimes - Paris - 15:57
  8. Silly Thing - Frankfurt - 0:54
  9. Slow Blues In "C" - Frankfurt - 7:52
  10. I'm Going Home - Frankfurt - 11:39
  11. Choo Choo Mama - Frankfurt - 3:1




- "Hé les gars, au fait, dans quel genre vous classeriez Ten Years After ? Hmmm ?? Du Blues ? Blues-rock ? Heavy-Rock ? British-Blues ? Hard-Blues ? Heavy-jazz-blues-psyché-rock ?"
- "Euuhh... bin, c'est un peu de tout ça... non ?"
- "Oui, merci Rockin', mais encore ? Luc ? Une idée ?"
- "Dans Ten Years After !!"
- "Super les gars ! Merci ! Vraiment ! Et ça vous fait rire !"
- "Claude ? Oui ? Comment ?... Son interlude classique est à  censuré  ? Euh, oui, certainement, peut-être..."
- "Philou ? Vincent ? Pat ? Où se cachent-ils encore ? Comment Sonia ? Ils sont partis faire leur pause... au "Bar des Amis"... cela fait bien une heure.. (!?!)... ha ouais d'accord..."


Dernière tournée de Ten Years After de la décennie (peut être un extrait d'un concert au Fillmore ou Winterhall).
à noter que le son est moins percutant et les musiciens semblent avoir moins d'entrain que sur "Recorded Live".



"I'm Going Home" 4/08/1975



Autres chroniques (liens) sur Ten Years After et Alvin Lee :
"Space In Time" 1971
Hommage à Alvin Lee (1944-2013)

7 commentaires:

  1. Bon ben allons-y de nos anecdotes personnelles !! Moi,j c'est chez un pote de ma grande soeur que j'ai découvert ce disque, le type s'appelait "petit Pierre" (Pierrot, si tu nous lis...) il avait une collection incroyable, dont il avait extrait ce "Recorded live" comme étant une de ses pièces maitresses.

    Un disque qui m'a suivi très longtemps, mis sur K7 pour être écouté au Walk-Man, et jouer de la batterie en même temps. Pour les parents, le plus dur, c'étaient les 17 minutes de "I can't keep from" !!!

    Je constate d'ailleurs que tu ne cites pas le titre "Hobbit", le solo de batterie, sans doute absent de certaines versions.

    Ce disque est tellement addictif, que je le préfère toujours au Live at Fillmore 1970" sorti il y a quelques années, une set list assez comparable, mais bon... ché pas, le son, l'ambiance... rien de nouveau à se mettre dans l'oreille, et la version de "Help me" de 16 minutes est tout de même un peu longuette.

    Ils jouaient quoi TYA comme musique demandes-tu ? de la bonne, de la très bonne, c'est tout ce qui compte !!

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    1. Arrghhh..... Oui, "The Hobbit". Je l'ai complètement éclipsé celui-là, car, en effet, il a été oblitéré de la version CD (une des raisons pour lesquelles j'ai tardé à l'acquérir sous ce format). Et la platine est au placard depuis une quinzaine d'années.

      Mais pourquoi ce titre, "THe Hobbit" ? Ric Lee a-t'il les pieds particulièrement poilus ? Ou bien est-il friand de l'herbe-à-pipe ?

      Preuve en est que Tolkien avait déjà une certaine notoriété en Angleterre dès la fin des années 60 (et en Californie notamment).
      Et ce n'est pas Plant qui pourrait le nier.

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  2. Merci ca me donne l'envie de réécouter ce Live qui est dans mes vinyls depuis bien longtemps. Alvin Lee était un sacré gaillard, j'ai eu l'occasion de faire sa première partie à Mulhouse avec mon groupe Mojo. Il y a dix ans et il n'avait pas vraiment changé, toujours aussi rapide et inspiré par contre pas très causant et quelque peu colèrique (il avait délibérément shooté dans un portique de lumières): Le son de sa Gibson fleurait bon les nnées 70 et la balance a été torché en moins de 30mn. Sa femme marchant derrière lui portant la guitare dans son étui, lui il monte sur scène il se branche et il envoie direct la purée assurément une sacrée matrise de la scène !

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    1. Arrghhhh (bis)....
      J'ai loupé un de ses concerts il y a quelques années. Son nouveau manager n'avait pas trouvé opportun qu'il aille jouer en province. Le concert pourtant programmé, avec affiches et tout, avait donc été tout simplement annulé. Déception.

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  3. 3 j'avais 14ans, j'y étais à Paris...

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    1. Heureux homme. Cela a dû être un grand et inoubliable moment.
      Oui, trois en comptant les interludes.

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  4. Je l'ai numérisé, ça craque mais que c'est bon

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