vendredi 17 février 2012

JAMES BROWN LIVE AT THE APOLLO (1967) par Luc B.


Entre le théâtre de l’Apollo d’Harlem, et James Brown, c’est une longue et belle histoire, marquée dès octobre 1962 avec le premier LIVE AT THE APOLLO. Un live d’anthologie (mais de seulement 30 minutes) sans doute aussi chaud bouillant que le LIVE AT REGAL de BB King, financé de sa poche (sa maison disque à l’époque n’y croyait pas) qui avait permis de graver sur bande la folie d’un show du Godfather of the soul. Cinq ans plus tard, James Brown and His Famous Flames réinvestissent les lieux, du 16 au 25 juin 1967, les deux dernières soirées étant enregistrées. Seule la date du 24 avait été retenue, un samedi, mais après des soucis techniques, l’ingénieur du son et l’orchestre avaient décidé de remettre ça le lendemain. En 1967, James Brown est déjà une immense star, mais une petite révolution commence à percer. Sa musique soul, marquée autant par le rhythm’n’blues de Ray Charles, que le rock pionnier d’un Little Richard, se mut en un nouveau style, plus radical : le funk. C’est à partir de l’album COLD SWEAT que la donne change, épaulé par son saxophoniste Alfred « Pee Wee » Ellis, James Brown mise tout sur le rythme. Tous les instruments joueront les lignes rythmiques, ainsi que la voix. Le chant se fait moins mélodique, plus syncopé, épouse les riffs cuivrés de l’orchestre. Tout n’est que transe survoltée. Le virage avait été entamé avec le succès "Papa's got a brand new bag" en 1965, sacrément funky, mais dont la structure était ni plus ni moins... qu'un blues ! Le public adhère à cette nouvelle musique, et James Brown continuera dans cette veine. Par rapport aux tubes formatés de la Motown, joliment arrangés, narrant des bluettes d’été, les chansons de James Brown ne sont que sueur, sexe, et révolte.

Ils sont vingt sur scène, dont  sept cuivres et vents, deux guitaristes, deux batteurs, un percussionniste, et sans doute pour la première fois dans un tel spectacle, trois violonistes.  Après l’annonce du DJ Frankie Crocker, James Brown envoie « Think » en duo avec Marva Whitney, et suivront deux morceaux plus lents, avec la section de violons, « I wanna be around » et ses pizzicati d’intro, et « That’s life » reprise de Franck Sinatra, l’idole de Brown. Pas sûr que le crooner de Vegas ait conclu sa chanson de la même manière surtout enchainé au classique « Kansas City » de Leiber et Stoller, sur un walk de basse démoniaque, et le shuffle de Jabo Starks à la batterie. Quelle version !  Le second batteur, Clyde Stubblefield officie davantage sur les morceaux funk, et imaginez lorsque les deux s’y mettent ensemble, avec Ronald Selico aux percus !...   On imagine James Brown sortir de scène ensuite, puisque qu’on entend « Dont’ forget ladies and gentlemen, James Brown will be back ». Interlude soul avec « Sweet soul music » chanté par Bobby Byrd, avant le premier climax de la soirée : « It’s a man’s man’s man’s world ». Soit 19 minutes non-stop, inédite sur cette version DELUXE. C’est notamment sur ce titre que l’ingénieur du son avait eu des soucis, et dans le double vinyle sorti en 1968, il n’en restait que 11 minutes.  Les violons sont de retour, la foule en délire, approuvant les « Man needs a woman », et visiblement pas seulement pour quelques ballades romantiques au clair de lune, comme le sous-entend les « han han » qui ponctuent le monologue de Mister Dynamite ! « You know what I’m talking about ? ». Yes, James, on comprend… le morceau se termine par un clin d’œil à « When a man loves a woman » de Percy Ledge, sorti l’année précédente. Et comme James Brown est aussi amateur de jazz, et ne se lasse pas de citer et d'honorer ses ainés, ce premier CD se termine par « Caravan » de Duke Ellington.
Nouvelle annonce et « Bring it up » ouvre les hostilités, mélange de riffs funky, mais un refrain qui sonne encore pop, enchainement désormais classique avec la ballade « Try me » hit de 1959. A partir de là, la machine est lancée, et les titres vont s’enchainer, formant de longues plages totalement fascinantes. « Let yourself go » et « There was a time » d’abord. On n’est plus dans le format de la chanson, mais dans la revue, le show, huilé, répété, mis au point, dont chaque effet, chaque transition a été durement mis en place, les musiciens n’ayant pas intérêt à se planter d’une mesure, car dans ce genre de musique, cela s’entend tout de suite dès qu’il y a un retardataire ! Et on sait que Mister JB filait des amendes de 100 dollars pour chaque pain ! Je cause, je cause, mais sur le disque on vient encore de changer de titre, toujours sans coupure, avec « I feel all right », où JB se met à la batterie et à l’orgue. Cet enchainement de titres était lui aussi tronqué sur le vinyle. La batterie rehausse le tout sur la fin, avec les fameux coups de cymbale sur le premier temps de la mesure (c’te patate à la grosse caisse !). James Brown annonce le titre suivant, demande juste au second batteur « are you ready Clyde ? » et un « one two » suffit pour passer à « Cold Sweat », lancinante transe funky, et grand classique du Maître. C’est Maceo Parker, absent des précédentes tournées pour cause de service militaire, qui prend chorus de sax, et là aussi, la donne change, il ne joue pas sur la gamme, ni les harmonies, mais sur le rythme, débit saccadé  juste sur quelques notes agencées. Pas étonnant que les rappeurs aient pillé la musique de James Brown, elle s’y prête merveilleusement, pas besoin de coller les bandes, les boucles étaient déjà faites ! Donc si j’additionne, on a 2 + 9 + 7 + 6 = 24 minutes de sermon funky ! A peine deux secondes de pause, et on reprend par le long « Prisonner of love », tempo lent et hurlement de bête à l’agonie, et citations à « Stormy Monday blues » et « Fever ». Curieusement, l’orchestre joue quelques mesures guillerettes de « My girl » avant un shuffle plombé et envoutant « Maybe the last time ». Mais le swing est sauvagement cassé par le hit des hits « I feel good » de… 28 secondes et tempo ultra sonique, re-cassure avec « Please please please » qui annonce la fin du show, on connait le rituel, un James Brown vidé, à genou, sous sa cape en paillette, suant, agonisant, qu’on aide à se relever comme un grabataire, et qui poussé dans ses derniers retranchement, reprend sa place au micro, pour une courte reprise de « Bring it up ». Malheureusement, et c’est vraiment dommage, l’enregistrement coupe très vide, et nous prive de l’ovation du public, et des incantations du directeur musical.

Ce LIVE AT APOLLO 2, sort en double album en 1968, juste avant la mode des double LP de nos amis rockers. Mais ici, pas de soliste virtuose ni de chorus à rallonge, pas de batteurs déchainés à la Keith Moon, les individualités sont priées de rentrer dans le rang, tout est au service du rythme, de la pulsation, tous groupés derrière le chef de meute, Mister JB. Le son n’est pas énorme, comme dans ses live des années 80, les guitaristes ne jouent pas du gros son, tout y clair, limpide, une orchestration qui peut déconcerter, mais qui est uniquement au service des vociférations de James Brown. Finalement, il ne nous manque que l’image, pour apprécier encore plus les prestations survoltées et le cabotinage de cet immense musicien, de cet immense chanteur, de cette immense personnalité de la musique américaine.
Pochette (magnifique) du premier Live at the Apollo, en 1962. Entre celui-ci et le suivant, James Brown jouera plus de 200 fois dans cette salle, et par la suite, y enregistrera encore deux disques live.


CD 1 : 42 mn
CD 2 : 51 mn


Oui je sais, ce n'est pas de lui, ce n'est pas du funk, ce n'est pas à l'Apollo... mais c'est tellement bon !  Ca se passe à Paris, quelques mois plus tard...

2 commentaires:

  1. Je préfère quand même celui de 62, et pas seulement à cause de la pochette ...
    Celui-ci est un peu le derrière entre deux chaises, coincé entre les titres soul et r'n'b de trois minutes des débuts, et les tourneries funky de 10 minutes que JB développera à partir de sex machine ...
    Ceci étant, c'est pas un cd qu'on peut regretter d'avoir acheté, c'est pas rien sur scène Mr Jaaaaaaaames Brown ...

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  2. J'avais été vraiment un peu frustré par le format du premier, de 30 minutes, et le son bien sûr (à moins qu'il ait été remachenisé depuis). D'où cette seconde acquisition, que j'avoue écouter davantage que l'autre. Mais je vais y jeter une nouvelle oreille...

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