vendredi 27 avril 2012

RAY CHARLES "AT NEWPORT" (1958) par Luc B.



Le nom de Ray Charles reste attaché à la Soul Music, habile croisement de Gospel, Blues, et Rhythm’n’Blues. La déflagration provoquée par « I’ve got a woman » en 1957 sur l’album RAY CHARLES (mais composée trois ans plus tôt) a créé une zone de turbulence, dont on ne s’est toujours pas remis ! En adaptant des paroles crues, bassement matérielles, aux relents de souffre, sur une base rythmique gospel,  en créant une nouvelle forme musicale blasphématoire, unissant chant religieux et musique du Diable, Ray Charles venait d’ouvrir une porte dans laquelle nombre d’artistes allaient s’engouffrer. Le grand chanteur de Blues, Bill Broonzy était très sévère envers Ray Charles, qui lui reprochait : « il a mélangé le blues et la musique sacrée, le blues avec les spirituals, et je sais que c’est mal. Il a une bonne voix, une voix d’église, et il devrait chanter dans les églises ». Bill Broonzy avait été révérend, et beaucoup comme lui regardaient d’un œil critique ce mélange des genres. Puis Ray Charles est devenue la star que l’on sait, immortel auteur de « Georgia on my mind », « Hit the road », « What I‘d say »…

Mais avant d’en arriver-là, Ray Charles était passé par le jazz. Lorsqu’il signe chez Atlantic Records, chez Jerry Wexler, Ahmet Ertegun, et Nesuhi Ertegun, ce dernier avait déjà pris sous son aile Charles Mingus, Ornette Coleman, John Coltrane. C’est donc sur un label de jazz que Ray Charles fait ses débuts discographiques. Dans l’école pour aveugles qu’il a fréquentée, il y a appris la composition, le piano et le saxophone. Il est alors influencé par des gens comme Nat King Cole, Duke Ellington. Mais Ray Charles écoute attentivement et s’imprègne du Gospel aussi bien que de la Country Music, ou les blues shooters. Et il s’éloigne rapidement du jazz, tout en gardant une formation de « petit » big band, section rythmique et section de cuivres.

Le  Newport jazz Festival a été créé par George Wein, en 1954. Miles Davis, Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Cecil Taylor, Duke Ellington (le fameux « 1956 at Newport ») vont y enregistrer des disques live. Le festival intègrera ensuite des bluesmen, comme Muddy Waters, et s’adaptera à la fusion musicale ambiante en accueillant aussi du rock, avec Jeff Beck ou Ten Yers After, à la fin des années 60. Ray Charles s’y présente le 5 juillet 1958. Et le disque qui en est issu, est devenu un classique, un témoignage de la musique de Ray Charles, un condensé de toutes ses influences.

Ca démarre du feu de Dieu avec « The right time » sur un shuffle médium (blues en 12/8), un groove de plomb, avec les Raylettes déchainées (= 4 choristes), dont Marjorie Hendricks qui prend plusieurs grilles, Ray Charles rejoignant alors les chœurs, c’est lourdingue, moite, traversé par les hurlements célèbres du maitre de cérémonie. Ensuite « In a little spanish town » tranche immédiatement, par son tempo latino, tout en percussions, mambo chaloupé (la ligne rappelle « Hit the road »). C’est un instrumental, léger, dansant, enjoué, avec intervention de chœurs (Oooooohhh wah !), le tout ponctué de traits de cuivres pimentés. Et c’est ensuite le grand tube du moment, « I got a woman », pierre philosophale de la musique contemporaine ! Et une hérésie selon certain, donc. Ray Charles nous parle d’une femme qui est bonne avec lui, qui l’aime, qui sait ce qu’il attend d'elle et lui donne, qui ne se plaint jamais, qui comprend ce qu’un homme attend d’une femme…  Ces incantations viriles et machistes sur ce tempo gospel en ont rendu fou plus d’un !  Retour au jazz, bluesy, avec un autre instrumental, le fameux « Blues Waltz » du batteur Max Roach.  Là, on plonge dans l’univers du swing, de Count Basie, Ellington, et jazz encore avec « Hot Rod » une composition de brother Ray, dont le motif d’intro est limite Be Bop (y’a du Gillespie dans l’air) avec les chorus qui s’enchainent, trompettes virevoltantes (Lee Harper et Marcus Belgrave), saxophone baryton (Bennio Crawford). C'est Ray Charles qui y prend le solo de sax alto (donc pas de piano dans ce morceau). Ca envoie le bois ! Le titre « Talkin’ about you » reprend le principe de « I got a woman », évocation d’une femme compréhensive, sur tempo gospel, et on enchaine avec le troisième instrumental, « Sherry » swinguant, une composition de Bennio "Hank" Crawford, le sax baryton, et directeur musical de Ray Charles. 

Et le disque se termine par « A fool for you » écrite en 1955 par Ray Charles. Introduite comme suit : « Now at this time we would like to do something that everybody can understand, and that’s the Blues ». Ray Charles brode et rajoute du texte (on est bien dans la tradition du blues) sur cette longue complainte, qui d’ailleurs musicalement s’apparente davantage à la future Soul Music qu’au blues traditionnel. Exemple typique de la manière dont Ray Charles combinait les styles, pour créer la matière première qui allait aussi bien servir Elvis Presley (qui chantait "I got a woman") que James Brown (qui chantait "Georgia on my mind") des cross-over, dont la musique de ces années-là est friande, et sans lesquels chacun resterait sagement chez soi, à fabriquer une musique figée, respectueuse des règles. Ray Charles n’en a cure des règles, pour lui la musique vient de l’âme, c’est l’émotion qui prime, et on va la puiser partout où elle se trouve, peu importe les chapelles, peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !

Et ce disque-là procure cette ivresse, une musique créative, renversante, swinguante, à la jonction du patrimoine revisité, et de nouveaux rythmes à venir.




Night Time Is the Right Time   4:06
In a Little Spanish Town  3:47
I Got a Woman    6:24
Blues Waltz    6:29
Hot Rod    3:43
Talkin' 'Bout You     4:26
Sherry     4:18
A Fool for You    7:15

Pas de vidéo disponible à Newport, donc on saute 10 ans, pour se retrouver à Paris, avec "I got a woman", et un orchestre plus fourni.



Bon euh... on passe à autre chose, mais j'ai un alibi : Ray Charles est présent ! C'était juste pour vous montrer cette vidéo incroyable, si vous ne la connaissez pas. Dantesque !

2 commentaires:

  1. Je connaissais même pas l'existence de ce disque ... c'est vrai qu'il y a un paquet de gens très divers qui ont publié des "live at newport" ...
    Y'a quand même plein de noms (de jazzeux, au hasard, hein ...) qui me font peur dans ton com, mais je veux bien croire que Brother Ray, même quand il fait du fuckin' jazz, ben ça ressemble pas à du fuckin' jazz ...

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  2. Gillespie, Ellington, Roach ? Faut pas avoir peur, Lester, ceux sont des gens très bien élevés, un peu foncés de peau, mais très gentils et talentueux, avec ça... Les instrumentaux sonnent plus jazz, plus swing, mais le reste, c'est de la bonne soul !

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