vendredi 15 février 2013

BRUCE SPRINGSTEEN "THE WILD, THE INNOCENT & THE E STREET SHUFFLE" (1973) par Luc B.



A la fin des années 60, Bruce Springsteen est essentiellement connu dans son quartier, Asbury Park, New Jersey. Après un premier groupe, THE CASTILLES, il est embauché par les STEEL MILL. Le groupe a été créé par le batteur Vini Lopez,  et compte Danny Federici dans ses rangs, aux claviers. Springsteen en est le guitariste lead, et surtout principal compositeur. Le groupe joue un rhythm'n'blues tirant sur le psychédélique, du Allman's Brother, mâtiné de Greatful Dead, avec des morceaux très long, beaucoup d'improvisations. Gros succès, belle réputation, et une ribambelle de premières parties prestigieuses. Vers 1971, le groupe se mue en DR ZOOM, nouveau groupe, avec cuivres, percus, choristes, dans l'esprit des Mad Dogs de Joe Cocker, que Springsteen adore. Il se voit bien en chef de meute. En réalité, seul le noyau dur du groupe se déplace en concert (la bouffe et les piaules ça coûte cher !). Rebaptisé simplement The Bruce Springsteen band, avec Steve Van Zandt qui les rejoint d'abord à la basse (Gary tallent arrivera peu après), Southside Johnny à l'harmonica et Federici à l'orgue. Puis c'est la rencontre avec Mike Appel, manager, qui décroche un rendez-vous avec John Hammond, le recruteur de la Columbia. Premier disque avec GREETINGS FROM ASBURY PARK où il rassemble des compositions acoustiques, et électriques. Enregistré en trois semaines, le disque séduit les critiques, mais ne se vend qu’à 23 000 exemplaires ! On y trouve des titres comme "Lost in flood" ou "Spirit in the night".

Mais Springsteen fait surtout la gueule car on salue en lui un nouveau Dylan ! Y'a pire comme référence, me direz-vous, mais lui qui était tellement fier de voir son nom imprimé sur une pochette, le voilà déjà catalogué clone de... Non ! Lui c’est lui, l’autre, c’est l’autre ! Va falloir marquer son territoire. Et donc refaire un disque, vite fait, et y intégrer vraiment ce qui le caractérise. Du rock, de l’énergie, du festif, des morceaux à rallonge, bref, ce que les gens connaissent lorsqu'ils viennent le voir sur scène. Springsteen a grandi à Freehold, un quartier de banlieue coincé entre un ghetto noir, les blocs industriels, les communautés irlandaise ou italienne. Voilà le cocktail ! De la musique Noire, de la soul, du funk, des ballades folk-rock, de l'accordéon napolitain. On prend le tout, on secoue, et ça donne THE WILD, THE INNOCENT AND THE E STREET SHUFFLE 

Le groupe est alors composé de (dans l'ordre de la photo) : Clarence Clemons au sax, Springsteen à la guitare, David Sancious au piano, Vini Lopez à la batterie, Danny Federici à l'orgue et accordéon, Garry W. Tallent à la basse. Steve Van Zandt est évincé, parce Columbia se méfiait de son influence sur Springsteen, ne souhaitait pas payer trop de monde à jouer, et Springsteen de son côté n'avait pas besoin de second guitariste. 

Enregistré de mai et septembre 1973, l’album ne contient que 7 chansons, dont 4 titres supérieurs à 7 minutes. Springsteen veut percer, et il a envie de marquer les esprits par des chansons fortes, des cavalcades épuisantes, des titres que l’on croit terminés et qui reprennent de plus belle, que le public soit surpris. Le disque s’ouvre sur « The E Street shuffle », qui s’inspire d’un vieux truc des années 60 « Monkey Time » de Major Lance. Ca commence par une fanfare tristounette, balayée par l’entrée de la guitare funky et un groove enjoué. Les traits de cuivre qui parcourent la chanson sont joués par le E Street Band première mouture. Le pianiste David Sancious souffle dans un sax soprano, le batteur Vini Lopez est au cornet, le bassiste Garry Tallent au tuba, et bien sûr The Big Man au sax. A noter aussi la participation de Richard Blackwell aux percussions (le frère de Liza Blackwell déjà évoquée sur ce blog). Et quand le morceau se finit… le riff reprend... Changement de registre avec « Sandy » , une ballade, chanson sur son ancien quartier, longue complainte mélancolique soulignée par l’accordéon de Danny Federici. La voix est trainante, presque maniérée, mais le crescendo final provoque son petit effet. 

Et puis arrive le premier climax de l’album, « Kitty’s back », un foutoir rythm’n’blues innommable, peuplé de réminiscences jazzy, d’un walk de basse boogie, avec une  longue intro bluezy et plaintive, la rupture de tempo, ou plutôt les ruptures, car le morceau ne cesse de rebondir dans tous les sens, et Danny Federici nous gratifie d’une belle descente d’orgue Hammond. Les versions live de ce titre sont prétextes à de longs chorus, et on en sort lessivé ! On calme le jeu avec « Wild Billy’s circus story » qui comme son titre l’indique parle d’une fête foraine, la basse est jouée au tuba. On retrouve l’esprit du premier album, registre plus intimiste, très écrit, rimes, allitérations, et effets dramatiques sans doute un peu forcés aussi ! Mais il éclaire aussi bien sur ce que jouait Springsteen à cette époque, des chansons très narratives, acoustiques, généralement jouées en début de concert quand le public n'était pas encore éméché. 

Il reste trois morceaux sur la seconde face, de 8, 7 et 10 minutes ! « Incident on 57th street » est une chanson sur la rédemption, grand thème inusable chez les cathos américain (dont Springsteen se revendique, expliquant que lorsqu'on vous a fait tremper là dedans dès le plus jeune âge, on ne s'en dépatouille pas facilement ensuite...) un texte très long, dont il se dégage une réelle force, une souffrance, avec cet orgue église omniprésent, ces chœurs lointains, et ce final à la Télécaster. On est dans la veine lyrique, autre facette du compositeur du futur "Backstreets". Et toujours ces personnages, ces petits héros que balade Springsteen dans ses chansons, ici Spanish Johnny et Puerto Rican Jane. Le morceau se termine sur un piano seul, comme une boite à musique que l’on referme, mais non… 

Pas de pause, on l'a dit, Springsteen veut surprendre et choisit d’enquiller direct sur « Rosalita » un de ces futurs grands morceaux de bravoure. Encore un titre composé pour marquer les esprits (et ça marche !), et les oreilles. Chanson autobiographique sur les déboires d’un jeune musicien et de sa copine…  Sur intro qui fleure bon les mariachis du Spanish Harlem, la grande chevauchée peut commencer. 

Someday we'll look back on this, and it will all seem funny
But now you're sad, your mama's mad
And your papa says he knows that I don't have any money
Tell him this is last chance to get his daughter in a fine romance
Because a record company, Rosie, just gave me big bucks
   
  
  
Un titre enlevé, rigolo, bondissant, un rouleau compresseur au groove implacable, et hymne désormais emblématique lors des rappels. Pour clore l’album, un autre titre-fleuve « New York serenade » arrangé par David Sancious. C’est d’ailleurs le pianiste qui commence, par des cordes de piano grattées, puis des plaqués crépusculaires d’inspiration classique où déboule d’un coup la note bleu, celle qui nous fait basculer dans le bluezy, avant de virer vers une ballade où l’influence de Van Morrison est plus évidente que jamais, puisque le barde irlandais reste un des grands inspirateurs du Springsteen des premières années. Un titre où interviennent des violons, qu’on retrouvera parfois plus tard, notamment sur le « Jungleland ». Et paf, à 5’15, on casse l’ambiance par des claquements de mains, les chœurs, avant de se couler de nouveau dans les violons mélancoliques. Le chant est encore un peu ampoulé, mais j’aime beaucoup ce titre, aux arrangements précieux, rythmée juste par la guitare sèche et des percussions. Interprétée aujourd'hui, live, et débarrassée des tics parfois vieillots, « New York serenade » s'avère une des plus prenantes et plus belles compositions de son auteur.  

THE WILD, THE INNOCENT AND THE E STREET SHUFFLE est un album où se mêle beaucoup d’influences, d’ambiances. Springsteen a semble-t-il voulu y mettre trop de choses. C’est ce que j’aime dans ce disque, ce côté généreux, foutraque, c’est une époque où Springsteen aime à construire de longs morceaux alambiqués, comme le tonitruant « Thundercrack » de 10 minutes enregistré pendant ces mêmes sessions mais absent du disque. Mais la production ne rend sans doute pas justice aux compositions. Le public n’y a pas adhéré. La maison de disque digère mal ce deuxième échec discographique à 6 mois d’intervalle (il en vend guère plus que GREETINGS) d’un type qui pourtant, commence à sérieusement drainer les foules. La Columbia va lui mettre un coup de pression, et pour son troisième et dernier essai avec son distributeur, Springsteen va devoir mettre les bouchées doubles. Un an plus tard, ce sera BORN TO RUN...   

Pour ceux que ça intéresse, Springsteen a joué l'intégralité de cet album en concert (juillet 2009). C'est de l'audio piraté de plutôt bonne qualité :
The wild and the innocent... Live 


Bruce Springsteen  
THE WILD, THE INNOCENT AND THE E STREET SHUFFLE (1973)




 


Et on s'écoute la belle "Rosie" enregistré à Londres en 1975, avec un E Street Band remanié. Oui, je sais, le bonnet est très enervant ! Sans doute un vieux reste quand Springsteen ouvrait pour Bob Marley !!  


2 commentaires:

  1. Euh, y'a pas que le bonnet ... la première photo est pas mal ... souvenirs des vacances au camping d'Hoboken ?

    Si même toi tu mets pas la note maxi, t'imagines un peu ce que j'en pense ...

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  2. Je ne préfère pas... imaginer !

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