samedi 23 mars 2013

MOZART : Symphonie Concertante pour Violon et Alto – Perlman & Zukerman - par Claude Toon



- Ah, merci M'sieur Claude, la prochaine maquette pour publication… Voyons… Symphonie concertante !? Un concerto ou une symphonie, un mixe des deux ?
- Et bien Sonia, je pense qu'il s'agit plutôt d'un concerto : trois mouvements, deux solistes aux rôles bien distincts, mais votre question est pertinente…
- Alors pourquoi ce titre étrange, moi qui commençait à m'y retrouver dans tous les termes bizarres du classique ?
- Le rôle de l'orchestre est très important et annonce presque le romantisme. Mozart a du hésiter entre les deux types d'œuvres, d'où ce titre, disons… mixte…
- Merci M'sieur Claude. Il y a beaucoup de cordes à ce que je vois… M'dame Cat va être contente…


Perlman, Zukerman, Mehta, une Truite et une complicité
Lors de la publication dans le blog de l'article consacrée à "la Truite" de Schubert, une vidéo additionnelle nous offrait des extraits du célèbre quintette filmé lors d'un concert immortel en aout 1969 : Itzhak Perlman au violon, Pinchas Zukerman à l'alto, Zubin Mehta à la contrebasse, Jacqueline Du Pré au violoncelle et son mari Daniel Barenboïm au piano. Cette vidéo de légende montrait comment l'amitié, et plus si affinité, permettait de transcender l'interprétation d'une œuvre.
24 ans plus tard, en 1983, Perlman, Zukerman et Mehta (chef d'orchestre avant d'être contrebassiste), la complicité entre les artistes est toujours vivante et permet d'entendre une excellente version du bijou mozartien qu'est la symphonie concertante K 364 pour violon et alto.
À 76 ans le chef d'orchestre d'origine indienne Zubin Mehta pourrait s’enorgueillir d'une carrière exceptionnelle. Ce n'est pas son genre. Pourtant, après avoir occupé les postes de directeur des orchestres philharmoniques de Los Angeles (1962-1978), d'Israël (depuis 1968), de New York (1978-1991) et quelques autres, la musique symphonique lui doit beaucoup. Humaniste, Mehta a souvent pris des initiatives artistiques pour soutenir les combats contre les ignominies passées ou présentes de notre monde. Ainsi, en 1999, il dirige à Buchenwald la symphonie N°2 "Résurrection" de Mahler, œuvre dont il a signé pour Decca une version de référence avec la Philharmonie de Vienne dès le début de sa carrière. Son répertoire est très éclectique, des grands classiques comme Mozart, Mahler ou Bruckner, mais aussi des œuvres contemporaines comme la "symphonie de Noël" de Penderecki qu'il créa en 1980 avec le New-York Philarmonic !
Pinchas Zukerman est un violoniste israélien né en 1948. Il commence l'étude du violon après celle de la flûte à bec et de la clarinette ! Il se fait remarquer par Isaac Stern et Pablo Casals qui vont lui proposer de se perfectionner à La Julliard School et lui assurer le début d'une brillante carrière internationale. Il mène de front une carrière de chef d'orchestre en dirigeant notamment l'Orchestre de chambre de Saint-Paul du Minnesota. C'est l'un des premiers professeurs à avoir utilisé la vidéoconférence et internet dans sa méthode pédagogique.
À l'instar de Zukerman, Itzhak Perlman est né en Israël, mais en 1945. Victime de la poliomyélite, il ne peut jouer qu'assis, mais la maladie a épargné ses bras, et Itzhak est devenu l'un des violonistes les plus talentueux de notre temps. Il aura le même parcours que son compatriote, à savoir la Juilliard School avec Ivan Galamian comme professeur. Sa carrière est exemplaire. Il est comme Zukerman et Mehta un fidèle des concerts de l'orchestre d'Israël. Son violon Soil, un Stradivarius de 1714 lui a été offert par Yehudi Menuhin. Par ailleurs le virtuose s'adonne avec plaisir au Jazz. Comme nombre de solistes, il a commencé en fin de carrière à diriger des orchestres.
Les deux compères ont souvent enregistré des duos ou de la musique de chambre. Je cite en priorité une intégrale des concertos pour violons(s) de Bach avec Daniel Barenboïm au pupitre de l'English Chamber Orchestra (EMI rééditée en partie)… Des décennies d'amitié autour d'une "truite"…
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Mozart et la symphonie concertante




La biographie de Mozart a été bien esquissée dans les chroniques consacrées au concerto pour clarinette joué par Benny Goodman (clic) et au Requiem dans les interprétations de Karl Böhm et John-Elliot Gardiner (clic).
C'est en 1779 à 23 ans que Mozart va composer la Symphonie Concertante, après son retour d'une tournée en Europe, notamment à Paris où a été créé le concerto pour piano n°9 dédié à Mlle "Jeunehomme". Par qui cette symphonie a-t-elle été commandée ? Mystère ! On suppose toutefois qu'elle a été écrite à l'intention des musiciens et de l'orchestre de la cour de Mannheim. Mozart est déjà au faîte de son art, et encore un homme plein de vie, un épicurien. Toute la musique de cette période porte la joie en elle. La symphonie concertante va surprendre. Par son ambition et sa durée (35'), l'ouvrage s'écarte résolument du mode divertissement. (Les symphonies 33 et 34 écrites à cette époque, ne dépassent pas les 20'.) Mais ce qui va surprendre le plus, c'est la gravité de son propos. "L'expression douloureuse de l'andante" est tout à fait inhabituel (J & B Massin). Même si à "douloureux", j'aurais substitué "mélancolique", il est évident que l'atmosphère annonce bien plus qu'un saut vers les œuvres très élaborées et géniales de la maturité, les grands concertos pour piano, les symphonies ultimes, le Requiem. Oui, par sa modernité cette musique regarde vers le romantisme qui approche. Mozart visionnaire ? Qui en doutait ?

L'orchestration est peu usuelle : 2 hautbois et 2 cors pour l'harmonie, cordes. Sur la partition, les altos sont divisés en deux groupes. (Partition pour les curieux.) Ce n'est pas surprenant, Mozart raffolait s'évader de l'orchestration classique (2 flûtes, 2 hautbois, 2 bassons, etc.).
 
1 – Allegro maestoso (Pondéré et majestueux) : Beethoven convie le destin à frapper à la porte de sa cinquième symphonie, Pam pam pam paaaam… Avec Mozart, cinq accords staccato dans un rythme mystérieux (ronde, blanche, noire pointée, croche, noire) frappent autrement à notre porte.  On songe aux coups donnés avec le brigadier au début d'une pièce de théâtre qui pourrait être un opéra… Mozart crée l'étonnement, la surprise, suggère même une sourde inquiétude. Une mélodie plus dansante se développe aux cordes avec quelques notes discrètes de la très petite harmonie comme pour nous inviter à un bal. [1'10"] par deux fois les cors énonce un motif qui servira de leitmotiv au mouvement. L'introduction prend l'importance d'une ouverture puisque les solistes n'interviennent qu'à [2'20"]. Le violon et l'alto ne vont pas s'opposer dans une compétition virtuose. Non, on pense plutôt à un dialogue, pourquoi pas un air en duo d'un opéra sans paroles. La voix aigu du violon et celle plus virile de l'alto ne sont-elles pas celles d'un couple qui badine, se chicane, se réconcilie par un jeu musical de motifs mélancoliques ou joyeux vagabondant de variations en variations. Ainsi l'échange facétieux et en écho des deux solistes de génie à [6'30"]. Mozart avait prévu d'accorder l'alto un demi-ton plus haut pour rendre sa sonorité plus brillante, moins rugueuse. Ce n'est pas toujours respecté par les altistes. Ici ce n'est pas le cas à mon oreille, qui cela dit, n'est pas absolue... Perlman (violon) et Zukerman (alto) maîtrisent totalement le jeu virevoltant et contrasté pensé par le compositeur. La cadence précédant la coda, qui fait de cette symphonie aussi un concerto, est d'une précision et d'un humour diaboliques.

2 – Andante : L'andante de cette symphonie concertante est l'une des pages les plus nostalgiques jaillies de la plume de Mozart. Une des plus élégiaques et sublimes en fait. Une phrase plaintive aux cordes ponctuée de quelques notes des hautbois est rapidement interrompue par le violon puis reprise par l'alto. On entendra suivant sa sensibilité des soupirs, des émois, des chuchotements langoureux. L'écriture pour les solistes est moins polyphonique qu'il n'y parait. Les deux instruments se répondent en ménageant des silences qui laissent libre court à leurs chants individuels. On retrouve de nouveau, à mon sens, ce climat d'un duo amoureux d'opéra. Mais là il semble y avoir comme une déchirure. Je ne reviens pas sur la perfection de l'interprétation. Elle est évidente, l'enchaînement des phrases entre les instruments est absolument parfait, sans écueil. On parlerait avec les mêmes mots du legato-staccato de Glenn Gould. [8'40] Une cadence bouleversante, pour ne pas dire déchirante, avec un développement soutenu de l'orchestre, achève ce miraculeux passage.

3 – Presto : Plus bref, le final conclut avec vivacité la symphonie. Après l'émotion intense de l'Andante, Mozart apporte un ton de fraîcheur dans cette conclusion. C'est dans ce mouvement que l'orchestre prend un peu sa revanche et donc son rôle symphonique autre que celui d'accompagnateur. Les thèmes sont vifs, trépidants. Mozart confie de nombreux solos au violon et à l'alto, ceux-ci étant séparés par quelques notes des instruments de l'orchestre, notamment les cors qui surgissent comme dans une chasse à courre. La direction de Zubin Mehta est idéale dans le sens où l'orchestre ne camoufle aucun trait des solistes. L'orchestration voulue par Mozart est d'une couleur assez sombre et pourtant, dans ce final, l'équilibre assuré par le chef entre les 4 membres de l'harmonie et les cordes redonne gaité à l'ensemble. Du grand art de la part des trois complices et de l'excellent orchestre d'Israël pas suffisamment mis en avant dans la presse ou la discographie. Simple avis.

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Discographie alternative




Cette œuvre majeure a été fréquemment gravée. Si la version chroniquée est un must, on trouve d'excellentes réalisations dans l'histoire du disque.
L'enregistrement de Karl Böhm avec la Philharmonie de Berlin est resté longtemps une référence. Certes le maestro était un mozartien accompli dans les moindres détails, mais on écoute moins facilement de nos jours le style romantique un rien pesant en vogue dans les années 60, même si le maestro autrichien fait preuve de légèreté. (Dgg - 5/6).
Gravée avec l'orchestre du Festival de Bath en 1962, le duo Yehudi Menuhin et Rudolf Barchaï a laissé une vision quasi idéale du style "à l'ancienne". L'andante poignant laisse sans voix. (EMI - 6/6 en compléments des 5 concertos)
Enfin, on ne peut faire l'impasse sur l'enregistrement de David Oistrakh à l'alto accompagné par son fils Igor au violon, le London Symphony Orchestra est dirigé par Jascha Horenstein. Un disque de légende (Decca 5/6).



Vidéos



L'intégrale de la symphonie en live dans l'interprétation commentée ce jour… vidéo 1 : 1er et 2nd mouvements ; vidéo 2 : final et un duo en bis...




8 commentaires:

  1. pat slade23/3/13 13:52

    Rien a redire sur cette oeuvre connu de Mozart! Quand j'entend le nom de Itzhak Perlman, je repense toujours à une des premiers vinyls classique que j'ai acheté,les concertos pour violons n°1 et 2 de Wieniawski avec le London Philarmonic Orchestra sous la baguette de Seiji Ozawa (Ca t'étonnes?^^). Mais en revenant à la concertante de Mozart, autant cette version est superbe, que je reste quand même sur celle de Oistrakh.

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  2. ... Et moi sur Menuhin - Barchai¨! En fait comme dirait Philou, si le sujet l'intéresse, la discographie alternative propose différents bordeaux Grands crus classés... Souvent, si le premier contact avec une œuvre dans une version donnée a été un choc, l'on reste attaché à celle-ci pour la vie, même si on trouve du plaisir à écouter les autres... Sans doute un truc psy :o)

    Wieniawski ? je ne connaissais que de nom... j'écoute sur Deezer. Excellent et merci de m'avoir branché sur ce compositeur. Je ne te surprendrai pas en t'informant que le LP Perlman-Ozawa ne semble pas avoir été réédité régulièrement (qlq exemplaires EMI d'occasion) :o(
    Un CD de 1991 avec Gil Shaham et Lawrence Forster (Dgg) semble remporté les suffrages....

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  3. Cat Foirien24/3/13 13:09

    Sonia a raison Claude, ça me plait beaucoup!

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  4. Bonsoir Mr Toon,
    C'est un excellent post de votre part.

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  5. Merci Hard Round Tazieff...
    Et à bientôt avec Wagner, du sang, des larmes, etc. :o)

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  6. Bonjour, je me permets de signaler ce qui ressemble à une petite approximation, concernant l'orchestration . Je crois qu'elle est usuelle , nombre de symphonies de Haydn et de Mozart par exemple comportent cordes + 2 hautbois et 2 cors . Par contre la division des altos est effectivement un cas particulier (je ne connais pas d'autre exemple , sauf plus tard bien sûr , Brahms etc , lorsque les divisions de pupitres deviennent un sport très répandu) ...

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  7. Quelle musique de dingue... j'allais oublier l'essentiel !

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  8. Bonjour anonyme. et merci pour cette lecture et remarque.

    Peu usuelle... par rapport au très classique 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes (à partir de son invention) et 2 bassons pour la petite harmonie.
    Je laisse sans doute croire que Mozart faisait ici une entorse à une règle. En fait ses orchestrations sont toujours très variées : 25ème symphonie : 2 hautbois, 2 bassons et 4 cors ! Pas de hautbois dans la 39ème.... etc. Mozart avait une imagination débordante, mais ça, on le savait :o)

    1000% d'accord avec "Quelle musique de dingue"...

    Amicalement
    claude

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