- Coucou M'sieur Claude ! Mais… la photo du beau jeune homme me rappelle
      votre chronique d'un album avec… heu Cecilia Bartoli ?
  - C'est exact Sonia, l'album Mission avec notre Diva
      transformée en évêque-cantatrice chauve sur la jaquette. Je vois que vous
      suivez avec attention, merci.
  - Vi-val-di… si je lis par-dessus votre épaule, (sympa votre eau de
      toilette), vous écrivez sur des concertos comme les quatre saisons ?
  - Point du tout, deux splendides œuvres religieuses, un aspect moins
      connu de la production du Prêtre Roux qui avait tous les talents…
  - Je vois que vous avez fait une liste de liens vers Youtube, je suis
      impatiente, j'adore le baroque…
  Vivaldi et la musique religieuse
  Pour se remémorer la bio du
    Padre Roux (1678-1741), je vous
    renvoie à la
    chronique sur les immortelles
    Quatre Saisons. D'ailleurs, ceci me permet d'enchaîner.
    Vivaldi
    est sans conteste célèbre grâce à la composition d'une myriade de concertos
    (600). On en trouve pour violon (il était un virtuose de l'archet), comme le
    fameux cycle saisonnier, et pour une variété infinie d'instruments, en solo
    ou en groupe : bois, flûte, luth, mandoline, etc… Mais
    Vivaldi
    nous a aussi légué une belle musique religieuse.
  De par sa charge,
    Vivaldi
    a composé un ensemble important d'œuvres lyriques tant pour la scène que
    pour les cérémonies religieuses. Pour l'opéra, il aurait composé plus de 50
    opéras… Au XVIIIème siècle, l'opéra a le même rôle que le cinéma
    de nos jours. Et ainsi les chefs-d'œuvre (Mozart) côtoient les nanars. Soyons francs,
    Vivaldi
    assure les commandes plutôt pour la seconde catégorie. Ses opéras
    (inspiration mythologique et histoire antique) ne sont guère joués de nos
    jours. Quelques exceptions comme
    Orlando furioso. Il nous reste de très beaux airs joués en concert, et j'ai évoqué le
    superbe disque de
    Cecilia Bartoli
    il y a quelques semaines (clic), un incontournable de la diva et de la musique de
    Vivaldi.
  Pour la musique sacrée, l'affaire est plus sérieuse.
    Vivaldi
    peut mélanger les genres. Pour des Motets ou un Stabat Mater, les règles de
    composition sont moins codées qu'à la scène. Au choix : solistes, chœur,
    orchestre, ou un mélange du tout. (Les chœurs sont peu utilisés à cette
    époque à l'opéra.) Le catalogue est impressionnant.
    Vivaldi
    explore tous les genres, des intimes
    Nisi Dominus
    ou
    Stabat Mater
    pour un soliste, sujets du jour, au grandiose
    Gloria. Travaillant à Venise,
    notamment à la
    Basilique Saint-Marc qui
    possède deux tribunes,
    Vivaldi
    reprend à son compte les expériences de
    Monteverdi
    dans
    Les
    Vêpres de la
    bienheureuse Vierge Marie, à savoir des effets stéréophoniques aux échos cosmiques. On possède
    désormais une grande partie de ce patrimoine et l'intégrale en a été
    enregistrée.
  Enfin, je ne peux passer sous silence la forme oratorio avec
    l'extraordinaire
    Judith Triomphante
    dans lequel, la richesse des airs et chœurs se combinent avec une
    imagination orchestrale inattendue dans le genre. Les arias bénéficient d'une instrumentation colorée inspirée des concertos. Une rude concurrence pour
    Haendel.
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  Jean-Marc Spinosi, Philippe Jaroussky, Marie-Nicole Lemieux et…
        Vivaldi
  La musique de
    Vivaldi
    est ressuscitée dans les années 1920-1930, la bibliothèque de
    Turin livra ses secrets et en 1939 Alfredo Casella
    (clic) organisa un festival
    Vivaldi. Après la guerre, le compositeur va retrouver sa gloire passée.
  
  Tout le monde enregistre les
    quatre saisons, même
    Karajan, avec des orchestres romantiques modernes. De son côté
    Hermann Scherchen
    enregistre à Vienne début des années 60 le
    Gloria
    très (trop) glorieux. J'ai le vinyle, ça jette, mais pas la nuit (à cause
    des voisins) ! Les années 70 arrivent avec la redécouverte des conceptions
    baroques, principalement l'usage des instruments originaux dans des petits
    ensembles, et surtout l'usage des voix masculines de
    contre-ténor,
    alto et
    contralto. La musique de
    Vivaldi
    et de ses contemporains retrouvent ses couleurs chamarrées, les lumières
    rayonnantes de l'Italie, de la Renaissance et du siècle des lumières…
  
  D'origine corse, approchant la cinquantaine,
    Jean-Christophe Spinosi
    commence jeune une carrière de violoniste et de chef d'orchestre. Cet
    artiste confirmé peut revendiquer l'héritage des pionniers de
    l'interprétation baroque fidèle à l'authenticité instrumentale et vocale. Je
    pense à
    Nikolaus Harnoncourt
    (clic) ou
    Gustav Leonhardt
    (clic) et leurs nombreux disciples. Il crée en 1991 le
    quatuor Matheus
    qui devient plus tard l'Ensemble Matheus
    constitué de musiciens jouant sur instruments d'époque. Comme ses illustres
    aînés, il s'évade également d'un répertoire purement baroque vers l'univers
    classique et romantique voire moderne. Sa discographie chez
    Naïve est remarquable. On y
    trouve notamment des enregistrements d'opéras de
    Vivaldi
    dont
    Orlando Furioso
    et La
    Fida Ninfa.
  
  Nous avons déjà rencontré
    Philippe Jaroussky
    dans l'article consacré à l'album
    Mission
    où le contre-ténor donne la réplique à la grande
    Cecilia Bartoli. À 35 ans,
    Philippe
    Jaroussky
    a conquis un large public avec le timbre séraphique de sa voix. On peut
    supposer que ce timbre et la tonalité obtenue n'ont jamais autant approché
    le style des castrats de l'époque baroque.
    Philippe Jaroussky
    a débuté ses études musicales par le violon et le piano, et c'est en
    assistant à un récital du
     contre-ténor
    Fabrice di Falco
    que sa vocation est née. Il a 18 ans, beaucoup de travail l'attend. Il en
    aura le courage, et notre bonheur de l'entendre n'a d'égal que le succès
    mérité qu'il rencontre.
  À 21 ans, avec
    Gérard Lesne, son ainé et précurseur dans ce registre de voix, il chante dans
    l'oratorio
    Sedecia, Re di Gerusaleme
    d'Alessandro Scarlatti. Je me dois de vous proposer un air extrait de cet oratorio,
    Jaroussky
    chante le rôle d'Ismaël. C'est
    vertigineux de souplesse et bluffant d'apparente facilité.
  Le répertoire et la discographie du chanteur sont larges et originaux,
    l'époque baroque, évidement, notamment avec
    Jean-Christophe Spinosi, son complice.
    Philippe Jaroussky
    a surpris en enregistrant l'album
    Opium, des mélodies françaises de
    Fauré,
    Debussy,
    Chausson
    et autres compositeurs de la fin du XIXème avec la complicité de
    Jérôme Ducros,
    Renaud et Gautier Capuçon
    et
    Emmanuel Pahud. Soyons juste, ce disque ne met pas en péril les mythiques
    Camille Maurane
    ou
    Régine Crespin, Il y manque un soupçon d'expressivité, mais je m'insurge quand je lis que
    la diction est inintelligible !!! On peut contester la médiatisation du
    chanteur, mais pas avec des arguments spécieux pour éviter d'écrire
    "débiles"… Exemple "le temps des lilas..."
    extrait du
    Poème de l'amour et de la mer
    de
    Chausson
    est d'une compréhension inouïe. Dans le même passage avec l'immense
    Jessye Norman, on ne comprend pas UN mot. Dommage mais réel.
  La contralto
    Marie-Nicole Lemieux
    est québécoise et de la même génération que
    Philippe Jaroussky. Elle met son art au service de tout le répertoire attaché à sa tessiture
    : de Geneviève dans
    Pelleas et Mélisande
    de
    Debussy
    à Orphée dans
    Orphée et Eurydice
    de
    Gluck. Bien entendu, sa voix de contralto est mise à contribution dans le
    baroque.
  
  On peut l'écouter sous la direction de
    Jean-Christophe
    Spinosi
    dans plusieurs enregistrements, notamment en complément du
    Nisi dominus
    chanté par
    Jaroussky
    dans l'album de ce jour où elle interprète le
    Stabat Mater. Elle a également gravé avec le chef et le jeune chanteur
    Orlando Furioso
    de
    Vivaldi, une performance récompensée par une Victoire de la Musique en
    2005.
  Voici extrait de cet opéra, l'air "Nel profondo" :
    
 
  
  
  
    
    
 
  
    
 
  
  
  
  
  
  
    
    
      
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Vidéos
    
    
    
    
    
    
  
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    Nisi dominus & Stabat Mater
  
  
    
    Le Nisi dominus
        est la transcription latine du
        Psaume 126. C'est l'un des
        cantiques graduels chantés lors des processions vers Jérusalem à
        l'époque hébraïque. Il ne comprend que 9 versets. On trouve le texte
        facilement sur internet car il a été maintes fois mis en musique.
  
  
  
  
    Dans cette œuvre qui ne dure qu'une vingtaine de minutes,
        Vivaldi
        atteint un équilibre entre la spiritualité et la virtuosité vocale qui
        en fait l'un des sommets de sa production religieuse. L'accompagnement
        orchestral comprend un ensemble de cordes et un orgue positif.
  
  
  
  
    Le verset 1 "Nisi dominus…"
        est un air de louange, de remerciement à Dieu sans Lequel construire une
        maison est vain si la présence Divine n'est pas présente pour aider à la
        bâtir. Il s'agit d'une figure de style métaphorique concernant la
        confiance, donc la foi.
        Jean-Christophe Spinosi
        engage avec vigueur et joie ses cordes dans la courte introduction. Le
        phrasé est très dynamique, staccato. Le chef évite ainsi tout glissement
        vers une religiosité sulpicienne tout à fait hors de propos dans une
        œuvre de reconnaissance. La même remarque s'applique à la ligne de chant
        pure et directe de
        Philippe Jaroussky. La mélodie est tendue afin de souligner l'énergique conviction qui
        sied au sujet. C'est un psaume, un chant simple destiné à un peuple
        recueilli.
        Jarrousky
        module avec allégresse mais sans excès, les ornementations sont très
        présentes mais sans la frivolité qui serait plutôt de mise dans un
        opéra. Une entrée en matière gorgée de lumière…
  
  
    
      Contre toute attente, limiter l'orchestration aux uniques cordes n'est
        pas un handicap au niveau des couleurs sonores. Le dialogue entre
        violons et violes ou violoncelles est d'une grande vivacité, une danse
        de timbres.
    
    
      Les versets 2 et 3 s'opposent, l'un par un style contemplatif,
        l'autre par une apparente violence que nécessite l'expression "mangeant le pain des douleurs".
        Philippe
        Jaroussky
        se joue avec aisance du changement de climat qui peut intervenir à tout
        instant, juste sur quelques mots. On pense au
        Vivaldi
        virevoltant des concertos. Bien à l'évidence, l'écriture de ceux-ci a
        influencé la variété du discours de ces deux pièces.
    
    
      Le verset 4 "Le seigneur comble ses amis dans leur sommeil" est l'une des plus belles pages jamais écrites par le vénitien. Bien
        que notée Andante, nous sommes ici à l'écoute d'un
        largo nocturne à la beauté hypnotique. Une marche d'une douceur
        infinie aux cordes graves structure ce morceau qui s'étire sur près de
        cinq minutes, une paisible respiration, un songe céleste. Les cordes
        aiguës illuminent le chant du contre-ténor d'une aura de pureté
        difficile à décrire.
        Philippe Jaroussky
        prie plus qu'il ne chante. La voix s'envole dans des aigus extrêmes sans
        aucune difficulté, mais avec une grande pudeur. Cet air n'est pas
        lyrique au sens scénique, non, plutôt divin au sens émotionnel. (Je vous
        laisse l'écouter dans l'extrait N°2.)
         
    
    
      Dans les 5 morceaux (versets) qui suivent, on va
        retrouver toutes les qualités déjà exprimées à propos de cet
        enregistrement : virtuosité de la voix mais sans ostentation et
        accompagnement de l'orchestre très présent par son élégance.
        Curieusement, le verset 7 qui est un bref
        Gloria
        est composé Larghetto. Là où l'on rencontre souvent des tempos
        vifs et, si je puis dire, glorieux,
        Vivaldi
        privilégie une forme de louange. (On peut s'interroger sur la mention du
        Saint-Esprit dans un texte tiré de l'ancien testament ! Pour toute
        explication, contactez un théologien.) Le chant est soutenu par une
        méditation instrumentale délicate et sereine, une mélodie secrète jouée
        sur un orgue positif et par un violon solo (orgue oublié dans la
        distribution donnée par le livret ! tss tss).
      
    
    
      C'est assez extraordinaire d'entendre autant de musique avec juste un
        texte de 9 versets, quelques cordes, un orgue et une voix de
        contre-ténor. Merci de cette conjugaison entre le génie de
        Vivaldi
        et le talent de
        Jean-Christophe Spinosi, de son ensemble et de
        Philippe jaroussky.
    
    
    *-*-*
    
      Le nombre de Stabat Mater
        composé à l'époque baroque est vertigineux. Pour les détails sur cette
        déploration de la Vierge au pied de la croix, je vous renvoie à
        l'article consacré à l'un des plus célèbres, celui de
        Pergolèse
        (clic).
    
    
      Celui écrit par
        Vivaldi
        est court et beaucoup moins ambitieux que ceux de
        Pergolèse
        ou de
        Scarlatti. À l'ensemble des cordes, un peu de couleur est apporté par un théorbe
        et la partie chantée est destinée à une voix de contralto, celle de
        Marie-Nicole Lemieux
        pour ce CD.
    
    
      La partition me paraît moins imaginative et profonde que celle du
        Nisi Dominus. Attention, nous retrouvons quand même la vivacité de l'écriture de
        Vivaldi. Nous n'écoutons pas une œuvre sombre et lugubre. L'interprétation est
        tout à fait intéressante, mais à ne pas vouloir "opératiser" cet ouvrage
        d'église, la contralto semble restée en retrait, manquer de sensibilité.
        C'est très subjectif...
      
    
    
      Nota : le
        Nisi Dominus
        et le
        Stabat Mater
        sont séparés par un
        duo
        de
        Philippe Jaroussky
        et de
        Marie-Nicole Lemieux
        dans un
        crucifixius.
    
    ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
      Discographie alternative
    
    
      Pour celles ou ceux qui chercheraient à découvrir
        l'intégralité
        de l'œuvre religieuse de
        Vivaldi, le cycle complet de
        Vittorio Negri
        élaboré dans les années 70 est toujours disponibles dans diverses
        éditions. L'oratorio
        Judith Triomphante
        est un incontournable du disque même si la distribution est purement
        féminine (Philips 5/6).
    
    
      Andreas Scholl
        a enregistré le
        Nisi dominus
        et le
        stabat mater, mais sur deux albums différents. Le contre-ténor allemand est
        évidemment très à son aise dans ce répertoire et l'accompagnement est
        très vivant. Un solide concurrent même si je trouve la voix plus "mâle"
        et moins céleste que celle de
        Jaroussky
        (Decca 5/6). Le disque est complété par le
        salve regina, autre œuvre remarquable de
        Vivaldi.
        Andreas Scholl
        a également enregistré le
        Stabat Mater
        avec l'ensemble 415. Il l'emporte assez facilement sur le disque commenté ce jour. Il
        redonne à l'œuvre le style de lamentation imposé par le genre mais en
        évitant tout effet larmoyant. Du grand art (HM – 6/6)
    
    
    
      ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
    
    Vidéos
      La vidéo du CD, dans l'ordre : [00:00] Nisi Dominus - [20:20] Credo
        (Crucifixius) - [23:22] Stabat Mater. Puis un micro documentaire sur
        l'élaboration du
        Nisi Dominus
        et du
        Stabat Mater
        avec interview des interprètes. Comme le demande très justement
        Jean-Christophe Spinosi à propos du sublime verset 4 (cum dederit, extrait Deezer N°2 du
        Nisi Dominus) : "… Est-ce que vous pouvez dire que ça ne vous a rien fait ?"
    
     












 

Magnifique voix de Philippe Jaroussky. Une oeuvre à écouter le soir religieusement après une harassante journée de travail. Encore une chronique net,simple et précise de M'sieu Claude (Parfaite comme d'habitude !). A quand la dernière oeuvre célèbre de Vivaldi? le concerto pour mandoline ?
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