samedi 26 janvier 2013

IMPROVVISO – CHRISTINA PLUHAR ou Quand la musique baroque devient Jazzy - par Claude Toon



- Mais… qu'est-ce que vous faites avec un casque anti bruit sur la tête M'sieur Claude…………. M'SIEUUUR CLAUUUDE !!!!!
- Hein… ah oui le casque ? C'est pour ne plus entendre les intégristes et autres puristes du classique ou du jazz hurler aux loups…
- Ô M'sieur Claude, je crois que vous partez de nouveau en croisade à propos d'un CD original...
- Oui ma petite Sonia, des airs baroques arrangés et improvisés dans un esprit Jazzy, avec une clarinette notamment, un instrument inventé vers 1770…
- Mais il doit y avoir des amateurs, ne serait-ce que vous ?
- Oui, ils sont nombreux à aimer ce mélange des genres, il faut dire que le résultat est jubilatoire à défaut d'être complètement abouti...
- Chic ! Et bien sûr, vous allez nous donner des extraits…
Il y a deux ans, j'avais commis un pamphlet en forme de comparatif sur le saccage orchestré par André Rieu du répertoire classique (clic). Sa démarche mercantile (150 € la place) trahit la musique pour satisfaire un public peu initié et peu regardant ; pauvre public. J'entends par trahir : amputer et désincarner les partitions, faire chavirer l'évocation et l'émotion voulues par un compositeur vers un spectacle de foire criard et de mauvais goût. Le pompon était son "adaptation" du Boléro de Ravel… Son public est à tout jamais perdu pour apprécier la musique dans sa quintessence, et pas uniquement celle dite "classique"…
L'adaptation de la musique classique n'est pas nouvelle. Le pire (Rondo Veneziano qui ajoute une batterie asthmatique – Vincent et Luc vont faire un malaise - dans Mozart, Beethoven ou Vivaldi !!!) côtoie le meilleur (la transcription des variations Goldberg de Bach par l'octuor de Paris, ou Klaus Nomi transfigurant l'air du froid de Purcell avec sa voix stupéfiante)… Tiens, on se fait un p'ti ersatz Beethoven… A gauche le grand Otto klemperer en 1957 et à droite les marioles de (Rondo Veneziano dans l'ouverture de Coriolan, très dramatique, enfin à ma connaissance... 😅

offert par Radio – Daube 666 Mhz

Trêve de balivernes, je vous propose de passer un moment avec Christina Pluhar, musicienne autrichienne passionnée de baroque. Elle a eu cette idée insolite mais amusante d'improviser avec talent sur des airs baroques du XVIIème siècle, en dirigeant son orchestre auquel se sont joints deux chanteurs et un clarinettiste de jazz. 


Christina Pluhar et ses amis


Bien que née à Graz en Autriche en 1965, Christina Pluhar vit à Paris depuis 1992, ce qui explique que l'album All’Improvviso ait été enregistré dans une Chapelle de la Rue des Plantes dans le 14ème arrondissement. Ses études à Graz lui permettent à la fois de travailler les musiques qu'elle chérit le plus : celle de la Renaissance et du Baroque et, en toute logique, de maîtriser les instruments phares de l'époque : la harpe, le luth et son grand frère : le théorbe.
Sa carrière la conduit à s'intégrer aux ensembles baroques les plus prestigieux : Hespèrion XXI de Jordi Savall, Il Giardino Armonico, Les Musiciens du Louvre de Marc Minkowski, Elyma de Gabriel Garrido et j'en passe ! En 2000, elle fonde son propre orchestre L’Arpeggiata. Les enregistrements suivent rapidement et les récompenses pleuvent. Bien sûr, elle enseigne, à La Haye, pour être plus précis.
Christina Pluhar a réalisé une discographie riche d'une bonne dizaine d'albums qui ont rencontré un franc succès par la vitalité colorée qui s'en dégage. Ainsi on lui doit la renaissance de Rappresentatione di Anima et di Corpo de Emilio de Cavalieri, un oratorio datant de 1600. Les mélomanes et critiques sont plus réservés (j'en fais partie) sur ses "Vêpres de la Vierge" de Monteverdi menées au pas de charge. Mais au moins c'est nouveau…
Mais pour Christina, le terme "musique vivante" prend un vrai sens, puisque nous la découvrons aujourd'hui apportant la féérie dans l'improvisation jazzy et endiablée à partir de morceaux baroques ... Voyons ses complices pour cette insolite et joyeuse aventure :
Le clarinettiste et saxophoniste de jazz Gianluigi Trovesi né à Bergame en 1944 maîtrise tout instrument à anche simple et adore improviser, une constante dans l'univers du jazz. Il compose également.
On va s'interroger sur la présence d'une clarinette dans une musique de l'époque Louis XIII & XIV. Il existe 13 types de clarinettes de taille croissante, de la sopranino à la contrebasse, elles couvrent ensembles toute la tessiture d'un orchestre. À l'époque baroque, les instruments étaient moins standardisés que de nos jours. Il y avait des "chalumeaux" et tout un tas d'instruments bizarres et locaux dont des collections magnifiques sont visibles au musée de la cité de la musique à Paris… Vers 1970 Claudio Scimone avait enregistré les concertos pour mandolines de Vivaldi en remplaçant des "salmo" disparus de nos jours pas des clarinettes basses. Une clarinette n'aura donc rien d'anachronique dans ces improvisations !
Le ténor napolitain Marco Beasley, né en 1957, est un spécialiste du chant baroque. Quant à Lucilla Galeazzi, ce n'est pas une diva d'opéra, mais une chanteuse familière du répertoire populaire italien de toutes les époques. Elle prête aussi sa belle voix à des groupes de jazz.
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All' Improviso


A l'opposé de mes chroniques habituelles, je ne vais rien analyser de manière musicologique. Nous n'allons pas écouter une musique interprétée à partir d'une partition détaillée. Et puis comme le montre la photo, il y a un climat de fête et de danse dans cet album et dans un autre CD qui a été gravé sur le même concept. Aucune métaphysique donc ! Non, une ambiance festive où la musique tourbillonne. Cette photo montre même une danseuse, l'énergie du spectacle…
J'ai fait écouter des extraits à Rockin' et à notre amie Cat Foirien. Dans leurs réactions, on note les mots clés :
Médiéval : et oui nous quittons la renaissance, une musique hors des églises et des salons trop guindés qui seront l'apanage du siècle des lumières puis du Romantisme. Par moment, même si des noms de compositeurs connus des amateurs de baroque apparaissent, il y a comme une évocation du monde des troubadours, des chants et danses de tavernes.

Folk : synonyme de musique populaire, traditionnelle, attachée à un terroir à une culture… D'ailleurs, ce côté immédiat et joyeux, pas du tout intello, n'a pas trompé les clients du Chat qui Fume qui, pourtant plutôt "addicts" au blues, ne sont pas partis en courant, au contraire…
En fait, la structure des morceaux à l'époque repose sur une partie écrite, "les basses obstinées" (l'ostinato), sur lesquelles les interprètes improvisaient à leur guise. Ces "basses obstinées" font appel le plus souvent à des rythmes de danse. Un plus du livret du CD : nous expliquer l'origine de ces danses que l'on rencontrait dans toute l'Europe.

Qui n'a pas entendu ou lu des termes comme Tarentelle, Chaconne, Bergamasque, etc. ? D'ailleurs je vous propose immédiatement quelques morceaux d'un autre CD réalisé par les mêmes artistes, (mais sans la clarinette). On commence par "Tarantella del Gargano" (plage 8), écoutez ensuite la la trépidante "Pizzicarella mia "(plage 9), et pour finir la une tarentelle "calabraise" (plage 11).

1.(00:00) Voglio Una Casa

2.(03:05) Folia

3.(04:52) Ciaccona I

4.(08:46) Romanesca

5.(11:12) Turlurù (Bergamasca)


6.(15:28) Folia Passeggiata Sopra D

7.(18:08) Ciaccona II

8.(19:32) Ninna Nanna Sopra La Romanesca

9.(22:18) Chiacona

10.(27:11) Se Laura Spira

11.(30:38) Toccata

12.(33:01) Kapsberger

13.(34:44) Folias

14.(38:30) Españoletas

15.(43:00) Cantata Sopra Il Passacaglio. Diatonica

Les numéros de mes morceaux préférés sont ceux des plages sur le CD.
3 – Ciaconna : instrumental inspiré d'un air de Cazzati.
10 – Se laura spira : un air parmi les plus connus, d'après Frescobaldi avec chant et clarinette. "Si la brise soupire, la rose fraîche sourit…".
14 - Espanoletas : de l'espagnol Lucas Ruiz De Ribayaz avec clarinette et une percussion très ibérique… (Merci pour la vidéo, mais l'illustration "japonaise" est "zarbie").



Les morceaux de cet autre album "Antidotum Tarantulae" sont encore très proches d'un guilleret passé. J'ai donc choisi de privilégier l'album All' Improviso encore plus fou, et tourné vers le présent, notamment avec la participation de la clarinette de Gianluigi Trovesi qui nous transporte dans un monde modernisé pour cette musique vieille de plus de 300 ans.
Et puis, il me faut insister, les "bases" mélodiques support des improvisations sont de la plume de musiciens très estimés à leur époque et encore de nos jours. Girolamo Frescobaldi (1583-1643), contemporain de Claudio Monteverdi, aura une influence qui se prolongera jusqu'à Bach et à la fin du XVIIème siècle. Il est toujours une référence pour les débuts de l'ère baroque et les enregistrements de ses œuvres sont nombreux. On trouve aussi des airs de Maurizio Cazzati de Mantoue, d'autres compositeurs italiens comme Bertali mais aussi des espagnols comme Santiago de Murcia (contemporain de Bach) et Lucas Ruiz de Ribayaz qui travailla beaucoup sur les règles de l'ornementation.
Je ne vais pas plus loin, mais cette liste montre la richesse des styles rencontrés dans le disque, de Naples à l'Espagne en passant par l'étrangeté du jeu du théorbe et du luth de Kapsberger, un peu allemand, beaucoup italien, un musicien qui fait toujours le bonheur des joueurs de luth.

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