Par son titre racoleur, l'on pourrait croire à un énième hommage au BITCHES BREW de Miles Davis. Il n'en est rien... Ce nouvel album sorti cette année chez Inandout Records, un label indépendant, a été entièrement composé par Nicholas Payton, ce trompettiste natif de la Nouvelle Orléans qui avait fait ses classes chez Elvin Jones. La musique dans BITCHES devrait ravir autant les fans de hip hop et de r'n'b que de soul et de jazz. Ce musicien que j'avais un peu délaissé à la fin des années 90 signe ici son manifeste et son album le plus personnel. Le plus réussi aussi. Son chef-d'œuvre ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais je dois avouer que c'est une franche surprise, à tel point que je me le passe en boucle depuis quelques jours sans être lassé. Le disque m'est devenu indispensable. En voiture, chez moi, partout. Disons-le sans ambages : on est dans la création au sens le plus noble du terme.
Le disque s'inscrit aussi parfaitement dans cette époque surprenante qu'est la nôtre! Les puristes pourront toujours regimber, qu'importe ! Payton joue sa musique, la sienne, nous offrant sa vision de notre société contemporaine. Qu'il est loin le néo-boppeur au visage de poupon qui enregistrait des disques de jazz revival un brin ennuyeux. Mieux, comparé aux toutes dernières productions de Robert Glasper (Black Radio) et d'Esperanza Spalding (Music Radio Society), c'est de mon point de vue l'album le plus intéressant des trois (on est dans la même configuration = une musique se riant des genres et des étiquettes, ne se prenant jamais la tête, une musique foncièrement urbaine, avec ses lumières, ses badauds et ses soirées relax).
Bref, on a là un imaginaire, voire une utopie carrément inouïe. Au-delà du clin d'oeil à Roy Hargrove et à son RH FACTOR, auquel semble faire écho ce disque, la musique de Nicholas Payton m'apparaît d'un naturel hallucinatoire, aux couleurs chatoyantes ("Indigo"), s'inscrivant dans le meilleur de la Great Black Music contemporaine. Avec cette musique nocturne et même cinématographique (comment ne pas songer à quelques ruelles mouillées en écoutant le très sensuel "Togetherness, Foreverness"?), l'imaginaire fonctionne à plein régime. Bref, objectivement, je ne vois pas en quoi cet album n'aurait pas de qualité... Au contraire, le trompettiste semble avoir eu les mains libres nous offrant une musique qui aurait pu bien faire la B.O. de "Driver". Et c'est là que le bât blesse. Ce disque sera taxé de populo ou de je ne sais quoi encore, par son côté très accessible. Et pourtant, on a là une somme de travail énorme sur les sons, somme de travail qu'on ne pourra nier, sinon saluer, et au final, une musique à prendre pour ce qu'elle est...
Le but de BITCHES n'était pas de faire un disque de R'n'B de plus (même si dans les notes de pochette le trompettiste cite Stevie Wonder, Earth Wind and Fire et Michael Jackson... mais il dit également comment la musique de Herbie Hancock (période électrique), celles de George Benson et de Marvin Gaye l'ont aidé à vivre et à surmonter quelques difficultés personnelles (dès le premier titre, l'on comprendra à quel point cette musique est finalement son propre miroir...), le trompettiste semble aussi avoir beaucoup écouté Groover Washington (le magnifique "Shades of Hue"). On est quand même loin de la soupe propre à ce genre qu'est le R'n'B d'aujourd'hui. Qualité des harmonies et des compositions. Jamais le trompettiste (qui n'abuse pas de son instrument sur lequel il ne s'est pas toujours montré d'une étonnante maturité) ne se montre envahissant mais fait preuve d'un savoir-faire inouïe en terme de trouvailles sonores et s'avère par là-même un poly-instrumentiste stupéfiant (point de lourdeur dans sa musique; les harmonies sont au contraire très élaborées, voire raffinées, comme le sublime "Adam's Plea").
Enfin, BITCHES contentera aussi les amateurs de la musique de Prince (comment ne pas songer à Rainbow Children ?). Les amateurs de Gil Scott Heron pourraient également trouver leur bonheur ("Give Light, Live Life, Love" avec cette intro sobre mais au combien magnifique au piano). La cohérence ici est à proprement parler stupéfiante. Le disque est en outre varié (au niveau des rythmes, des mélodies et des harmonies) mais aussi d'une grande justesse, d'une grande homogénéité. Oublions un instant les hommages (car ici, il n'en est pas vraiment question, seulement d'affinités électives, une musique qui n'est autre que le miroir d'une culture musicale étonnante : Payton commet un album vraiment personnel, suite à la séparation d'avec sa femme - ça, c'est pour le côté people, désolé...). Au-delà du clin d'œil à la Motown ou à la musique des années 70, une réappropriation très réussie de ce qu'a écouté le jeune Payton. Ça sent bien sûr le sexe, ça respire la sensualité à plein nez ("The Second Show-Adam's Plea"). Les textes sont loin d'être vulgaires et stupides. Omniprésence des voix? Non, pas tout à fait. Le tout est d'un équilibre parfait. Et quand elles sont présentes, les voix sont totalement contrôlées, se mariant très bien avec la musique (sampler, fender rhodes). Encore une fois, c'est un très grand disque. Mieux : BITCHES pourrait bien devenir l'album le plus cool de l'année 2012.
On écoute le titre "Give Light, Live Life, Love" .
1. By My Side (Ildeth's Blues) 2. Freesia 3. Shades of Hue 4. Truth or Dare 5. Togetherness Foreverness 6. Indigo 7. You Are the Spark 8. The Second Show (Adam's Plea) 9. Flip the Script 10. Love and Faith 11. Don't I Love You Good 12. iStole Your iPhone 13. You Take Me Places I've Never Been Before 14. Give Light, Live Life, Love 15. Bitches
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