dimanche 29 juillet 2012

Les concertos du camarade Chostakovitch… par Claude Toon


Dmitri Chostakovitch n'est pas un inconnu du Deblocnot'. Sa 11ème symphonie dirigée par la poigne de fer de Valery Gergiev, et son 1er concerto pour violon interprété en concert par Hilary Hahn et la philharmonie de Berlin conduit par Mariss Jansons (DVD), ont déjà été chroniqués.
Le maître russe, musicien majeur du XXème siècle, a composé ses concertos par paire ! 2 pour le violon, 2 pour le violoncelle et 2 plutôt divertissants pour le piano.
Cette belle anthologie propose les six concertos du maître russe. Elle réunit des enregistrements parus isolement. Est-ce une réussite ? Oui. Cet ensemble rassemble une grande partie du gotha des artistes qui ont servi cette musique.
La vie tourmentée du compositeur tiraillé entre son génie et les exigences d'un stalinisme obtus a déjà été détaillée dans l'article consacrée à la 11ème symphonie. Je n'y reviens pas, me contentant d'ajouter, qu'hormis le premier concerto pour piano écrit dans sa jeunesse, les 5 autres ont été composés après la mort du Tyran. Cela dit, même dans la période Kroutchev-Brejnev, on ne pouvait pas tout se permettre. Pourtant le musicien, l'homme courageux, et les amis comme Oïstrakh ou Rostropovitch ont osé et nous ont offert 4 merveilles.

 CD 1 : LES CONCERTOS POUR VIOLON


1- Chostakovitch composa en 1947-48 quand Staline et ses sbires contrôlent encore la création artistique. Très sombre, sarcastique et désespéré, l'ouvrage ne pourra être créé que plus tard, en 1955 par David Oïstrakh (dédicataire) et Evgeny Mravinsky.
D'origine moscovite, la violoniste russe Viktoria Mullova prend à bras le corps cette œuvre grave pour laquelle Oïstrakh parlait de suppression des sentiments et de ton "démoniaque". Cette artiste, rencontrée pour la première fois dans ce blog, excelle tant dans la musique baroque que dans les œuvres plus classiques. Elle maintient dans le premier mouvement un tempo soutenu, une énergie brute en harmonie avec à sa stature de championne olympique d'athlétisme. Son jeu adopte un vibrato réduit qui glace le sang. La petite harmonie partage ce climat sombre sans s'imposer ni s'effacer.
Dans le scherzo puis dans le burlesque finale, la virtuosité s'oblige à souligner l'ironie cynique propre au compositeur et qui ne la quittera plus jusqu'à la fin de sa vie. L'angoisse et l'amertume comme "camarades" de composition.
Dans la passacaille, la noirceur cède le pas à une mélancolie moins lugubre mais toujours avec un archet introverti et peu timbré, donc de circonstance. J'aurais préféré un peu moins d'épaisseur des cordes dans l'accompagnement assuré par André Previn à la tête du Royal Philharmonic Orchestra. La cadence, jouée contrastée, avec un équilibre parfait lors des passages sur deux cordes, intériorise sans équivoque l'interrogation qui ouvre les rares instant de relative gaité dans le burlesque concluant l'œuvre. Une immense interprétation.

2 - Écrit en majeur et plus tardif (1967), le second concerto est moins connu sans doute parce que moins virtuose et moins introverti. Il est également dédié à David Oïstrakh.
Le violoniste estonien Gidon Kremer, fidèle à son engagement pour les œuvres de notre temps, nous en donne une lecture sereine et attentive. Chaque note participe à un dialogue presque ludique entre le violon et l'Orchestre. L'aspect onirique nous approche de la quinzième symphonie à venir. L'orchestre de Boston sous la baguette de Seiji Ozawa brille de tous ces feux dans ce papotage symphonique. Kremer demeure d'une expressivité paisible dans l'adagio centrale. Le vibrato élégant nous rappelle que vingt ans ont passé depuis l'écriture de l'angoissé premier concerto. L'ensemble du mouvement est d'une rare et douce beauté.
L'adagio-allegro final retrouve l'ambiance trépidante du moderato. Le violoniste conserve une grande pudeur et se refuse à tout égocentrisme de soliste.
En résumé, là encore, une interprétation intelligemment virtuose de ce concerto.

CD 2 : CONCERTOS POUR VIOLONCELLE


3 - Le premier concerto pour violoncelle, dédié à Mstislav Rostropovich, bien que composé en mode majeur, fut écrit en 1959, une époque de souffrance physique pour Chostakovitch alors atteint de poliomyélite.
Dans le premier mouvement, le violoncelle, bondissant au sein d'un orchestre saccadé, impose un climat de gaité ambiguë. Heinrich Schiff se distingue par un son chaleureux et allègre. L'orchestre de la Radio Bvaroise dirigé par Maxime Chostakovitch, fils du compositeur, participe sans aucune emphase à ce dialogue.
Le second mouvement illustre cette souffrance physique qui s'ajoute à celles que le compositeur dû subir de ses tyrans. L'orchestre se réduit, presque lugubre, à des phrases dans les cordes graves ponctuées par les percussions. Il dérive comme le premier concerto pour violon sur une longue cadence d'une exigence diabolique en termes de virtuosité. Heinrich Schiff se joue des difficultés dans cette errance enfiévrée sans orchestre.
Grinçant, le final s'inscrit dans la logique de l'amertume et la danse géorgienne Suliko (ombre de Staline) est brocardée en une pitrerie cynique et endiablée où le violoncelle fougueux règle ses comptes.

4 - Composé en 1966 et achevé à deux mains avec Rostropovitch, dédicataire, le second concerto pour violoncelle ouvrait l'ultime période stylistique du compositeur. Il est également en mode majeur. Le violoncelliste et Ievgueni Svetlanov assurèrent sa création la même année.
Introduit par le soliste, le premier mouvement constitue par sa gravité l'antithèse de celui du premier concerto. Le climat est âpre, évanescent, mais intime et sans tristesse excessive. Heinrich Schiff retrouve cette sonorité claire et cette précision déjà suggérées avant.
Le second mouvement retrouve cette rythmique caractéristique, sarcastique mais sans ressentiment. Violoncelle et orchestre dialoguent avec agilité.
Une part belle est donnée aux cors qui introduisent par une insolite et impertinente fanfare l'allegretto final. La harpe et le violoncelle poursuivent cette conclusion toute en douceur qui ne cède le pas que pour une virevoltante marche, une page exceptionnellement tranquille et agreste chez Chostakovitch. Magnifique.


CD 3 : LES CONCERTOS POUR PIANO



5 - Le premier concerto pour piano, trompette et cordes est célèbre et exceptionnellement enjoué. Il fut composé en 1932 à l'époque où Chostakovitch croyait encore à la transformation de son pays, à l'ouverture et au modernisme.
Il y a un climat jazz voire swing dans le jeu de Peter Jablonski. On retrouvera cette jeunesse et cette vitalité dans les musiques de films composées en ces temps encore paisibles. Vladimir Ashkenazy accompagne avec vivacité et sans aucune vulgarité son soliste.
6 - Le second concerto pour piano en fa majeur est dédié à Maxime Chostakovitch qui deviendra chef d'orchestre (il dirige ainsi les concertos pour violoncelle commentés ci-dessus).
Soyons clair, ce concerto, composé pour un jeune homme de 19 ans qui le créera lors de ses examens à Moscou, n'est pas un œuvre sombre et complexe. Il est assez court. L'orchestration se cherche et la facture très classique de la partie de piano nous renvoie au 19ème siècle romantique (andante), ce qui n'est pas un défaut.
Cristina Ortiz par un jeu tout en douceur et Vladimir Ashkenazy au diapason nous révèle le suc de ce joli concerto de circonstance. L'andante est emprunte de rêverie, une berceuse ? Le final bien rythmé retrouve la joyeuseté du début de l'ouvrage.

Ce coffret me paraît quasi idéal en tant qu'anthologie. Bien entendu, il existe des enregistrements marquants. J'avoue mon admiration pour le premier concerto pour violon par Hilary Hahn qui à 23 ans signe une interprétation d'une maturité inouïe. David Oistrak - Mitropoulos (voir vidéo) est toujours disponible malgré un son ingrat. Mstislav Rostropovich a enregistré de nombreuse fois les concertos pour violoncelle accompagné notamment par Seiji Ozawa et Eugène Ormandy (voir vidéo).
Une compilation à prix modeste pour qui veut découvrir ce cycle concertant en un seul volume.

Vidéos


David Oistrak et Dimitri Mitropoulos dans le 3ème mouvement du concerto pour violon N°1. Et Mstislav Rostropovitch et Eugène Ormandy dans le 1er mouvement du concerto N°1 pour violoncelle.
XXX

Cristina Ortiz et Vladimir Ashkenazy interprète l'andante rêveur du concerto N°2 pour piano ("Merci papa" a dû penser le jeune Maxime Chostakovitch). Une exception dans l'univers souvent sombre du compositeur.

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