samedi 19 janvier 2013

ALFREDO CASELLA : Symphonie n° 3 – par Claude Toon



- C'est la fontaine de Trevi sur la jaquette criarde M'sieur Claude ? Ca-se-lla, tiens encore l'Italie, un inconnu, baroque ou moderne ?
- Disons... début XXème siècle Sonia, assez injustement oublié…
- Vous devez me trouver ignare M'sieur Claude ?
- Ha ha, pas du tout chère Sonia, il y a un an je n'en avais jamais entendu parler. Naxos a réalisé les premiers enregistrements et fait de la pub'…
- Si je suis bien vos articles, il est un peu le contemporain de Bela Bartók voire Ottorino Respighi ?
- Absolument mon petit, mais moins moderniste, un admirateur, presque "imitateur" de Mahler, une musique énergisante…
- Ça tombe bien, de l'énergie en cette saison glaciale…


Alfredo Casella


Alfredo Casella fait partie de ce groupe de compositeurs italiens nés à la fin du XIXème siècle ayant peu écrit pour la voix. Il est évident que la suprématie du Bel Canto et des opéras géniaux de Puccini et Verdi, musiciens des générations précédentes, a éclipsé en Italie les autres genres que sont la musique symphonique, le piano ou la musique de chambre. Si Ottorino Respighi, comme nous l'avions vu dans la chronique consacrée à son triptyque romain, a connu une certaine reconnaissance dans les salles de concert et au disque, ce n'est pas du tout le cas de Casella.
Alfredo Casella voit le jour à Turin en 1883. Son grand père violoncelliste était un ami de Paganini. Il débute le piano avec sa mère. Il est admis au conservatoire de Paris en 1896 et étudie la composition avec Gabriel Fauré. Il partage l'enseignement avec Enesco, Ravel et rencontre des génies comme Stravinski, de Falla, Debussy… puis Richard Strauss et surtout Gustav Mahler qui vont influencer le style postromantique du jeune compositeur. Dès le début de sa carrière, Casella défend la musique de Mahler en France.
La première Guerre Mondiale éclate et le ramène en Italie. Il est devenu un pianiste virtuose et compose.
Après le conflit mondial, l'Italie va s'enfoncer dans le fascisme. Deux personnalités sont politiquement à l'origine de cette tragédie : l'écrivain Gabriele d'Annunzio et Mussolini. Casella ne n'intéresse qu'à l'excentrique écrivain et fonde avec lui et Francesco Malipiero une société de promotion de la musique italienne. De cette initiative et avec l'aide du poète Ezra Pound renaîtra Vivaldi alors complètement oublié.
Cette collaboration avec d'Annunzio sera fatale à la postérité de Casella. Gabriele d'Annunzio reste un sujet de controverse. Rival extravagant et idéologique de Mussolini, son nationalisme et son irrédentisme (équivalent italien du pangermanisme) le conduit à nourrir la doctrine fasciste. Pourtant le bonhomme tourne le dos à Mussolini dès 1923, déteste Hitler et s'oppose au rapprochement dans l'Axe avec l'Allemagne. De la collaboration artistique avec le personnage sulfureux, Casella restera étiqueté fasciste, alors qu'il n'a fait que traverser comme beaucoup la tourmente en poursuivant son travail de compositeur. Ainsi, depuis sa mort en 1947, le compositeur reste méprisé pour son manque d'engagement contre le fascisme italien et son relatif désintérêt envers les formes plus modernes comme le "tout sérialisme" en vogue après-guerre. C'est dommage et peu justifié !
Son œuvre s'oriente vers tous les genres : concertos, un opéra, des pièces pour piano. Ce sont ses trois symphonies qui impressionnent par leur ambition. La première est écrite de 1905 à 1908. La troisième sera créée en 1940 à Chicago. Naxos a entrepris d'enregistrer en première mondiale le cycle symphonique. Pour la 3ème très "mahlérienne", il existait déjà un enregistrement chez CPO que je proposerai en vidéo. Son ballet La Giara écrit en 1924 sur un argument de Pirandello sera son plus grand succès.
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Naxos et Francesco La Vecchia


Dans les chroniques "classiques", les labels les plus fréquemment rencontrés sont Dgg, EMI, DECCA et parfois Philips quand celui-ci daigne éditer ou rééditer son patrimoine légendaire. Les disques de ces labels sont des références mais coûtent chers lors de leur parution. C'est un plaisir de commenter aujourd'hui un CD Naxos. Cette firme anglaise s'est faite une belle réputation depuis des années à innover, explorer des univers musicaux oubliés, bref prendre des risques. Et important, chaque album coûte 6,95 € ! Ah oui, bien entendu, ce ne sont pas les stars du classique qui y gravent leurs enregistrements, mais les bonnes surprises sont fréquentes de la part d'artistes motivés. Un seul regret, des livrets uniquement en anglais.
Casella n'avait jamais connu l'honneur du studio. Naxos depuis quelques années a confié au chef italien Francesco La Vecchia l'enregistrement des œuvres symphoniques avec son orchestre symphonique de Rome. Ce chef né en 1954 n'est pas un second couteau du pupitre. En parallèle d'une carrière internationale commencé à… 9 ans, il est très actif pour créer de nouveaux ensembles comme en 2001 le Respighi Youth Orchestra. Il suit ainsi les traces d'un Claudio Abbado, lui aussi fondateur et animateur d'orchestres de jeunes musiciens. Il a été nommé en 2009 premier chef invité de l'orchestre symphonique de Berlin. Ce chef, également pédagogue, se passionne pour la musique italienne, Casella bien sûr mais également Guseppe Martucci ou encore Franco Ferrara. Il dirige l'Orchestra Symphonica di Roma depuis 2002.

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Symphonie N° 3 de Casella


En complément de la 3ème symphonie, le CD propose l'Élégie héroïque écrite en 1916, une œuvre de déploration sur les horreurs de la guerre et ses victimes. Cette précision prend son sens en regard de la thématique de l'album puisque la 3ème symphonie sera écrite et créée alors que le second conflit mondial a déjà commencé, que l'Italie a été se perdre en Ethiopie.
La symphonie N°3 (qui suit de trois décennies la seconde) a été commandée en 1939 par Frederick Stock pour le cinquantenaire de l'orchestre Symphonique de Chicago. Stock dirige l'orchestre depuis 35 ans. Il quittera son poste en 1942.
De prime abord, on pourrait penser que Casella n'a pas un style personnel. À l'écoute on pense à Mahler bien entendu, mais aussi à Stravinsky pour la rythmique et même à Chostakovitch ou Prokofiev pour l'orchestration. Qu'en conclure ? Casella est-il un habile spécialiste du plagiat ? Non, Casella s'inscrit de manière très cohérente à la croisée des chemins des nouveaux styles de composition qui agitent le début du XXème siècle musical. Il est préférable de souscrire à de telles influences que de se complaire dans des innovations vaines à cent lieues des attentes des mélomanes.
À l'instar des grands noms cités, Casella adopte une orchestration riche, le nombre de cuivres et la variété des percussions ne sont plus ceux de l'ère romantique.
1 – Allegro mosso : un solo de hautbois soutenu par des bois introduit la symphonie. Un air élégiaque repris par les cordes, une atmosphère étrange qui évolue rapidement vers le dramatisme à travers un choral de cuivres. La musique ne se développe pas, elle s'épanouit comme les pétales d'une grande fleur aux couleurs sombres. La thématique n'est pas clairement définie et le discours semble échapper à la forme sonate usuelle : ses expositions et reprises. Nous n'écoutons pas une musique cadrée dans les structures du passé romantique. Il y a une force souterraine et pathétique qui se dégage de ce flux sonore. La mélodie est extrêmement vivante, les climats alternent sans relâche, l'orchestration est riche mais jamais boursouflée. Y a-t-il un programme ou une obsession sous-jacente pour articuler la conception ? A priori non, est-ce le drame (la guerre ?) qui semble guider l'inspiration par l'opposition de blocs sonores violents avec des phrases mélancoliques ? On pourrait espérer plus de clarté de la part de l'orchestre symphonique de Rome, mais son chef équilibre bien les motifs qui s'entrechoquent. Dans cette symphonie on retrouve les interrogations des compositeurs de cette époque troublée (comme dans la 4ème de Ralph Vaughan-Williams). Quelques notes ironiques terminent le mouvement.
2 – Andante molto moderato, quasi adagio : La clarinette basse, quelques bois et un solo frémissant de violon annoncent un long et sublime adagio. Par vagues poétiques et dans l'ambiguïté d'une volupté qui se veut mélancolique, la musique nous enveloppe. Certains évoquent Mahler dans cette longue complainte. Mouais… les immenses adagios de Mahler de ses dernières symphonies sont souvent funèbres, obsédés par le trépas. Certes dans la partie centrale, on retrouve cette façon de scander la mélodie propre au compositeur autrichien, mais aussi à Chostakovitch. Cela dit, il n'y a pas d'emprunt direct. Et je pense bien connaître l'intégralité des cycles symphoniques de ces deux immenses compositeurs. Le style Casella n'est pas très idiomatique en lui-même. On ne l'identifie pas immédiatement, a contrario de Mahler, mais le chant orchestral est très personnel. Quelques rayons de soleil percent de-ci de-là et conduisent le mouvement vers une conclusion sereine.
3 – Scherzo : Ah là, par contre, c'est bien net ! On a vraiment l'impression d'écouter un mixe des scherzos et rondos des 5ème et 6ème symphonies de Mahler réorchestrés par Chostakovitch. Un thème violent, inexorable, rythmé aux cordes, avec des trilles démoniaques aux cuivres, nous fait songer immanquablement aux symphonies du compositeur russe. De cette musique âpre, guillerette et ironique, jaillit une marche goguenarde de soldats de plomb. Dans le trio central, la présence du piano comme instrument percussif se situe en droite ligne des inventions orchestrales de Chostakovitch ou d'une illustre cinquième de Prokofiev à venir (1945). Tout le mouvement, très alerte, conserve de bout en bout son esprit sarcastique. Un grand moment de délice orchestral.
4 – Rondo Finale : Après les sourdes angoisses que l'on peut discerner dans les mouvements initiaux, Casella offre une conclusion jubilatoire. Une musique brillante qui semble partir dans tous les sens lors d'une écoute peu attentive. Nous traversons ici un paysage sonore et festif que nous offraient déjà Stravinski dans Petrouchka, ou encore Mahler dans le final loufoque de sa 7ème symphonie. Casella professe un espoir et une joie triviale dans un déluge symphonique très coloré et rythmé. La coda [9'25"] nous ramène dans un premier temps vers quelques affres, vers des réminiscences de l'adagio. Changement brutal de climat : les ultimes mesures achèvent cette belle et grande symphonie (45') par une radieuse furie orchestrale de fête villageoise, de libération... (Petite parenté avec le final de la 5ème symphonie de Mahler, le maître tant admiré.)
L'enregistrement de Francesco La Vecchia a le mérite de nous faire découvrir l'ouvrage. On peut cependant rêver d'une version avec un orchestre plus discipliné sous la baguette d'un maestro confirmé. L'Orchestre symphonique de Chicago dirigé par son directeur actuel, l'italien Riccardo Mutti, pourrait exacerber les tensions dramatiques de cette œuvre. On peut rêver… Par ailleurs, la prise de son n'est pas très aérée, c'est un peu le problème Naxos. On ne peut pas tout avoir et franchement ce disque a beaucoup d'atouts…
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Discographie alternative et diverse


Pour la troisième symphonie, il existe un enregistrement édité par le label CPO. L'orchestre de la Radio de Cologne est dirigé par Alun Francis. Il est très bon mais difficile à trouver. C'est précisément parce qu'il était disponible sur YouTube que j'ai entrepris cette chronique. Parler de l'inconnu sans proposer une écoute simultanée me paraît un peu vain…
Les deux autres symphonies ont également été enregistrées par Francesco La Vecchia chez Naxos. Elles pourront paraître plus originales bien qu'antérieures à celle commentée aujourd'hui. Le cycle est d'une constante qualité. Il existe également deux autres albums de concertos et pièces symphoniques diverses.

Vidéo



Le son de cette vidéo est excellent, mais je conseille d'utiliser un casque. Au-delà de la bonne technique sonore, je trouve la direction d'Alun Francis très dynamique et claire, une concurrence redoutable face au trait plus élégiaque de Francesco La Vecchia.
Ne me demandez absolument pas pourquoi cette dame plantureuse (genre odalisque) sert d'illustration… Je n'en sais fichtre rien…
[0'] Allegro mosso  - [10'55"] Andante molto moderato, quasi adagio  - [24'06"] Scherzo -  [31'40"] Rondo Finale


1 commentaire:

  1. pat slade22/1/13 11:43

    Encore une rencontre, et j'adore, tu dit "Imitateur" de Malher ? Je sens du César Franck dans ce que j'entend, mais il faudrait que j'approfondisse ma connaissance de cette auteur trop peut connu et aussi trop peut reconnu

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