samedi 16 février 2013

MENDELSSOHN : "Le Songe d'une nuit d'été" – Otto Klemperer - par Claude Toon



Il y a peu de temps, j'avais évoqué la composition de la musique de scène "le songe d'une nuit d'été" par Felix Mendelssohn. Nous n'avions écouté que l'ouverture écrite en 1826 par un jeune compositeur précoce de 17 ans. Un petit miracle. En 1843, Mendelssohn écrira les compléments de cette partition dont la célèbre marche nuptiale, morceau de bravoure pour les mariages…
J'avais alors promis de consacrer une chronique au compositeur allemand très connu des mélomanes par son concerto pour violon, concerto que tous les grands virtuoses de l'archet ont enregistré. Il y a pléthore de gravures de la musique dédiée à accompagner la comédie de Shakespeare. J'aurais aimé vous parler de celle de Rafael Kubelik, puisque une chronique avait déjà été publiée à propos d'Otto Klemperer. En effet, lors du centenaire de la mort du compositeur autrichien Gustav Mahler, j'avais profité de  la réédition attendue de ses enregistrements des symphonies par Klemperer avec le Philharmonia pour dresser le portrait du maestro allemand. Hélas, je n'ai rien trouvé sur le net pour illustrer musicalement tout le bien que je pense du disque de Kubelik. Les deux versions sont différentes mais dominent la discographie stéréophonique.
Donc Bienvenue à Mendelssohn et de nouveau à Otto Klemperer. Il y aura moult bonnes raisons d'écrire un article autour d'autres gravures de Kubelik

Felix Mendelssohn



Parmi tous les maîtres du romantisme, Mendelssohn, né en 1809, ne bénéficie pas des feux des projecteurs. On a parfois l'impression que seuls l'octuor pour cordes, le songe d'une nuit d'été, le concerto pour violon et les symphonies 4 & 5 (italienne et écossaise) lui ont permis de ne pas tomber dans l'oubli. Et pourtant…
L'antisémitisme et le conformisme de certains critiques du XIXème siècle semblent s'être alliés pour discréditer cet homme talentueux mais étiqueté : académique, traditionaliste, gosse de riche et blablabla… Les nazis interdiront que l'on joue sa musique.
Cela peut expliquer qu'il reste en retrait de Beethoven ou Chopin dans la culture musicale. Par ailleurs si les deux grands génies cités ont composé une musique qui va immédiatement au cœur et à l'esprit, l'œuvre de Mendelssohn demande un peu plus d'attention pour pénétrer son raffinement, et exige des interprètes très habités. Ce n'est pas une musique qui "tient toute seule". Elle rappelle en cela celle de Mozart.
Dans l'Allemagne de la fin du siècle des lumières, les juifs n'ont pas de droits civiques et n'ont pas accès à certaines charges. Le grand-père de Félix les obtiendra par lettre royale. Puis, la famille se convertira au protestantisme après que le père de Felix Mendelssohn soit devenu banquier. Oui, le jeune homme est issu d'une famille riche, mais c'est par la musique qu'il va entrer dans l'histoire. Sa sœur et lui, chose rare, se révèlent éminemment surdoués. Un premier opéra sera composé par l'enfant de 12 ans. À 16 ans, il a déjà écrit 12 symphonies pour cordes (tout sauf des exercices d'école maladroits) et le magnifique octuor pour cordes qui aura sa chronique… À cela, il faut ajouter 5 concertos de jeunesse ! Sa précocité rappelle celle de Mozart.
Felix est un hyperactif, un voyageur et un chercheur. Sa formation dépasse largement le domaine musical. Il suit des cours de zoologie, de droit et même de philosophie avec Hegel. De nos jours on dirait : "c'est une grosse tête" ! Il semblerait que le jeune compositeur soit orgueilleux et d'humeur chagrine, un tempérament que ne reflètent pas ses compositions aux multiples facettes.

Si nous connaissons de nos jours la Passion selon Saint-Matthieu de Bach, c'est grâce au Mendelssohn chef d'orchestre qui redécouvre la partition de ce monument et en donne une reconstitution à Leipzig en 1841. (Je conseille pour les curieux le double CD de Christoph Spering qui a ressuscité pour le disque cet évènement.) La remarque s'applique aussi pour la 9ème symphonie "La Grande" de Schubert et les oratorios de Haendel comme le Messie ou Solomon. Mendelssohn mettra à profit cette expérience dans les deux grands oratorios écrits de sa plume : Paulus et Elias inspirés de thèmes bibliques.
Mendelssohn est également un grand pianiste à qui l'on doit les célèbres Romances sans Paroles. Sa musique de chambre est d'importance : trios, quatuors et quintettes. Même si elle n'atteint pas la force sidérante de celle de Beethoven ou de Schubert, elle marque le genre et dispose d'une belle discographie. Je pense notamment au dernier quatuor, une forme de requiem pour Fanny sa sœur tant aimée qui meurt en 1847, à 42 ans, une épreuve dont le compositeur plus jeune de 4 ans ne se remettra jamais.
Et puis enfin, les concertos de la maturité, dont celui pour violon écrit en 1844, et les cinq symphonies, des œuvres majeures dont la seconde avec Chœur montrent l'engagement profondément luthérien du compositeur.
Moderniste, tant dans son usage du contrepoint (donc pas du tout académique quoiqu'en pensent certains), que par son mode de vie artistique (voyages innombrables tant en Europe qu'en Angleterre), Mendelssohn est bien un précurseur. Sa fortune lui permet de se dispenser d'un "protecteur" et d'échapper à "la corvée" des commandes. Il a ainsi apporté à la musique la redécouverte du patrimoine baroque et de nouveaux styles d'écriture faisant appel aux dissonances, explosant les formes (Choral final de la 5ème symphonie). Mendelssohn assoit définitivement la musique dans le romantisme et dans la continuité de Beethoven (voir article symphonie "héroïque"). Le chagrin que provoque la disparition de sa sœur lui sera fatal. Une suite d'attaques l'entraîne vers la tombe à seulement 38 ans, fin 1847.

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Otto Klemperer



Les mélomanes qui aiment le témoignage discographique légué par ce chef vont encore être déçus que je n'aborde le personnage que dans le contexte du jour. La vie de cet homme est incroyable : un géant de deux mètres qui connut Mahler, éclata de rire au nez de Goebbels, et donc franchit l'Atlantique, survécu à une tumeur du cerveau dans les années de guerre et à plusieurs infarctus, pour diriger jusqu'à son dernier souffle. Un tel homme mérite une chronique pour lui-même avec des exemples musicaux divers. Il y a trop d'anecdotes à raconter pour cerner ce "dictateur" à l'humour acerbe qui n'obéissait qu'à Dieu et à lui-même.
J'ai déjà parlé du Philharmonia Orchestra de Londres, un orchestre de studio fondé en 1945 par Walter Legge pour alimenter par le nec plus ultra l'industrie nouvelle du microsillon. Furtwängler pour débuter, puis Herbert von Karajan de 1946 à 1955 vont essuyer brillamment les plâtres des premières années, puis Walter Legge, en 1955, décide de nommer Otto Klemperer malgré le déclin qu'a connu le maestro entre l'exil aux US et ses problèmes de santé (le chef, hémiplégique, a du mal à s'exprimer – notamment à tonner contre les musiciens qui ne le suivent pas – et à batte la mesure). Il dirige assis. La symbiose entre le vieux maître et l'orchestre sera telle qu'en 1959, il est nommé directeur à vie !
Même si le Philharmonia est dissout en 1964, il renaît immédiatement sous le nom de New Philharmonia et Klemperer va poursuivre son travail jusqu'à sa disparition en 1973, à l'âge inouï de 88 ans pour un homme aussi usé par la maladie. L'enregistrement légendaire du Songe d'une nuit d'été date de 1961, l'âge d'or de cette épopée avec EMI. On n'attendait pas Klemperer, le sévère commandeur, dans cette œuvre pleine de fantaisie et d'humour, c'était bien mal le connaître…

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Le songe d'une nuit d'été


Le Songe d’une nuit d’été est la compilation de deux œuvres écrites à 17 ans d'intervalle. L'ouverture, une pièce maîtresse de l'ensemble a été écrite en 1823 et porte le N° d'opus 21. Mendelssohn n'a que 17 ans et a composé sans le savoir un poème symphonique de 13 minutes qui porte déjà la marque du compositeur : l'imagination mélodique et surtout le génie d'orchestrateur que peu de musiciens hormis Berlioz pourront revendiquer au XIXème siècle ! En 1843, bien qu'harassé par ses charges de chef d'orchestre du Gewandhaus de Leipzig et de directeur du conservatoire de la ville et de la Prusse, Mendelssohn acceptera la commande d'une musique de scène plus complète destinée à accompagner la pièce de Shakespeare lors de ses représentations. Cette partition additionnelle prendra le N° d'opus 61.
L'ensemble comporte ainsi 11 pièces dont 2 font intervenir la voix (soprano et alto) et même un chœur. L'orchestre est très étendu. Mendelssohn, comme Berlioz, recherche des sonorités nouvelles pour l'orchestre qui reste à cette époque très classique (2/2/2/2, cors, trompettes, (trombones) et timbales). Il ajoute ainsi un ophicléide qui est l'ancêtre du Tuba basse, un triangle et des cymbales. Il va également recourir à une division de chaque groupe des cordes, technique permettant d'obtenir des sonorités plus étranges par le jeu d'accords dissonants dans une même unité de timbre.
1 – Ouverture : Ah ! quelle féérie, fantaisie et magie du son. Certes d'un jeune romantique de 17 ans qui nous avait déjà enchantés avec la verve et l'allégresse de son octuor, on pouvait espérer de la légèreté et du charme mystérieux. L'auditeur est comblé. Comme nombre des pièces de Shakespeare, l'histoire est alambiquée et met en scène un grand nombre de personnages dans une intrigue qui se déroule dans une Grèce mythologique. Deux couples  de jeunes amants connaissent des aventures rocambolesques et rencontrent dans une forêt des personnages fantastiques, des fées et autres esprits… Il y a un petit air d'Alice au Pays des merveilles dans le climat de cette comédie même si le sujet est totalement différent…
Quatre premières mesures de quatre temps, quatre accords aux bois donnent le ton du mystère. C'est d'une simplicité fantastique : des tonalités nocturnes, la lumière diffuse d'une nuit étoilée. [21"] Mesure 5, les cordes aigües se lancent dans une danse folle et aérienne. Mendelssohn nous plonge dans un conte. Les elfes sautillent, les fées voltigent dans les ramures à la pâleur d'un clair de lune. Il y a une réjouissance générale dans ce passage. La structure du morceau est en quatre parties dans lesquelles les accords initiaux et le tourbillon des cordes sont repris comme leitmotive. Klemperer manipule comme autant de marionnettes tous ces éléments-personnages. [1'12] On dort peu dans cette forêt à en croire la vigoureuse et cuivrée procession qui surgit des futaies.  Le motif de marche que l'on retrouvera souvent s'ajoute et débouche sur une mélodie ludique et concertante. Le vieux maestro avec un tempo rigoureux et un staccato d'une précision d'horloge détaille une à une toutes les trouvailles de poésie et d'orchestration, mettant en avant l'espièglerie du propos [5'38]. [6'48] Mendelssohn reprend l'introduction en faisant intervenir la voix grave du tuba. La musique traverse à l'infinie des variations sombres ou gaies pour bien montrer que la pièce de théâtre chevauchera entre des émotions et situations aussi variées que cocasses. Si cette version de 50 ans garde son rang, c'est incontestablement grâce à la délicate parure instrumentale offerte par le vieux maître qui a su garder son âme d'enfant et son sens de l'humour décalé. (D'origine juive, Klemperer avait la réputation d'un humour facétieux…)
2 – Scherzo : Il conclut la fin du premier acte. Bien qu'écrit 17 ans plus tard, la transition est parfaite. C'est une danse vertigineuse de drôlerie qui se termine par un humoristique solo de flûte d'une virtuosité exceptionnelle pour un musicien du rang à cette époque. Mais je vous ai dit que Mendelssohn était un novateur ! La courte marche des fées (3) qui suit le Scherzo est de la même verve, là encore Klemperer fait preuve d'une alacrité inouïe dans ce passage.
4 – Air "You spotted snakes…" : Mendelssohn fait dialoguer malicieusement deux elfes, rôles tenus dans l'enregistrement par deux divas souvent complices de Klemperer : Heather Harper, soprano, et Janet Baker, alto. Introduit par un thème drolatique de la clarinette, ce magnifique duo se veut une berceuse, avec un écrin orchestral que Klemperer distille comme une badinerie sans jamais masquer le moindre détail, mais également sans couvrir les voix des solistes et du chœur qui reste à sa place. La clarinette intervient de nouveau pour clore cette chanson. La clarinette est la vedette orchestrale de cette partie. Ce duo inspirera bien des successeurs de Mendelssohn, de Wagner à Gounod. Merveilleux.
5-6 – Intermezzo et Nocturne : L'image d'un Mendelssohn puritain a encore la peau dure. On peut douter de l'esprit rigoriste du compositeur en écoutant le réjouissant intermezzo. Quant au puritanisme, le nocturne qui suit, le contredit totalement. Cette "musique de nuit" est une page magnifique et sensuelle. Dominé par une mélopée des cors, l'orchestre enlace nos amants dans de longues phrases langoureuses aux cordes. L'orchestration est chatoyante. Chaque instrument aura son petit rôle dans ce chant à la fois hypnotique et érotisant. Klemperer nous entraîne dans cette scène intimiste avec une clarté et une précision gourmande et secrète.
7-8 - Marches nuptiale et funèbre : La marche nuptiale est le chausse-trappe idéal des chefs hédonistes. Cette marche ne doit en aucun cas se montrer royale et pompeuse, c'est une noce, que diable ! Usé jusqu'à la corde auprès des oreilles du répertoire grand public, ce passage trouve en Klemperer une rythmique et un staccato sans mauvais goût. Car il faut bien le dire, cette marche intervenant directement après le sublime nocturne n'est pas de la meilleure veine. Mais bon c'est tellement connu que ça passe joyeusement. La marche funèbre est très courte et n'a qu'une fonction de simple enchaînement dans le déroulement de la pièce.
9-10 - Danse et Final : Klemperer dirige une danse des clowns (bergamasque) virile et echevelée. Dans le Final, on retrouve nos solistes et notre chœur malicieux. Tous les motifs musicaux précédents sont repris pour assurer une cohérence totale à la partition lorsqu'elle est jouée en concert. La musique de scène se termine par d'élégantes et longues phrases aux cordes et enfin, logiquement et da capo, par les quatre accords initiaux aux bois… Personnages et créatures de la forêt s'évadent vers d'autres songes.
Nota : EMI a partitionné en 10 plages cette œuvre qui comporte 11 morceaux. Il existe un prologue de quelques mesures entre les deux marches notées 7-8.

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Discographie alternative


Le chef d'origine tchèque Rafael Kubelik a enregistré une version énergisante du Songe d'une nuit d'été en 1964 pour Dgg avec l'Orchestre de la Radio Bavaroise. Les tempos sont vifs, nerveux. Ah on ne s'ennuie pas dans cette forêt. Cette interprétation est un peu l'antithèse de celle de Klemperer. Pour les mélomanes qui estimeraient trop parfait voire prosaïque le disque de Klemperer, cette vision endiablée est pour eux. À noter que, du coup, certains pourraient la trouver frénétique. Dans les deux cas, on est au sommet (Dgg – 1964 – 6/6). Edith Mathis est parfaite mais Ursula Boese n'est pas Janet Baker, c'est un bien petit détail. La prise de son est excellente.
Et, comme le monde est petit, j'ai déniché sur le net un enregistrement de l'ouverture seule réalisé par Kubelik en 1952 pour EMI avec… le Philharmonia. On retrouve la célérité de la direction de l'enregistrement ultérieur chez Dgg.


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Vidéos



L'intégrale de l'enregistrement de Klemperer avec le Philharmonia. J'ai précisé le timing par rapport aux numéros des pièces dans le texte ci-dessus…
[0'] (1) Ouverture -  [13'00"] (2) Scherzo - [18'35"] (3) Marche des fées - [19'56"] (4) Air en duo - [24'44"] (5) Intermezzo
[28'45"] (6) Nocturne - [35'55"] (7) Marche Nuptiale -  [41"02"] (8) Marche Funèbre - [42'08"] (9) Danse des clowns - [44'02"] (10)  Final


3 commentaires:

  1. pat slade16/2/13 18:32

    Je viens de voir une chose que je ne savais pas. Klemperer a composé une symphonie. Ont peut trouver des extraits sur le net. Sinon, j'ai appris beaucoup de choses sur Mendelssohn,déja par sa musique (Ben oui!Je suis toujours resté ancré sur Berlioz !),mais aussi sur l'homme. Je crois que je vais approfondir ma connaissance. Merci M'sieur Claude !

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  2. En effet et cet enregistrement rarissime était en complément du double CD mythique de la 7ème de Mahler avec le Philharmonia. Pendant des années, ces CDs non réédités se négociaient entre 100 et 600€, J'en ai un exemplaire ....

    Franchement, tous les chefs (Furtwängler notamment) ont été tentés par la composition. Intéressant mais bof.... heuuu c'est vraiement pas le même métier. Mendessohn ou Mahler sont vraiment des exceptions......

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  3. bien aimé l'ouverture de Kubelik, ça décoiffe!!

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