dimanche 7 octobre 2012

BILLIE HOLIDAY "STRANGE FRUIT" par Luc B.



A l’origine de STRANGE FRUIT il y a Abel Meeropol, professeur de littérature, qui sous le pseudo Lewis Allan, écrivait textes, chansons, poèmes. Politiquement progressiste, ancré à gauche, il a eu quelques soucis avec le Maccarthysme. C’est d’ailleurs lui qui a adopté les enfants des époux Rosenberg après leur exécution. Pour le moment, nous sommes en 1939, à New York, au Café Society, un des rares clubs de jazz acceptant un public mixte (comprenez par-là, public blanc et public noir... je rappelle que Billie Holiday avait dû quitter l’orchestre d'Artie Shaw, parce qu'une chanteuse noire devant des musiciens blancs, ça ne plaisait pas beaucoup... et même célèbre, plus tard, dans certains théâtres, elle devait prendre un monte charge, et non l'ascenseur, pour éviter de croiser le public blanc-bec). Au Café Society, Billie Holiday s’y produit donc chaque soir. Meeropol lui soumet une nouvelle chanson, qu’elle accepte de mettre à son répertoire sur les conseils de son entourage, impressionné par le texte, qui évoquait le lynchage des Noirs. Billie Holiday n’en aurait compris le sens que plus tard. STRANGE FRUIT est devenu indissociable du répertoire de la chanteuse. 
Ce n’est pas un blues, encore moins du Jazz, juste une chanson. Le succès est foudroyant, surtout dans les cercles littéraires, gauchistes. La presse de gauche se fait écho du phénomène. Le public réclame la chanson, l'actrice Lana Turner en était fan. Mais Billie Holiday ne l’interprète que lorsque les conditions d’écoute sont réunies, et souvent émue aux larmes. En vieillissant, la voix de plus en plus usée par l’alcool et l’héroïne, elle donne une tonalité chaque fois plus tragique, sans jamais tomber dans le pathos.

COLUMBIA RECORDS, maison de disques de Billie Holiday, refuse de l’enregistrer. La chanteuse se rabat sur une petite compagnie indépendante et engagée : COMMODORE. Le 20 avril 1939, elle grave STRANGE FRUIT et trois autres titres. En tout, elle en enregistrera cinq autres versions, en club, en studio (1956) et même pour la télévision (1959). La chanson reste censurée à la radio, moins pour des problèmes politiques (quoique, dans le Sud…) que commerciaux : une chanson lugubre faisaient fuir les annonceurs. Beaucoup de clubs de Jazz étaient sous surveillance du FBI (pour diverses raisons) et craignaient une fermeture s’ils accueillaient Billie Holiday et sa chanson sulfureuse. Billie Holiday, contractuellement, acceptait de se produire dans un club à la condition d’y chanter ce qu’elle voulait. Dans les années 60, la chanson devient l’étendard du Mouvement des Droits Civiques. 

Il n’est donc pas surprenant de la retrouver au répertoire de Nina Simone dans les années 60. Diana Ross la chantera aussi pour un film où elle interprète le rôle de Billie Holiday (coupée et raccourcie au montage, comme par hasard) comme Eartha Kitt au théâtre, pour les mêmes raisons, dans les années 80. Sting l’a chantée pour Amnesty International, UB40 en a fait une version reggae, Dee Dee Bridgewater l’avait mise parfois à son programme, et Cassandra Wilson l’avait enregistrée sur son album NEW MOON DAUGHTER. Curieusement, quand ce disque était disponible en écoute dans les avions d'American Airlines, il avait été délesté d’un titre : STRANGE FRUIT

Billie Holiday est décédée en juillet 1959, Abel Meeropol, atteint d’Alzheimer, en 1986.
Pour en savoir plus, voir le livre de David Margolick aux éditions 10/18

3 commentaires:

  1. pat slade7/10/12 13:19

    Beaucoup de reprise de ce morceau mythique comme celle de Robert Wyatt dans son fauteuil roulant,mais je crois que la version la plus proche de celle de Billie Holiday est pour moi celle de India Arie ou avec Billie ,on reste pendus à ses lèvres !

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  2. Énorme, cette chanson est énorme.
    Une chanson qui, malheureusement, fait encore grincer des dents pas mal de "bons" américains.

    (Par contre, cette histoire que Holiday n'en aurait compris les paroles que plus tard, me laisse dubitatif. Peut-être à la limite sur le coup, (avec un p'tit verre dans le nez), mais "plus tard"... une manœuvre pour la décrédibiliser ?)

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  3. Les avis divergent sur cette question, Bruno, c'est vrai. Il faut savoir que l'autobiographie de Billie Holiday, n'a de biographique que le nom ! Elle a beaucoup brodé, inventé, déformé... Sa dépendance à l'alcool et à la drogue n'y est pas étranger sans doute. Ce qui entoure la création de cette chanson reste flou, selon les protagonistes. Le livre que j'avais lu essaie de faire la part des choses, présentant les différentes versions. Et effectivement, j'ai retenu que Billie Holiday s'est laissée convaincre de prendre cette chanson à son répertoire (on lui en proposait sans arrêt, une chasser l'autre...), elle n'en avait pas perçu le sens tout de suite. Je ne crois pas qu'on veuille la décrédibiliser, la faire passer pour une cruche. Mais rappeler que si on se souvient de ses interprétations, il y avait plein de gens autour d'elle, musicien, compositeur, arrangeur, producteur, qui ont tous contribué à sa légende et à son succès. Et qu'il arrive parfois qu'un artiste ne sente pas le potentiel d'une chanson immédiatement, même si elle préfère raconter l'inverse dans un livre !

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